Argentine. Le pion de la reine sacrifié. La crise du gouvernement après le PASO

Par Fabián Kovacic

Alors que la vice-présidente, Cristina Fernández de Kirchner, prend ses distances par rapport au leadership économique du président Alberto Fernández, le macrisme d’Horacio Rodríguez Larreta célèbre une victoire retentissante et l’extrême droite se prépare à entrer au Congrès en novembre 2021.

La décision du ministre argentin de l’Intérieur, Eduardo de Pedro, de remettre sa démission au président, Alberto Fernández, après la défaite électorale du dimanche 12 septembre [voir les résultats du PASO dans l’article publié ce jour: Chronique d’une défaite non annoncée], a déclenché une crise au sein de la coalition au pouvoir. Eduardo de Pedro a été suivi par les ministres de l’Environnement, Juan Cabandié, de la Culture, Tristán Bauer, et des Sciences et technologies, Roberto Salvarezza, les trois plus proches de la vice-présidente, Cristina Fernández de Kirchner. Ils ont été rejoints par une demi-douzaine de fonctionnaires de deuxième et troisième rangs, également issus de l’aile dure qui répond à Cristina Fernández. «C’est un massacre inhabituel et ridicule, car nous avons tous de bons chiffres de gestion à montrer en pleine pandémie», a déclaré à Brecha un ministre proche d’Alberto Fernández.

La crise a éclaté mercredi 15 septembre et les protagonistes du conflit ont été immédiatement sanctionnés. Le secteur dirigé par Cristina Fernández proteste contre la stratégie électorale qui lui a fait perdre des voix dans les provinces où l’image publique de la vice-présidente est supérieure à celle du gouverneur lui-même. Ce jeudi 16 septembre, Cristina a publié une lettre explosive dans laquelle elle accuse le président et son entourage de ne pas avoir écouté ses propositions et ses critiques concernant «une politique d’ajustement budgétaire erronée qui avait un impact négatif sur l’activité économique et, par conséquent, sur la société dans son ensemble et qui, sans aucun doute, allait avoir des conséquences électorales». «Je ne l’ai pas dit une seule fois… je me suis fatigué de le répéter… et pas seulement au Président de la Nation», conclut-elle. L’énorme défaite de dimanche 12 septembre, si elle se répète avec les mêmes chiffres lors des élections législatives de novembre 2021, laisserait le péronisme, pour la première fois depuis 1983, sans sa propre majorité au Sénat – la chambre présidée par la vice-présidente – un espace clé non seulement pour le traitement des lois, mais aussi pour le lien avec les gouverneurs péronistes.

Le chef de la Chambre des députés, Sergio Massa, leader du Frente Renovador [parti péroniste reconnu légalement en 2019, composante du Frente de Todos; Sergio Massa est président de la chambre des députés depuis décembre 2019] et candidat potentiel à la présidence en 2023, a rencontré cette semaine son courant pour analyser la situation et apporter un soutien tiède au président. Pendant ce temps, les ministres fidèles à Alberto Fernández ont analysé la situation à la Casa Rosada [siège du pouvoir exécutif, situé au centre de Buenos Aires]. Ils ont confirmé leur maintien dans le cabinet gouvernemental. Il faut y ajouter: le soutien de la Confédération générale du travail (CGT), celui des gouverneurs péronistes et de certains mouvements sociaux, comme le Mouvement Evita [du nom d’Evita Peron], profondément enraciné dans le Grand Buenos Aires et dans une demi-douzaine de provinces où le gouvernement a subi une défaite dimanche.

Cristina Fernández trouve son principal soutien dans son parti, Unidad Ciudadana, et dans l’organisation La Cámpora [initialement mouvement de la jeunesse péroniste], dirigée par son fils Máximo Kirchner, chef du bloc de députés du Frente et ayant une influence directe sur le bureau du gouverneur de Buenos Aires, dirigé par l’ancien ministre de Cristina Fernández, Axel Kicillof.

La plainte de ce secteur vise directement ce qu’il considère comme une mauvaise gestion du président et de deux de ses collaborateurs: le ministre de l’Economie, Martín Guzmán, et le ministre du Développement productif, Matías Kulfas. La vice-présidente elle-même a appelé Martin Guzmán, mercredi après-midi, pour préciser qu’elle n’avait jamais demandé sa démission. Pour Martin Guzmán, c’était un jour J: non seulement il était sur le point de quitter l’équipe officielle, mais le même jour, il présentait le projet de loi de finances 2022 avec les projections économiques et les ajustements proposés pour rembourser la dette contractée par le gouvernement de Mauricio Macri auprès du Fonds monétaire international (FMI). Les porte-parole de Martin Guzmán et de Matias Kulfas ont confirmé à Brecha que les ministres restent en poste, mais on ne sait pas pour combien de temps.

Pour contrer la défaite de dimanche, le président envisage trois mesures concrètes: une augmentation de 10% de tous les salaires, une augmentation de 11% des allocations pour les retraités et les pensionnés, et des modifications fiscales en faveur de la classe moyenne, frappée par l’inflation en pleine pandémie. Ce qui est certain, à l’heure où nous mettons sous presse, c’est que les affaires internes officielles ainsi exposées brisent, peut-être définitivement, une alliance de 19 partis [réunis dans le Frente de Todos] qui s’étaient réunis pour stopper la débâcle libérale provoquée par quatre années de macrisme [Mauricio Macri, président de décembre 2015 à décembre 2019].

Les politiciens anti-politiques

Avant les élections, Javier Milei [leader libertarien du parti Avanza Libertad] a admis avoir été conseiller de l’ancien gouverneur de Tucumán imposé par la dictature, l’ex-militaire condamné pour crimes contre l’humanité, Antonio Bussi, lorsqu’il était député dans les années 1990. En outre, la deuxième sur sa liste était l’avocate Victoria Villaruel, qui a défendu des officiers militaires ayant des antécédents similaires à ceux de Bussi. Ce n’est pas un hasard si leur programme électoral vise à mettre fin aux procès pour crimes contre l’humanité dans le pays. De plus, malgré ses prêches anti-étatistes, l’économiste charismatique [Javier Milei] travaille actuellement pour le groupe d’affaires d’Eduardo Eurnekian, le quatrième entrepreneur public d’Argentine, qui a bénéficié de diverses subventions et concessions publiques.

Rien de tout cela n’a empêché l’icône des médias, jusqu’à récemment un outsider dans le monde politique, de récolter un peu plus de 13% lors des élections primaires, ouvertes, simultanées et obligatoires (PASO) de dimanche dans la capitale argentine, où il était la troisième force, tandis que son partenaire dans la province de Buenos Aires, José Luis Espert, a pris un peu plus de quatre points de pourcentage et a amélioré son résultat en tant que pré-candidat à la présidentielle de 2019. «Milei représente la réaction des électeurs qui ont vu dans le premier Macri l’idéologie de l’anti-politique. En 2015, lorsqu’il est devenu président, Mauricio Macri avait lâché ce discours et négocié avec le monde politique pour pouvoir gérer», a déclaré le consultant Raúl Aragón à Brecha. «Ce sont des expériences qui ne durent généralement pas longtemps dans le firmament politique, mais elles peuvent produire des chocs dans le système» et déformer le cours du débat public, ajoute-t-il. Ce qui est certain, c’est que si les chiffres de dimanche se répètent lors des élections législatives de novembre, Milei et Espert obtiendront tous deux un siège à la Chambre des députés.

Avec son discours typiquement anti-politique et verbeux, après que les résultats aient été connus, le leader d’Avanza Libertad a désigné sur LN+ le chef du gouvernement de Buenos Aires, Horacio Rodríguez Larreta [pro-Macri], comme «le grand perdant de la ville», en raison de la croissance, à ses dépens, de la nouvelle force de droite [Avanza Libertad]. La vérité est que Rodríguez Larreta a été l’idéologue de l’alternance victorieuse dans la campagne Macrista de María Eugenia Vidal [gouverneure de la province de Buenos Aires] et Diego Santilli [vice-gouverneur pro-Macri de la ville de Buenos Aires]. L’ancienne gouverneure est passée du statut de candidate dans la province de Buenos Aires à celui de candidate dans la capitale, où elle a finalement remporté 48% des voix. Santilli, qui est passé de la capitale à la province, a réussi à triompher, lors des élections internes du parti, du neurologue Facundo Manes et, en additionnant les voix des deux, à vaincre le péronisme. Au niveau national, Juntos por el Cambio (J×C) obtient 40% des voix, contre 31% pour le Frente de Todos, tandis que la troisième force est la gauche trotskiste, qui obtient 6% [Frente Izquirda-U] et dépasse José Luis Espert dans la province de Buenos Aires.

Dette officielle

«Avec une macroéconomie ordonnée [pour répondre au FMI], on ne peut pas gagner les élections», a-t-on répété à la Casa Rosada lundi 13 septembre, après la défaite. Le gouvernement cherche à comprendre pourquoi sa renégociation de la dette extérieure avec le secteur privé et le FMI, sa stabilisation des comptes généraux et ses projets de travaux publics annoncés n’ont pas suffi à séduire les électeurs. C’est pourquoi le gouvernement prévoit d’annoncer d’urgence un ensemble de mesures économiques pour soulager les classes moyennes à l’approche du mois de novembre.

Si la défaite du Frente de Todos dans six des huit provinces qui éliront les sénateurs en novembre devait se répéter avec des chiffres similaires à ceux de dimanche 12 septembre, le péronisme perdrait deux sénateurs et perdrait 35 sièges. Le nouveau Sénat pourrait compter 31 sièges pour le J×C (Juntos por el cambio) et six pour les partis provinciaux, ce qui mettrait en difficulté le quorum péroniste. Quelque chose de similaire pourrait se produire à la Chambre des députés, où le péronisme passerait de 120 à 116 législateurs, tandis que le J×C passerait de 114 à 116. Les deux sièges de différence seraient remportés par la bonne élection de José Luis Espert à Buenos Aires et celle de Javier Milei dans la capitale.

Mais en novembre, il faudra voir où iront les 6% des voix des partis qui n’ont pas atteint le 1,5% requis dans le PASO, et si les 6% de votes blancs et annulés seront modifiés; et encore si les 33% des inscrit·e·s qui ne se sont pas rendus dans l’isoloir le feront cette fois-ci. «Nous avons entendu le message de la société et demain nous nous mettrons au travail pour inverser ce résultat» a déclaré Alberto Fernández dans la nuit de dimanche, sur une scène initialement prévue pour célébrer un triomphe. (Article publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 17 septembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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