La Haye. Les «arguments attendus» des avocats d’Israël face à la requête de l’Afrique du Sud

Les avocats du gouvernement israélien. (Photo: International Court of Justice)

Par David Kattenburg

Au cours d’une disquisition [examen minutieux] d’une heure ce matin [12 janvier] par un avocat israélien concernant les lacunes procédurales, juridiques et factuelles de la requête de l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), demandant à cette dernière d’ordonner à Israël de mettre fin à son assaut sur Gaza, il y a eu un bref moment de détente. Malcolm Shaw, avocat britannique à la perruque blanche [défenseur d’Israël], a dû quitter sa place. Quelqu’un avait mélangé ses papiers. Malcolm Shaw, un peu troublé, a dû s’excuser: «Quelqu’un a pris mon intervention pour un jeu de cartes!»

A part cela, le témoignage des six membres de l’équipe juridique d’Israël était tout à fait prévisible. Israël, ont dit ses avocats intervenant devant la CIJ, se plie en quatre pour protéger les civils alors qu’il mène sa juste guerre contre des terroristes meurtriers, voire génocidaires. L’engagement d’Israël est inébranlable en faveur de ses «valeurs fondamentales», de l’Etat de droit et des conventions internationales relatives aux droits de l’homme dans le cadre de sa guerre. L’Etat juif remue ciel et terre pour fournir de la nourriture, de l’eau et des médicaments à la population de Gaza, alors que le Hamas fait tout ce qui est en son pouvoir pour saper les efforts humanitaires consciencieux d’Israël!

La déclaration d’ouverture de l’avocat israélien Tal Becker a donné le ton des présentations qui allaient suivre. L’Afrique du Sud, a déclaré Tal Becker à la Cour, a présenté une «image juridique profondément déformée», une «description contre-factuelle générale» du conflit qui a débuté le 7 octobre. Les arguments avancés dans la requête de 84 pages présentée par l’Afrique du Sud à la Cour se distinguent à peine de la rhétorique du Hamas! En effet, a déclaré Tal Becker devant la Cour: l’Afrique du Sud s’est révélé l’alliée du «groupe terroriste».

Après avoir souligné la présence des familles des otages israéliens au tribunal, Tal Becker a décrit en détail le «carnage et le sadisme» du Hamas, des actes brutaux largement ignorés par l’Afrique du Sud dans sa demande de mesures conservatoires [1]. Des familles entières réduites en cendres, des tortures, des mutilations, des viols, des meurtres.

«Aucune de ces atrocités n’exonère Israël des obligations qui lui incombent en vertu de la loi», a admis Tal Becker. Mais des actes génocidaires ont été perpétrés contre Israël, et non l’inverse, par une organisation terroriste aux objectifs manifestement «anéantisants», retranchée dans «le bastion terroriste le plus sophistiqué de l’histoire», se cachant sans vergogne dans des hôpitaux, des églises, des mosquées, des écoles et des centres de réfugiés, volant et accumulant méthodiquement des secours humanitaires, détruisant une grande partie de l’infrastructure de Gaza avec ses propres missiles, après avoir brutalement assassiné plus d’un millier de civils israéliens!

Les mesures conservatoires requises par l’Afrique du Sud contrecarreraient le droit d’Israël à défendre son propre peuple, a déclaré Tal Becker.

«Sous le couvert de l’allégation de génocide contre Israël, il est demandé à ce tribunal d’appeler à la fin des opérations contre les attaques en cours d’une organisation qui poursuit un véritable programme génocidaire», a déclaré Tal Becker. «C’est une requête inadmissible.»

La demande de mesures conservatoires faite par l’Afrique du Sud est une «tentative transparente d’abuser du mécanisme d’exécution obligatoire de la Convention [sur le génocide]», a déclaré Tal Becker, un mécanisme conçu comme une promesse solennelle faite au peuple juif [en 1948]: «plus jamais ça».

L’avocat britannique Malcolm Shaw a ensuite pris la parole. Pendant une heure, Malcolm Shaw a démantelé les affirmations de l’Afrique du Sud selon lesquelles la plus haute juridiction de l’ONU exerce une compétence prima facie, dans un litige qui, selon lui, n’existe pas.

L’Afrique du Sud a proposé à la Cour de replacer le conflit actuel dans son contexte, en remontant à la création d’Israël en 1948. Pourquoi ne pas remonter au début du mandat britannique en 1922, a demandé Malcolm Shaw? Pourquoi pas la déclaration Balfour de 1917? Pourquoi pas il y a 3500 ans, lorsque les tribus israéliennes ont pénétré pour la première fois sur la terre d’Israël?

Et que penser du Hamas et de son désir insatiable de faire couler le sang juif, avec le soutien de l’Iran? «Les conflits armés, même lorsqu’ils sont pleinement justifiés et menés dans le respect de la loi, sont brutaux et coûtent des vies, en particulier lorsque la milice en question prend spécifiquement pour cible des civils et des installations civiles, et lorsqu’elle ne se soucie manifestement pas de faire des victimes civiles dans son propre camp [Gaza]», a déclaré Malcolm Shaw à la Cour. «Tous les conflits ne sont pas génocidaires», a ajouté Malcolm Shaw. Le génocide est «le crime des crimes, le summum de la barbarie […] si les allégations de génocide devenaient la monnaie courante des conflits armés, quels que soient le lieu et le moment, l’essence de ce crime serait diluée et perdue.»

Comme prévu, Malcolm Shaw a contesté l’idée (avancée lors de la séance du 11 janvier par l’ancien rapporteur spécial des Nations unies, John Dugard, qu’il a qualifiée de «fallacieuse») selon laquelle il existerait un véritable «différend» entre l’Afrique du Sud et Israël, au sens de l’article IX de la Convention sur le génocide [voir la note 2 de l’article publié le 12 janvier sur ce site], qui est la condition sine qua non pour demander des mesures conservatoires à la Cour.

Pour qu’un différend existe en vertu de l’article IX, a déclaré Malcolm Shaw, une partie doit «s’opposer positivement» aux arguments de l’autre. De simples affirmations d’une partie sur le comportement d’une autre ne suffisent pas, a fait valoir Malcolm Shaw. Cet autre Etat doit avoir la possibilité de répondre, ce qu’Israël n’a jamais fait, selon Malcolm Shaw.

«Il ne s’agit pas d’un différend», a déclaré Malcolm Shaw à la Cour, évoquant des images du célèbre sketch «Département des arguments» des Monty Python [troupe d’humoristes qui a multiplié les skechs dès 1969 sur la BBC]. «Il s’agit d’une non-dispute, d’un applaudissement d’une seule main.»

Passant à la question de l’«intention» israélienne de commettre un génocide – une question dont Malcolm Shaw a reconnu qu’elle devait être examinée par la Cour lorsque le «fond» sera abordé – Malcolm Shaw a nié l’existence d’une telle intention [l’intentionnalité est un des éléments pour qualifier un génocide]. «Il n’y a guère plus que des affirmations aléatoires pour démontrer qu’Israël a ou a eu l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le peuple palestinien en tant que tel.»

Or, toute expression réelle de l’intention israélienne de commettre un génocide peut être traitée par «le système juridique robuste et indépendant d’Israël» [2]. Malcolm Shaw a qualifié d’exagérées et de décontextualisées les déclarations de Benyamin Netanyahou et de hauts responsables militaires qui ont fait l’objet d’une large publicité et qui auraient été à l’origine d’un génocide. Elles ne font qu’exprimer «le sentiment d’angoisse» face à la mort et à la souffrance des Israéliens sous l’assaut génocidaire du Hamas. Les commentaires de personnalités moins importantes ont été «immédiatement répudiés».

Loin de commettre un génocide, l’armée israélienne a remué ciel et terre pour avertir les civils de Gaza par une «utilisation sans précédent et extensive» de SMS et de tracts.

Quant aux chants exaltés des soldats israéliens dansant, déclarant qu’il n’y a pas de civils à Gaza, que les villages de Gaza seront détruits – après avoir reçu des discours d’encouragement de Netanyahou et des hauts responsables militaires, ils ne reflètent pas la politique réelle du gouvernement et de l’armée, a déclaré Malcolm Shaw à la Cour. L’armée israélienne fait tout son possible pour éviter les pertes civiles, en respectant toujours les règles de la guerre. «Les autorités israéliennes compétentes se sont engagées de manière cohérente et sans relâche à atténuer les dommages causés aux civils et à soulager leurs souffrances à Gaza.»

Le reste de la réponse d’Israël aux accusations de l’Afrique du Sud suit la même approche: le Hamas se fond dans la population civile ; il est responsable de la mort de nombreux civils et de la destruction de bâtiments résidentiels, d’écoles, de mosquées et de refuges à Gaza, qu’il a tous utilisés comme cachettes et rampes de lancement de roquettes. Face à cet énorme défi, les Forces israéliennes de défense (FDI) se plient en quatre pour protéger les civils, remuant ciel et terre pour s’assurer qu’ils sont en sécurité et en bonne santé.

Le fait que les civils de Gaza aient souffert n’est pas contesté, mais tout est de la faute du Hamas. «Lorsqu’une population est dirigée par une organisation terroriste qui se soucie davantage d’éliminer son voisin que de protéger ses propres civils, il est extrêmement difficile de protéger la population civile», a déclaré l’avocate israélienne Galit Raguan. «L’intention de commettre un génocide n’est même pas une inférence plausible.»

Et ainsi de suite. En définitive, selon l’avocat israélien Christopher Staker, la demande de mesures conservatoires de l’Afrique du Sud devrait être rejetée par la Cour, dans son intégralité.

Les 15 juges de la CIJ ont beaucoup de choses à se mettre sous la dent. Ses deux juges ad hoc, l’Israélien Aharon Barak et le Sud-Africain Dikgang Ernest Moseneke, ont certainement pris leur décision.

Une décision sur les mesures préliminaires est attendue d’ici la fin du mois.

***

Quelques heures après la clôture des audiences du 12 janvier dans le Palais de la paix de La Haye – orné d’une série de personnages évoquant la justice et la paix –, une foule de Palestiniens et leurs partisans européens et nord-américains se sont rassemblés pour un bilan dans un institut universitaire voisin.

«J’ai sans doute trouvé les arguments d’aujourd’hui un peu moins convaincants [que ceux de l’Afrique du Sud]», a déclaré au groupe Katie Gallagher, avocate principale du Center for Constitutional Rights (CCR) états-unien. Le CCR a entamé une action en justice contre Joe Biden, Antony Blinken et Lloyd Austin auprès d’un tribunal de district de Californie, au nom d’une demi-douzaine d’ONG palestiniennes et de plaignants individuels. Ils cherchent à obtenir du tribunal une injonction mettant fin au soutien militaire des Etats-Unis à Israël. Ils prévoient qu’une ordonnance de mesures conservatoires de la CIJ, dans le cas de l’Afrique du Sud, viendrait renforcer la leur.

«Ce que nous avons entendu correspondait en grande partie à ce que nous avions lu et entendu dans les médias», a déclaré Katie Gallagher. «Il s’agissait, selon moi, d’un plaidoyer beaucoup plus rhétorique sur l’autodéfense [d’Israël] que d’une application correcte des principes de ce que nous devrions appeler par son nom, le droit international humanitaire, dont l’objectif principal est la protection des civils.»

«Honnêtement, je ne pense pas que les arguments présentés par Israël puissent inciter la Cour à rejeter la demande de l’Afrique du Sud», a déclaré Giulia Pinzauti, professeure adjointe de droit international public au Grotius Centre for International Legal Studies de la faculté de droit de Leiden. «Je n’ai pas trouvé les trois quarts de la présentation d’Israël très convaincants sur le plan juridique, jusqu’aux deux derniers orateurs. Ils ont peut-être soulevé de bons points. Je pense que la compétence de la Cour est établie sur une base prima facie… et je pense qu’Israël a présenté le meilleur argument pour dire qu’il n’y a pas de ‘différend’ [article IX de la Convention], et que les actes dont on se plaint ne sont pas susceptibles de relever de la Convention sur le génocide, mais je pense que la réalité que nous voyons, même d’où nous nous situons, même en observant depuis Gaza, raconte une histoire différente. Et je pense que les juges ne se plieront pas aux arguments dédaigneux [d’Israël].»

Cela ne signifie pas pour autant qu’une victoire de l’Afrique du Sud est attendue ou qu’elle sera évidente. Giulia Pinzauti estime que la délégation israélienne a présenté des arguments efficaces qui peuvent avoir une incidence sur les mesures conservatoires que la Cour pourrait accorder.

«Je pense qu’il est possible que le tribunal n’ordonne pas toutes les mesures demandées par l’Afrique du Sud, mais qu’il en ordonne certaines ou des mesures légèrement différentes», a expliqué Giulia Pinzauti. «Par exemple, je doute fort que la Cour ordonne la suspension des opérations militaires d’Israël à Gaza, comme l’a demandé l’Afrique du Sud. C’est une mesure qui a été ordonnée dans le dossier Ukraine contre Russie, mais je pense que les avocats d’Israël ont présenté de bons arguments sur la façon dont ces deux cas devraient être différenciés, et je ne vois pas la Cour s’engager dans cette voie.»

Néanmoins, Giulia Pinzauti, comme d’autres observateurs, a terminé la journée de vendredi avec l’espoir que la Cour prenne des mesures. «J’espère que la Cour ne rejettera pas la demande de l’Afrique du Sud ainsi que la requête, mais elle pourrait ordonner des mesures différentes de celles demandées par l’Afrique du Sud.» (Article publié sur le site Mondoweiss, le 12 janvier 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans Le Monde daté du 14 janvier, Louis Imbert et Stéphanie Maupas expliquent: «Durant les trois heures de plaidoiries, Israël a tenté de convaincre les 17 juges de rejeter les «mesures conservatoires» réclamées par Pretoria. L’Afrique du Sud leur demande notamment d’ordonner d’urgence à Israël de «suspendre» son opération militaire, d’améliorer les conditions de vie des Gazaouis en ouvrant l’accès à l’aide humanitaire, et de permettre l’entrée du territoire aux commissions d’enquête.» (Réd.)

[2] A ce propos, Gideon Levy écrit dans Haaretz le 14 janvier: «Shaw n’a apparemment pas entendu parler du système juridique israélien et encore moins de ce que l’on appelle le système juridique militaire. Il n’a pas entendu dire qu’après l’opération “Plomb durci”, le conflit de 2008-2009 avec Gaza, seuls quatre soldats ont été inculpés pour des infractions pénales et qu’un seul d’entre eux a été envoyé en prison pour le délit de vol d’une carte de crédit (!). Tous les autres qui ont lancé des obus et des bombes sur des innocents ne seront jamais inculpés.» (Réd.)

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