Grèce: un gouvernement avec un banquier aux «Finances»

Grèce: Rapanos, le banquier du gouvernement

Par Panagiotis Grigoriou

Le 21 juin 2012, le nouveau gouvernement présidé par Antonis Samaras entre en fonction. Parmi les ministres, des «techniciens» comme Antonis Manitakis, professeur de droit constitutionnel, ou encore le ministre de l’Energie et du climat, Evangelos Livieratos. Vassilis Rapanos, proche de Papadémos, est un banquier et «technicien» de l’austère finance, ex-président de la Banque centrale. Le ministre du Travail et des affaires sociales, Yiannis Vroutsis, est de la Nouvelle Démocratie, comme tous les membres du gouvernement.

L’accord a été passé entre les partis soutenant le gouvernement de demander à l’Union européenne (et donc aux créanciers) deux ans de plus pour réussir à atteindre les objectifs liés aux deux mémorandums. Antonis Samaras a eu l’honneur de recevoir une missive d’Angela Merkel, soulignant les «espoirs» mis par le gouvernement allemand dans ce nouveau gouvernement et réaffirmant la nécessité de «renforcer la profonde amitié entre nos peuples». Un style de RDA! L’opposante protestante a appris quelque chose du sabir d’Honecker and Co.

Le PASOK d’Evangelos Venizélos choisit de ne pas participer au gouvernement en affirmant que la question centrale était: «la composition de l’équipe qui irait négocier les modifications du plan d’aide». Ce qui pose aussi la question de la durée du gouvernement. Ces partis «se rendant compte» que SYRIZA en période de crise politique ouverte, nouvelle, pourrait s’imposer. La Gauche démocratique votera la confiance au gouvernement et dit vouloir examiner, en permanence, la situation et le résultat des négociations avec la Troïka, pour déterminer la poursuite de ce soutien. Le passage d’un parti anti-mémorandum à un parti qui soutient un gouvernement appliquant le mémorandum exige quelques simagrées.

Au sein de SYRIZA le débat est ouvert sur la forme et le contenu de la politique d’opposition, ainsi que sur les règles de fonctionnement du parti-Syriza, qui n’est plus une coalition au sens formel du terme. Quant à Aube dorée, ce parti néonazi menace ouvertement les forces de gauche en termes d’attaques physiques. (cau)

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Ce jeudi 21 juin le gouvernement nouveau est enfin annoncé. Le flottement a déjà duré un moment relativement long. L’espoir a aussi flotté, l’autre porte du futur s’est ouverte, puis elle s’est refermée, mais pas complètement. «Le peuple s’est exprimé», comme on dit. Un vote assez sociologique, et pour tout dire décevant, nous revoilà donc sous la ligne de flottaison. Ce n’est pas la gueule de bois pourtant chez les Athéniens, mais plutôt de l’amertume.

On le sent en cheminant à travers le centre-ville et au-delà, jusqu’aux quartiers populaires du Pirée et les faubourgs aisés de Kifisia: «Nous sommes allés jusqu’à la source, mais sans pouvoir boire de l’eau. C’est l’opinion de ma fille, elle a voté SYRIZA, rien à faire pour qu’elle vote, disons, plus raisonnablement, nous autres, nous avons fait comme d’habitude, c’est en face et ce n’est pas l’inconnue», a dit un retraité assis sur la terrasse d’un café. Juste en face, les locaux de la Nouvelle Démocratie, des boutiques de luxe et des citadins raisonnables et raisonnablement aisés, enfin soulagés. D’autres, par contre, préparent leurs valises.

Georges, un des meilleurs illustrateurs du pays s’en va pour Londres: «J’ai trouvé un vrai travail, évidemment, mon talent et mon parcours ont été appréciés, en Grèce, ces derniers mois je travaillais pour quelques centaines d’euros par mois, des groupes de presse, ainsi que certaines maisons d’édition me doivent beaucoup d’argent et je sais qu’ils ne peuvent plus honorer nos contrats. J’avais déjà effectué toutes les démarches, mais j’ai voulu attendre les élections de juin pour donner une réponse définitive. Je ne peux pas attendre une future, et néanmoins encore improbable, victoire de Tsipras dans deux ou quatre ans. Mon épouse et moi, nous nous sommes également assurés de la poursuite de la scolarité de notre enfant à Londres, nous avons déjà trouvé un appartement, nous y serons fin août. La Grèce est un pays terminé, dommage…»

Parmi les fervents défenseurs du front anti-mémorandum, certains et pas les moins virulents, se retrouvent déjà éparpillés aux quatre coins de la planète. Fait relativement nouveau, et qui s’accentue depuis quelques mois, il y a beaucoup de message d’auditeurs, adressés à des radios telle Real-Fm, en provenance du très vaste monde: Londres, Dubaï, Australie, Allemagne, Canada, Thaïlande, Californie, Et ces concitoyens, d’habitude très qualifiés, ne sont pas les enfants de la diaspora grecque déjà historique, car ils ont pour point commun de vivre et de travailler encore en Grèce, au moment du premier mémorandum.

Et «comme par hasard» aussi, ils ne sont pas favorables aux partis du mémorandum et à l’occupation bancocrate: «Nous n’avons pas le droit de voter au consulat, comme les ressortissants des autres pays dans pareil cas, c’est encore une honte», a déclaré une auditrice sur Real-fm récemment, depuis son lieu de travail à Madrid, jointe par téléphone.

Déjà, en 1949, la victoire de la droite et la rupture sociale et sociétale alors exacerbée par la guerre civile ont obligé bon nombre de techniciens supérieurs, d’artistes et de penseurs, à quitter le pays, parmi bien d’autres, Cornelius Castoriadis, Iannis Xenakis et Kostas Axelos.

En 2012, d’autres citoyens, et qui restent en Grèce, emmènent leurs enfants à l’école publique en grosse 4×4, comme ce matin, comme j’ai pu l’observer à Argyroupolis, un quartier situé au sud-est d’Athènes, ce jeudi matin. Ils ont pourtant le regard vide et la peur au ventre ces gens. Et ainsi, ils votent parfois en conséquence. En analysant le vote de juin à Athènes, on sait déjà que la progression de SYRIZA dans les quartiers résidentiels aisés a été bien moindre, comparée à la progression du vote en faveur de la Nouvelle Démocratie (ND), ayant comme point de départ le vote du mois de mai (le 6 mai). C’est exactement l’inverse qui s’est produit dans les quartiers populaires et chez les jeunes, les chômeurs et les employés (restants) du secteur privé.

Certes, les habitants de l’agglomération athénienne ont massivement voté a gauche, plus que le reste du pays, sauf que la dynamique de la «reconquête» de la Nouvelle Démocratie n’a pas été négligeable. On peut pourtant considérer, et ceci est un constat issu des enquêtes à la sortie des bureaux de vote, que le vote Nouvelle Démocratie (au-delà du score du mois de mai) n’est pas un vote d’adhésion, mais de soutien par un mécanisme psychologique et de raisonnement complexes. Par contre, le vote SYRIZA, dans son ensemble pratiquement, demeure un vote d’adhésion forte et de volonté de changement.

Le nouveau gouvernement Samaras «consacré» par l'archevêque, le 21 juin 2012

Sauf que seul le résultat compte, comme au poker. Adonis Georgiadis, ex-ministre, appartenant au parti de l’extrême droite Laos, «transféré» à la Nouvelle Démocratie durant le règne du gouvernement du banquier Papadémos, et actuellement député (N.D.) actif au sein de la nouvelle «Troïka de l’intérieur» (Nouvelle Démocratie, PASOK et Gauche Démocratique), vient de déclarer à la presse «qu’il ne faut plus raconter que le gouvernement n’a plus de légitimité pour appliquer les mesures actuelles et prochaines du mémorandum, et surtout il ne faut plus s’amuser à manifester ou à se montrer mécontent occupant les trottoirs, les ministères ou les rues, car le peuple souverain a voté».

En effet, la «Troïka de l’intérieur» représente en termes de suffrages exprimés 48% des votants. Et ceux qui pensaient voter anti-mémorandum ou «à gauche», choisissant le «sérieux» Fotis Kouvelis et sa «Gauche Démocratique», n’ont voulu écouter ni les avertissements ni les analyses pourtant disponibles, donc on ne peut pas les considérer comme des irresponsables. En effet, ils n’ont pas voté en «simples ignorants». Telle Sandra, enseignante au sein de l’école publique: «J’ai perdu la moitié de mon salaire depuis 2010, certes, mais j’ai peur. Tsipras va trop loin, tout peut s’effondrer avec lui au pouvoir, l’Europe nous coupera les vivres, je peux encore m’en sortir avec 500 euros par mois (son salaire net est de 800 euros par mois), mais sans salaire du tout et dans le chaos, j’ai peur, donc je voterai pour Kouvelis, c’est de la gauche et en plus, il est sérieux, lui.» Pour compléter l’implicite dans ce raisonnement, je dois préciser que Sandra enseigne les Arts appliqués dans un collège public, étant de service en moyenne quatre à huit heures par semaine.

La politique d’embauche (concours et titularisations) et de répartition du personnel (ici c’est du clientélisme et de la cooptation sous le haut patronage des syndicats inféodés au système bipartite) dans la fonction publique durant ces vingt dernières années a conduit à retrouver dans certains établissements, et pour certaines disciplines, un personnel, devenu pléthorique. Après tout, chaque jeune diplômé espérait encore devenir enseignant il y a deux ans, dans un pays où «l’économie réelle» était déjà morte, avant le mémorandum. Au même moment, le clientélisme alimenté par les fonds de l’Union européenne fabriquait ses «clients de série», laissant les escrocs mondiaux, les multinationales allemandes, françaises et autres, ainsi que les «entrepreneurs privilégiés» traitant avec l’État, s’enrichir sur le travail du peuple, et sur la vraie-fausse richesse, alors «soigneusement» générée par l’endettement du pays. Les petites ou grosses miettes restantes, et l’injustice fiscale (dont la fraude), ont complété notre tableau vivant de la classe alors très moyenne, jusqu’au temps des Troïkans.

Ce n’est pas une Guerre cvile que nous vivons, mais une fracture dans la société et dans les représentations. Hier, mercredi, des producteurs de légumes venus de l’île de Crète, [dans laquelle une délégation allemande a été pour contrôler la situation économique!] ont distribué gratuitement 25 tonnes de leur production sur une place athénienne. Et il y a eu des milliers de citoyens pauvres et précarisés qui ont fait la queue pour un kilo de tomates. Car ce n’est pas parce que certains emmènent encore leurs enfants à l’école en grosse 4×4, que pour autant, le pays ne serait pas en train de connaître une crise humanitaire.

«Le diable a trempé sa queue dans nos affaires depuis deux ans, et quoi qu’il arrive, après la formation du nouveau gouvernement, nous allons droit dans le mur, enfin je le répète, même ma fille a voté SYRIZA, elle est mariée à un Egyptien et communiste de surcroît, ces gens croient en plus en un autre dieu, ma fille ne fait qu’à sa tête, mais je la comprends quelque part, malgré notre situation elle prétend qu’elle n’a plus d’avenir dans ce pays, surtout géré par les mêmes politiciens véreux qu’avant, elle est diplômée ma fille, mais elle ne trouve pas de travail… la fonction publique n’embauche plus du tout, je ne sais plus comment argumenter face à elle. Pour l’instant on est bien soulagé depuis la victoire de la Nouvelle Démocratie, mais sous peu, il va falloir renforcer le pouvoir de l’armée», expliqua à ses convives un retraité adepte de la Nouvelle Démocratie et habitant de Kifissia, c’était avant-hier matin.

Autour de cette table voisine, les autres, retraités également, ont approuvé. Ils se sont mis d’accord pourtant sur les méfaits du népotisme, sur les exagérations de leur génération, sur les médecins-voleurs et sur la rareté actuelle de certains médicaments : «J’ai eu un mal fou à trouver mon Nootrop (Piracétam) et le Plavix (Clopidogrel), je dois payer comme tout le monde, heureusement que nos retraites sont encore versées.» A côté, un homme encore actif, ou peut-être chômeur, s’est étonné des récents suicides post-électoraux: «Je ne comprends pas, il y a eu trois suicides déjà depuis les élections, pourquoi ceux qui se suicident n’accomplissent pas cet acte en emportant avec eux, dans la mort, un ou deux responsables de la situation, des politiciens PASOK ou Nouvelle Démocratie, puisque de toute façon, ces gens mettent fin à leurs jours?»

Villa de Kifissia, au nord d'Athènes

Entre ces deux espaces masculins, quatre jeunes femmes, assises à proximité, n’ont parlé que de leurs emplettes et du lieu de leur prochaine baignade, discussion pour une fois se situant en dehors de la crise, et pourtant. N’ayant pas visité le quartier de Kifissia (quartier au nord d’Athènes, parmi les plus huppés) depuis l’hiver dernier, j’ai remarqué que de nombreuses boutiques ont fait faillite et il y a beaucoup plus de mendiants ou de musiciens-mendiants. Un jeune commerçant du quartier, et son ami, venu rendre visite à vélo se montrèrent sur une autre longueur d’onde que les retraités: «Dorénavant, c’est à vélo que nous nous déplaçons… les gens sont c… ils râlaient réclamant des élections et ils ont voté pour les mêmes déchets politiques, honte!», tandis que d’autres habitants du quartier pensent, non sans ironie, que l’argent arriverait maintenant par avion ou par train, depuis Berlin, et ceci grâce à Samaras.

Ces derniers jours je me suis aussi trouvé au Pirée. Dans les quartiers populaires le ton est beaucoup plus grave et le regard social des habitants est encore plus «vide», «éteint», ou sinon «allumé», mais autrement que dans les quartiers huppés. Contrairement aux quartiers aisés, la thématique de l’immigration demeure omniprésente, dans les discours et dans les faits: «Je n’ai pas le droit de pratiquer le commerce ambulant, je ne peux plus me soigner à l’hôpital car je ne peux pas payer, ma maison est une ruine et les escrocs en réclament des taxes sur la propriété, mais les Pakistanais, eux, vendent de tout, se font soigner, ils n’ont pas honte, ils nous em…».

C’était sous un abribus devant le port, propos d’un homme relativement âgé, visiblement malade, dans un monologue pathétique. Il était en train de hurler. Personne n’a répondu pourtant à ce monologue, seulement, tous ceux qui assistèrent à la scène, attendant le bus sous 38°C, ont tout simplement baissé les yeux par honte et par peur, tout en approuvant ces propos. Pourtant en face, une banderole SYRIZA, écrite en langue anglaise, prônait un autre argumentaire, mais en anglais, il est vrai que certains touristes sont déjà arrivés, enfin. Et la banderole devint invisible par tous.

Entre-temps, à la radio et à la télévision les perroquets du système boivent du petit-lait. Chez les hyper-riches du pays on fait la fête, car selon mes sources indirectes, mais fiables, chez ces couches sociales, la perspective probable SYRIZA a provoqué une vraie panique. Ce n’est pas parce qu’Alexis Tsipras instaurerait les «Soviets des Cyclades» entre Syros et Naxos, non, pas du tout. Néanmoins, SYRIZA est la seule formation politique (parmi celles qui souhaitent gouverner), qui par une certaine force morale (à vérifier évidemment, si jamais…), capable à mettre un terme, ou au moins à réduire la portée de l’imbrication mafieuse entre l’administration, le vieux bipartisme, les intérêts des «entrepreneurs exclusifs», dans le BTP (Bâtiment et travaux publics), la marine marchande, l’église, la presse, le commerce des armes et évidemment, le haut patronage allemand et autre de la baronnie.

Ce soir ils peuvent être soulagés tous. Le nouveau «gouvernement» comporte des représentants de tout ce petit monde, avec un avantage clair, accordé aux banquiers. Le ministre des Finances est un banquier Vassilis Rapanos, un ex-conseiller du Premier ministre Simitis et co-architecte, comme Papadémos, de l’entrée de la Grèce dans la zone euro: «Le banquier Vassilis Rapanos, 65 ans, un vieux routier de la gestion économique grecque, proche des socialistes, a obtenu le poste crucial de ministre des Finances», souligne Le Monde dans son édition électronique jeudi soir. Le secrétaire d’Etat à la Marine, Georges Vernicos, est le PDG de Vernicos Yachts, plus quelques universitaires proposés par la «Gauche» Démocratique pour la poudre de sucre sur le gâteau.

Je remarque que le Ministère de la Culture n’est plus, «transformé» en secrétariat d’État, désormais au sein du Ministère de l’Éducation. Nos archéologues, nos poètes, nos musiciens et nos peintres apprécieront également… la transition et… le vaste monde. (21 juin 2012)

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