Par Heitor Scalambrini Costa
Le mot «privatisation » est défini de la manière suivante: «[il s’agit de] réaliser l’acquisition ou l’incorporation d’une entreprise du secteur public dans une entreprise privée», de «placer la gestion d’un bien public sous le contrôle d’une entreprise particulière».
L’actuel gouvernement «golpiste» [issu d’un coup d’Etat constitutionnel contre Dilma Rousseff] a annoncé récemment (sans vote, sans crédibilité populaire) l’accélération du processus de déprédation et d’abandon du patrimoine public dans le cadre d’un vaste programme de privatisations, qui prévoit la cession aussi bien de zones minières, pétrolières et gazières (y compris les gisements de pétrole et gaz du «présal» qui se trouvent en très grandes profondeurs dans l’océan) que d’usines et d’entreprises d’énergie, de ports, de chemins de fer et autres [1].
Mais qu’aurait donc de plus une entreprise publique (appartenant à tout le monde) si elle était acquise par une entreprise privée (appartenant à quelques-uns)?
Il existe dans tout pays des secteurs stratégiques qui doivent être dirigés et gérés par l’Etat. Ces secteurs sont essentiels à la souveraineté du pays et nous possédons sur eux des droits inaliénables. Le secteur électrique est l’un de ces secteurs. Différents pays dits développés l’entendent d’ailleurs aussi de cette manière (la France, l’Allemagne, l’Australie, etc.).
L’une des entreprises visées par la privatisation est l’Eletrobrás, la plus grande compagnie du secteur d’énergie électrique d’Amérique latine, active dans le secteur de la production, de l’acheminement et de la distribution, et qui contrôle 15 filiales. C’est une entreprise à participation publique qui détient 50% du capital social de l’entreprise Itaipu Binacional [très grand barrage à la frontière avec le Paraguay]. De plus, directement ou à travers ses filiales, Eletrobrás détient une participation dans plus de 170 sociétés dites «à but spécial» (Sociedades de Propósito Específico). Entre 2012 et le premier trimestre de 2016, l’entreprise a distribué à ses actionnaires plus de 9 milliards de reais en dividendes et intérêts sur le capital propre.
La justification pour la privatisation de cette entreprise est que cela va en améliorer l’efficacité et la qualité, en plus de diminuer les tarifs d’électricité et de réduire la dette publique. Tout au contraire, des expériences récentes, qui remontent au gouvernement FHC [Fernando Henrique Cardoso, PSDB, président de janvier 1995 à janvier 2003], ont montré qu’avec les privatisations réalisées sous ce gouvernement, la dette publique n’avait fait qu’augmenter, que les tarifs de l’électricité avaient augmenté bien au-dessus de l’inflation et qu’on en était même venu au rationnement. Ce sont d’ailleurs les mêmes personnages que ceux qui avaient mené le processus de privatisation de l’époque qui le font aujourd’hui au sein du gouvernement «golpiste» de Michel Temer. Voilà ce que fut la conséquence directe de la privatisation d’une partie importante du secteur électrique (toute la distribution, une partie importante de l’acheminement et une petite partie de la production).
C’est un véritable affront à l’intelligence de tout citoyen et toute citoyenne de ce pays que le discours du ministre-serviteur des Mines et de l’Energie, qui, sans aucune vergogne, ment à la nation brésilienne sur les avantages qu’apporterait le fait de privatiser l’Eletrobrás et autres domaines dépendant de son ministère. L’opération qu’est en train de mener ce Fernando Coelho Fils (dont le père est actuellement poursuivi pour des crimes de corruption passive et de blanchiment d’argent) constitue un crime de lèse-patrie. Il est protégé par un gouvernement qui manque totalement de légitimité et qui est l’ennemi de la démocratie brésilienne. Nous espérons qu’un jour viendra le temps de la punition méritée.
Ce ministre «bourbonique » [adjectif formé ironiquement sur «Bourbon», la famille royale européenne à laquelle appartenait la dernière impératrice du Brésil, Thérèse-Christine, née à Naples et princesse des Deux-Siciles et, par son mariage, impératrice du Brésil; elle décède à Porto en 1889] agit au seul service des intérêts du marché, de l’agronégoce, du capital et du système financier. Totalement à l’encontre des intérêts de la majorité du peuple brésilien. Un antibrésilien provenant du sertão [zone géographique au climat semi-aride] du Pernambouc [Etat nordestin], dont on se souviendra comme étant celui qui a bradé les biens publics sous ce que l’on espère être son court mandat. (Article publié dans Correio da Cidadania le 31 août 2017; traduction par A l’Encontre)
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Heitor Scalambrini Costa est professeur retraité de l’Université fédérale de Pernambouc.
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[1] Le déficit public du Brésil, pour 2016, se situait à 8,9% du PIB, soit 146 milliards d’euros environ. La dette – une source de revenus pour les acheteurs d’obligations et autres produits financiers qui en dérivent et qui vivent au Brésil – se situait à 1,3 billion [un billion c’est un million de millions, soit 1012]. La contraction du PIB a été de 3,6% en 2016 et le chômage se situe officiellement à 13,3% de la population active (soit un peu plus de 14 millions), bien que ce chiffre ne prenne pas en compte la masse des emplois au «noir», dans «l’informel», dans les secteurs domestiques à caractère semi-esclavagiste, dans le secteur rural, avec le caractère de journalier, etc. L’inflation reste à un niveau élevé, entre autres sur les biens alimentaires.
Les privatisations envisagées concernent une dizaine d’aéroports, la Casa da Moeda do Brasil (entreprise étatique qui imprime la monnaie nationale), Petrobras. Les chiffres et modalités sont peu précis et le ministère de l’Energie articule le chiffre de 5,4 milliards d’euros pour Eletrobrás, sans grands fondements explicites. Or, il s’agit du joyau de la couronne du pays, car créé en 1956 en pleine période de développement («désarollisme» à la Gétulio Vargas). Il faut toutefois rappeler que les privatisations ont commencé sous Fernando Henrique Cardoso du PSDB entre 1995 et 2002 (il quitte son mandat le 1er janvier 2003). Le «paquet» de Temer est certes plus ample. De plus, il faut insérer les privatisations dans le cadre des contre-réformes touchant aussi bien la législation du travail que le système des retraites. Les privatisations répondent à un objectif immédiat: «alléger les dettes». De facto, il s’agit d’assurer un transfert de richesses énormes, avec des statuts relevant de la rente, à un secteur bourgeois ou à des transnationales. L’explosion de la Bourse de São Paulo lors de l’annonce du plan – plus 50% pour Eletrobrás – en est la preuve anticipée. Et l’opération est présentée, faussement, sous l’angle: ce que l’on va gagner – y compris en ne «subventionnant» plus des secteurs publics qui étaient pillés par la corruption et le clientélisme – ira à la santé et à l’éducation! Des fake news. Sans même mentionner le simple fait que la gestion dite rentable, future, d’Eletrobrás, va aboutir à des interruptions de courant électrique, entre autres dans des régions populaires et semi-populaires, comme ce fut le cas dans le passé. (Rédaction A l’Encontre)
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