
Par Christopher Bertram
Après que la ministre de l’Intérieur, Shabana Mahmood, ait annoncé hier à la Chambre des communes les nouvelles politiques du gouvernement visant à «Rétablir l’ordre et le contrôle» (Restoring Order and Control), les députés se sont succédé pour saluer la «fière tradition» du peuple britannique en matière d’accueil, d’ouverture et de tolérance, avant d’aborder les questions de l’«arrêt des bateaux», de l’«équité pour les contribuables britanniques» et de l’éventuel hébergement des demandeurs d’asile à proximité de leurs électeurs.
La Convention européenne des droits de l’homme a été mentionnée si souvent qu’on aurait pu imaginer qu’il s’agissait du traité international au cœur du statut de réfugiés. Ce n’est pas le cas: il s’agit de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, largement absente du débat.
La ministre de l’Intérieur, tout en louant la tolérance du peuple britannique, a évoqué ses propres expériences du racisme, non pas pour alerter la Chambre sur le fait que le racisme et l’intolérance sont un problème au Royaume-Uni, mais pour se protéger contre ses détracteurs humanitaires. Lorsque des députés ont tenté d’exprimer leur inquiétude quant à l’impact de ses mesures sur la vie réelle des réfugié·e·s [demandeurs d’asile], elle les a rejetés en les qualifiant de défenseurs d’un «système défectueux».
Avec ces politiques, le gouvernement travailliste – effrayé par Reform, par les drapeaux flottant sur les lampadaires et par les manifestations devant les «hôtels» pour les demandeurs d’asile – espère apaiser l’inquiétude du public concernant l’immigration clandestine et les «petits bateaux». Shabana Mahmood et Keir Starmer affirment que les gens traversent des «pays sûrs» pour venir au Royaume-Uni en raison de «facteurs d’attraction» tels que le travail, le regroupement familial, la possibilité d’obtenir la résidence permanente après cinq ans et, plus tard, la citoyenneté. Pour prouver que le Royaume-Uni offre un passeport doré qui attire les migrants indésirables, «Restoring Order and Control» présente une seule statistique datant de 2024, qui montre que les demandes d’asile ont augmenté de 18% au Royaume-Uni et diminué de 13% dans l’Union européenne. Une vision à plus long terme aurait montré que le Royaume-Uni se situait en queue de peloton en termes de réfugié·e·s par habitant.
Le gouvernement affirme s’inspirer du modèle danois, qui rend plus difficile l’installation permanente des réfugiés, limite le regroupement familial et expulse les personnes dès que leur pays d’origine est considéré comme «sûr». Les réfugiés ne peuvent pas demander la résidence permanente au Danemark [social-démocrate et l’un des plus stricts dans l’UE] avant d’y avoir séjourné pendant huit ans; le gouvernement britannique propose désormais une attente de vingt ans. Pendant cette période, les réfugiés devront renouveler leur demande d’asile tous les trente mois, sous peine d’être expulsés de force.
Le terme utilisé par le gouvernement pour désigner ce nouveau statut est «protection de base». Les réfugiés devront travailler s’ils le peuvent et ceux qui possèdent des biens de valeur – à l’exception, semble-t-il, des alliances – risquent de se les voir confisquer pour payer leurs frais d’entretien, les ministres alimentant les fantasmes d’extrême droite sur les demandeurs d’asile fortunés propriétaires d’Audi et de vélos électriques.
(Les demandeurs d’asile en attente d’une décision sur leur statut de réfugié ne seront toujours pas autorisés à travailler, et l’interdiction sera appliquée de manière plus rigoureuse.) Une ancienne ministre conservatrice, Karen Bradley, a émis l’idée que l’aide aux réfugiés devrait être traitée comme le système de prêts étudiants: les réfugiés étant tenus de rembourser au cours de leur vie. Cela ne fait pas partie des projets actuels du Parti travailliste, mais Shabana Mahmood n’a pas été choquée par cette suggestion.
Les sections de «Restoring Order and Control» qui mentionnent les enfants sont effrayantes, suggérant que de nombreux demandeurs d’asile amènent leurs enfants non pas parce qu’ils les aiment et s’occupent d’eux, mais comme un «fait» à «exploiter afin de contrecarrer leur expulsion». Les familles dont la demande d’asile a été rejetée peuvent continuer à bénéficier d’une aide financière tant qu’elles ont des enfants de moins de dix-huit ans. Le gouvernement cherche actuellement des moyens de supprimer cette aide.
Le Royaume-Uni ne procède actuellement à aucune détention d’enfants, mais les députés qui ont exprimé leur inquiétude quant à un éventuel changement n’ont reçu aucune garantie. Dorénavant, les personnes bénéficiant d’une «protection fondamentale» se verront refuser le regroupement familial.
Le statut de réfugié n’est pas censé être ainsi. L’idéal envisagé par la Convention relative au statut des réfugiés est que le statut de réfugié devrait être une sorte de citoyenneté de substitution pour les personnes dont le lien de citoyenneté avec leur pays d’origine a été rompu par la menace de persécution. Les personnes déplacées par la persécution et la guerre peuvent très bien vouloir rentrer chez elles dès qu’elles le peuvent, mais d’ici là, elles doivent continuer à vivre leur vie comme tout le monde. Cela signifie poursuivre leurs espoirs et leurs aspirations en matière d’éducation, de travail et de famille. Ce sont des objectifs déjà difficiles à atteindre pour les exilés dans un nouveau pays, avec une langue et des coutumes inconnues et, souvent, des voisins méfiants, peu compréhensifs et mal informés.
Si votre permis de séjour est limité à trente mois, il est difficile de s’engager à apprendre une langue, à développer des compétences, à se faire des amis, à fonder une famille et à s’intégrer dans la société au sens large. Un tel engagement est nécessaire non seulement de la part des réfugiés eux-mêmes, mais aussi de la part des employeurs, des propriétaires et des établissements d’enseignement, qui seront réticents à consacrer des ressources à une personne susceptible d’être expulsée du pays à court terme.
Le gouvernement promet des «voies sûres et légales» comme alternatives à l’embarquement sur un petit bateau à Dunkerque. Cependant, le nombre de personnes arrivant par ces voies sera limité à des niveaux modestes, qui ne seront augmentés que lorsque le système sera «sous contrôle» et que beaucoup moins de personnes entreprendront des voyages dangereux vers le Royaume-Uni.
Toutefois, si le nombre d’entrées illégales doit diminuer grâce à l’existence d’une voie légale, comme l’affirme le gouvernement, cette voie doit être mise en place avant que les réfugiés ne soient confrontés à la décision existentielle de voyager, ce qui ne sera pas le cas. Les voies sûres elles-mêmes sont destinées en particulier aux étudiants et aux réfugiés qualifiés, et le gouvernement semble suggérer que les autres réfugiés, une fois qu’ils travaillent, pourraient passer à une «procédure de visa de travail et d’études» pour obtenir le droit de s’installer après dix ans.
Ce qui semble être envisagé, c’est un système à deux vitesses dans lequel les réfugiés utiles sur le plan économique sont recrutés et retenus, tandis que ceux qui bénéficient d’une «protection fondamentale» sont éliminés dès que possible. Le système de révision tous les trente mois fonctionnera parallèlement à d’autres mesures visant la criminalité et les comportements antisociaux afin d’exclure les personnes indésirables.
Dans ce contexte, la détermination du gouvernement à «réformer» l’article 3 de la CEDH semble également inquiétante: sans réforme, il est plus difficile d’expulser les personnes malades, handicapées et âgées vers des pays où elles ne peuvent pas bénéficier de soins de santé décents. Le régime de protection des réfugiés du Royaume-Uni a toujours été hypocrite, les gouvernements successifs proclamant leur adhésion aux principes humanitaires et à l’ordre international tout en faisant de leur mieux pour ne pas avoir à supporter les coûts et les obligations liés à ces engagements dans la pratique.
Pendant ce temps, dans tout le pays, des militants et des conseillers du Parti travailliste soutiennent depuis longtemps les réfugiés et les associations caritatives qui leur viennent en aide, et font la promotion de leurs villes et quartiers comme des lieux de tolérance et d’accueil. Il s’agit maintenant de déterminer si ces partisans de base du Parti travailliste sont prêts à tolérer des politiques aussi ouvertement hostiles à leurs valeurs professées. (Article publié dans le London Review of Books, 18 novembre 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
Christopher Bertram est professeur émérite de philosophie sociale et politique à l’Université de Bristol. Son ouvrage intitulé Do States Have the Right to Exclude Immigrants? a été publié en 2018 (Ed. Political Theory Today).

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