Par Panagiotis Grigoriou
Les résultats des élections législatives grecques sont connus. La Nouvelle Démocratie obtient 29,66% des suffrages et 129 sièges (gains des 50 sièges pour le premier parti). SYRIZA (Coalition de la gauche radicale): 26,89% et 71 sièges; le PASOK: 12,28% des suffrages et 33 sièges; Grecs Indépendants: 7,51% et 20 sièges; Aube dorée (Chrysi Avgi): 6,92% et 18 sièges; Gauche démocratique: 6,26% et 17 sièges; KKE (PC): 4,50% et 12 sièges. Les bulletins invalides: 0,92%. Sur les 9’952’080 citoyens et citoyennes enregistrés, seulement 6’216’948 (62,47%) ont déposé un bulletin dans une urne. Le taux d’abstention s’est élevé à 37,53% des votes. Les critiques faites à SYRIZA du fait que la coalition n’aurait pas une position assez claire sur la sortie de l’euro, ce qui ressort d’un article d’un dirigeant d’ANTARSYA (Front de la gauche anticapitaliste), Panagiotis Sotiris, en date du 18 juin semble à la hauteur de l’impact de la campagne et des résultats d’ANTARSYA: 0,33% des suffrages. Une campagne centrée sur la sortie de l’euro (faux problème comme il a été posé, voir à ce sujet notre article en date du 16 juin 2012, Grèce: le berceau de quelle Europe?) et le non-paiement de la dette (sujet important, encore faut-il savoir l’articuler avec ses différentes facettes et objectifs). Un des thèmes débattus: engagement sur la durée du gouvernement en lien avec un léger adoucissement – extension de deux ans – du plan d’austérité, ce que suggère le quotidien Eleftheros Typos.
Les négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement de coalition composé de la Nouvelle Démocratie d’Antonis Samaras, du PASOK d’Envangelos Venizélos et de la Gauche démocratique de Fotis Kouvelis sont en bonne voie. Les ministères seront aux mains de la ND qui devra obéir aux «contrôleurs des comptes» qui vont arriver pour mesurer l’importance des «progrès accomplis». Le PASOK insiste sur la présence de la Gauche démocratique dans le gouvernement, afin que le «flanc gauche» de la droite soit couvert.
La panique bancaire (retrait du cash) – qui n’a jamais eu la dimension énorme annoncée par la presse (les fonctionnaires reçoivent leur salaire sur ces comptes comme les retraités) – a été montée en épingle avant les élections. Le gros des sorties, de la part des fortunés, s’est fait en 2010: 75 milliards d’euros selon la Banque centrale. Le retour du cash (petites sommes) se fait avec la même tonalité politique – mais cette fois positive – que celle avant le 17 juin, qui avait pour but de susciter la peur. SYRIZA a annoncé des mobilisations. A suivre. (cau)
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«La Grèce honorera ses signatures», telle fut la première déclaration du chef de la Nouvelle Démocratie, Antonis Samaras, hier soir, dimanche 17 juin, à la télévision. Nous n’avons pas entendu une seule fois, par contre, la phrase «négociation du mémorandum». Terminus. Le peuple a voté et enfin le résultat devient «conforme». Il faut dire aussi que ce peuple a accompli son devoir citoyen sous un déluge de feu, entre la propagande, la peur, et ses propres manquements à l’esprit de l’histoire. Et avec une abstention record, 39%.
Plus de 4 millions de Grecs vivent sous le seuil de pauvreté, 1,5 million sont au chômage et des dizaines de milliers de citoyens issus des «forces vives de la nation», comme on disait jadis, sont obligés à l’émigration forcée. Restent les petits, moyens et grands bénéficiaires du clientélisme et du «paléopartisme», en dehors de toute statistique je les évalue à deux ou trois millions «d’heureux citoyens», et électeurs, plutôt naturels de la Nouvelle Démocratie. C’est déjà suffisant, même de justesse, pour valider la vassalisation diachronique du pays et la poursuite de l’EuroTINA (The is no Alternative, un slogan attribué de Magaret Thatchter qui sera la Première ministre conservatrice de 1979 à 1990 du Royaume-Uni).
Pourtant on craint les réactions populaires. Les «journalistes» et les politiciens Nouvelle Démocratie et PASOK n’avaient que cette phrase à la bouche: «Eviter la pagaille, il ne faut pas que SYRIZA fasse descendre son peuple dans la rue en opposition au prochain gouvernement d’Union nationale auquel malheureusement, il ne souhaite pas participer.»
La crise humanitaire nous concerne déjà, d’ailleurs, ce lundi à l’aube (pas dorée) [1], un homme de quarante ans s’est suicidé en ingurgitant du pesticide en Crète. La symbolique est tragique dans toute son ironie à travers l’étymologie bien appropriée par ces temps de crise: tuer le pestis, l’animal nuisible, en latin.
Mais la nouvelle gouvernance laisse à penser que vaut mieux inciter le pestis à se suicider, politiquement et physiquement. Nous y sommes aussi en Grèce. Sauf qu’après 12 milliards de mesures [d’économie] supplémentaires exigées dans le cadre de «la signature», et la crise humanitaire, le pestis [le peuple peste] pourra se révolter. D’où l’incitation de Costas Simitis (Premier ministre Pasokien de la Goldman Sachs, de l’Euro et prophète du Troïkanisme) [2] ce lundi matin: «Formez un gouvernement et vite, entre la Nouvelle Démocratie, le Pasok et la Gauche démocratique de Kouvelis) pour garantir l’orientation européenne du pays.» Voilà pour la prochaine probabilité. Et comme je l’avais déjà écrit dans des notes depuis longtemps (et certains lecteurs ne voulaient pas me croire); et sa «Gauche démocratique» est une formation politique pro-mémorandum, mise en place un mois après le premier mémorandum de 2010, justement pour jouer ce rôle, et ceci indépendamment de la décision finale de ses élus (participer ou pas à un gouvernement).
Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, Angela Merkel, François Hollande et Barack Obama ont semble-t-il apprécié les résultats des élections grecques. La chancelière aurait téléphoné à Antonis Samaras pour le féliciter. Et François Hollande, à Evangelos Venizélos du PASOK, fort de son 13%. Les places boursières repartent à la hausse et celles de nos villes sont vides.
C’est la première fois depuis la précédente occupation – celle des années 1940 [voir sur ce site l’article ayant trait au pillage de forces nazies durant la Seconde guerre mondiale, en date du 1er mai 2012: «La Grèce et l’occupation par les forces du IIIe Reich (1941-1944). Quels dédommagements? La dette de qui envers qui?»] – que des journaux allemands (pas encore édités à Athènes) s’adressent aux Grecs en leur langue pour leur «suggérer» les seules options du futur. «Le futur n’appartient pas aux trouillards, mais à ceux qui osent communier avec l’espoir», réplique Alexis Tsipras, porte-parole de SYRIZA. Sauf que les trouillards ont voté… pieds et mains.
Chez SYRIZA on pense que la situation va empirer et que la rue parlera. Et, ainsi, aux prochaines élections, il sera porté au pouvoir, tout seul, comme un grand. Beaucoup d’analystes ou «d’analystes» proposent également cette même grille de lecture. Ils oublient pourtant que nous sommes déjà dans un régime d’exception, devenue la seule règle.
Après sa demi-déconvenue, le système réfléchira plus d’une fois, avant de laisser ses pions organiser des élections à la baronnie. Et tous les Antonis Samaras comprendront dorénavant qu’on ne doit pas faire tout et surtout n’importe quoi, rien que pour satisfaire l’envie de se voir à tout prix «Premier ministre», en l’occurrence, le troisième sous la bancocratie [suite à Papandréou et à Papadémos]. Il est possible que les prochaines élections ou «élections» auront lieu dans quatre ans ou peut-être jamais.
Théoriquement, et selon la «science» politique classique, SYRIZA est le grand gagnant des élections, passant de 4,5% aux élections de 2009, à 27% le 17 juin 2012. Et que dire sinon de l’Aube dorée. C’est évident. Ou presque. SYRIZA pense pouvoir capter l’ensemble du centre-gauche et de la dynamique anti-mémorandum: «Le futur nous appartient, car le futur dure longtemps, entre-temps, nous ferons tout pour mettre en place des réseaux de solidarité et de la survie pour la population», a déclaré encore hier Alexis Tsipras. Cette lecture des faits est juste.
Chez l’Aube dorée on ne fait pas autre chose, les baffes en plus, la course au futur est lancée: Banques, SYRIZA, Aube dorée, et l’avantage indéniable est aux banques en ce moment.
Le parti communiste, enfin, est sur le point de s’effondrer. C’est autant dire combien l’isolationnisme et le rôle d’un parti-Cassandre n’est pas dans les priorités du peuple en Grèce [3]. A gauche surtout.
En attendant le match de football vendredi prochain, le 22 juin, au moins on est dans l’espoir: Grèce-Allemagne. Après tout, c’est aussi au sein de l’Euro 2012. Résistance?
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[1] Allusion à l’Aube dorée, l’organisation néonazie. (Réd.)
[2] Konstantinos (Costas) Simitis, membre du PASOK, a été premier ministre de 1996 à 2004; membre d’une «grande famille» grecque, après avoir enseigné en RFA, il sera professeur à l’Université d’Athènes. Il sera membre du Groupe Amato, commission dite de sages qui ont proposé une réécriture de la Constitution européenne, finalement proposée en 2007. Elle était présidée par l’Italien Guliano Amato. Dans cette commission, portant comme nom effectif Comité d’action pour la démocratie européenne, on retrouvait le Français Michel Barnier, ancien ministre de l’Agriculture et commissaire européen; Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Economie en France; Jean-Luc Dehaene, premier ministre de Belgique et ancien président de la Convention européenne; l’Allemand Otto Schilly, avocat en ancien ministre de l’Intérieur; etc. (Réd.)
[3] Le dimanche soir, 17 juin 2012, à 21h40, P. Grigoriou écrivait: «La première évidence est poétique: selon les sondages à la sortie des urnes ainsi que selon les premiers résultats, la droite de la Nouvelle Démocratie et la Gauche Radicale de SYRIZA seraient à égalité, ou enfin presque. 30% pour la droite et 26% pour SYRIZA. Donc la nuit électorale sera vraisemblablement longue pour bien affiner tous les paramètres du vote. Pour la gauche c’est déjà avoir un pied dans le futur et non pas dans le gouvernement, et ceci indépendamment du résultat final. La «droite complète» (Nouvelle Démocratie et ce qui en reste du PASOK) pourrait probablement gouverner ou «gouverner», dès demain lundi 18 juin.
La guerre faite par le système à la gauche a atteint des sommets de tout point de vue. L’entrepreneur Melissanidis (marine marchande, raffinage, vente) a menacé de quitter le pays en cas de victoire de la gauche. Lui et d’autres entrepreneurs ont «suggéré» à leurs employés (restants) de voter en faveur du mémorandum. Tout comme le système galactique Bruxellois et FMIste ainsi que leurs enfants adoptifs du système solaire journalistique grec. Ces derniers mériteraient bien leur salaire dans un sens.
Une deuxième évidence: chez les moins de cinquante ans SYRIZA devance de plus de dix points la droite. A Athènes et à Salonique, la peur a moins fonctionné qu’ailleurs, mais «ailleurs» on a eu peur. Mais la peur n’est pas une philosophie politique, ni même une philosophie tout court, semble-t-il.
Le «bateau pirate» de la Nouvelle Démocratie et son équipage si comme on peut supposer, ils nous «gouverneront», c’est le «délestage social» qui se poursuivra et nous n’aurons certainement pas comme cap… l’île au trésor.
Dernière évidence, l’Aube dorée est l’autre grand gagnant durable de notre synchronie paroxysmique. Et, aux antipodes, le parti communiste est le dernier parti à pouvoir faire son entrée au Parlement, une première historique. Toute la gauche a été aspirée par SYRIZA et l’isolationnisme de l’eschatologie du Grand Soir n’est pas une priorité pour le peuple de gauche et pour le peuple tout court, car d’abord il ne faut pas mourir.
Donc le prochain mémorandum se nommera autrement et rien ne sera réglé. La peur l’a peut-être emporté sur l’espoir pour le moment, mais certainement pas sur la poésie du futur.»
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