Par Lance Selfa
La victoire de Zohran Mamdani, le 24 juin, lors des primaires du Parti démocrate pour désigner le candidat du parti à l’élection du maire de New York en novembre, a semé la panique parmi l’establishment politique et l’élite économique.
Le socialiste démocrate Zohran Mamdani a vaincu l’ancien gouverneur Andrew Cuomo, trois fois élu (de janvier 2011 au 23 août 2021). Les 25 millions de dollars de fonds de campagne de Cuomo – provenant de l’ancien maire milliardaire Michael Bloomberg (de janvier 2002 à décembre 2013), d’intérêts immobiliers et de géants de Wall Street – n’ont pas suffi à vaincre quelqu’un qui était pratiquement inconnu il y a quelques mois encore.
Lorsque la ville a dépouillé tous les votes dans le cadre du système de vote au scrutin préférentiel de New York, le résultat n’était même pas serré. Zohran Mamdani a remporté 56% des voix.
Andrew Cuomo et l’actuel maire Eric Adams, qui ne s’est pas présenté aux primaires parce qu’il se présente en tant qu’indépendant, ont attaqué Mamdani en le qualifiant de rêveur, de néophyte et, plus honteusement encore, d’antisémite. Pour ne pas être en reste, le président Trump a qualifié Mamdami, membre des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA), de «communiste fanatique» et, plus scandaleusement encore, a menacé d’expulser ce citoyen américain naturalisé.
La bonne nouvelle, c’est que malgré tout ce que l’establishment démocrate et Wall Street ont lancé contre Zohran Mamdani, les électeurs n’ont pas mordu à l’hameçon. A une époque où l’establishment bipartite criminalise la critique du sionisme et de l’Etat d’Israël, Mamdani n’a pas renoncé à son soutien aux Palestiniens et à sa condamnation de la guerre d’Israël à Gaza. A tout le moins, la victoire de Mamdani a montré que les Etats-Unis ne sont pas inexorablement en train de glisser vers la droite, même à New York, où Trump a réalisé d’importants gains malgré une faible participation démocrate lors de l’élection présidentielle de 2024.
Mamdani a axé sa campagne sur un ensemble de promesses simples découlant du coût de la vie de plus en plus inabordable pour les travailleurs et travailleuses de base de New York. Il s’agissait notamment de geler les loyers, de rendre les bus gratuits et d’ouvrir des épiceries municipales.
Le message de Mamdani a trouvé un large écho, en particulier parmi les jeunes électeurs et électrices et les électeurs immigrés de New York. Mamdani a remporté près de 470 000 voix sur plus d’un million de suffrages exprimés. En revanche, lors des élections primaires de 2021 remportées par Eric Adams, ce dernier a obtenu 289 000 voix sur environ 801 000 votes exprimés. Mamdani a réussi à augmenter l’électorat en attirant un nombre plus élevé de jeunes électeurs et électrices que beaucoup ne l’auraient cru possible. Par rapport à Cuomo, Mamdani a remporté une victoire écrasante dans les quartiers les plus multiraciaux de la ville.
Depuis sa victoire, Mamdani a obtenu le soutien des syndicats qui avaient soutenu Cuomo. Et les électeurs noirs, qui constituent une part importante de la base du Parti démocrate dans laquelle Mamdani a obtenu des résultats médiocres, se tournent désormais vers lui. Etant donné qu’il est le candidat du Parti démocrate dans une ville à forte majorité démocrate, il est le favori pour remporter les élections de novembre.
Mais ses adversaires ne vont pas se laisser faire. Cuomo s’est joint à Adams pour lancer une candidature indépendante, et le candidat républicain de longue date, l’ancien leader des Guardian Angels (milice non armée effectuant des patrouilles dès 1979 dans le métro de New York) Curtis Sliwa, est également dans la course. Les forces anti-Mamdani disposeront de millions de dollars provenant de Wall Street, des propriétaires immobiliers et des pro-israéliens. Mais elles n’ont aucun programme positif. Et elles ont un problème de coordination. Chacune d’entre elles pense être l’adversaire le plus redoutable de Mamdani et restera dans la course pour le prouver. En conséquence, ils diviseront le vote anti-Mamdani et finiront probablement tous par être perdants. Bon débarras!
Si Mamdani gagne, que pouvons-nous attendre de son administration? Jamie Dimon, PDG de la grande banque JP Morgan Chase, a qualifié Mamdani de «marxiste» «prônant la même idéologie creuse qui n’a aucun sens dans le monde réel». Malgré toute cette rhétorique ridicule qui le qualifie de radical dangereux, les propositions de Mamdani sont modérées. Mamdani et ses partisans au sein de DSA embrassent ouvertement le modèle du «socialisme des égouts» du début des années 1900. [socialisme dit municipal qui s’est développé entre autres dans la ville de Milwaukee; en 1912, les socialistes gouvernaient de nombreuses villes aux Etats-Unis, en particulier jusqu’à la fin des années 1920]. Ce qualificatif a été donné aux responsables municipaux du Parti socialiste qui ont renoncé à la politique radicale au profit d’une gestion banale des services municipaux.
Mais les réformateurs qui l’ont mis en œuvre, en particulier à Milwaukee, dans le Wisconsin, bastion de certains des socialistes les plus conservateurs, ont choisi d’adopter le «socialisme des égouts». Pour eux, le «socialisme» signifiait diriger des gouvernements «propres» (non corrompus) qui fournissaient des services publics. Ce type d’administration municipale est clairement préférable au copinage corrompu, mais il est loin de constituer une transition vers le socialisme.
Le Wall Street Journal a même trouvé quelques millionnaires et chefs d’entreprise prêts à soutenir publiquement Mamdani. Ils reconnaissent que les inégalités de revenus et le coût de la vie ont nui à leur capacité à recruter des employés qualifiés pour travailler dans la ville. Ils affirment que payer des impôts légèrement plus élevés peut améliorer la qualité de vie dans la ville et améliorer les équipements que tant de leurs détracteurs apprécient également.
De plus, Mamdani a approuvé des mesures, telles que l’assouplissement des réglementations sur les petites entreprises et l’utilisation des sols, qui s’inscrivent dans le cadre du programme dit «d’abondance» qui fait fureur chez les démocrates néolibéraux «centristes» [1]. En septembre dernier, avant d’annoncer sa candidature à la mairie, il a rencontré Kathy Wylde, une dirigeante de l’élite économique de la ville. Kathy Wylde a déclaré au Wall Street Journal que «[Mamdani] a dit: «Ecoutez, je ne suis pas favorable à ce que le gouvernement prenne le contrôle de vos entreprises.» […] Il a clairement indiqué qu’il n’était pas anticapitaliste dans ce sens.»
Deux de ses propositions – nommer les membres du Comité de stabilisation des loyers de la ville qui s’engagent à respecter sa promesse de geler les loyers et de rendre les bus gratuits – sont à sa portée en tant que maire. En fait, le précédent maire démocrate libéral, Bill de Blasio, a mis en œuvre des politiques similaires de stabilisation des loyers. Son projet de magasins d’alimentation municipaux est un projet pilote visant à ouvrir un magasin dans chaque arrondissement afin de «valider le concept». Dans une ville de plus de huit millions d’habitants, cela ne représente guère une menace pour le secteur de la distribution alimentaire.
Ses propositions plus ambitieuses, telles que l’éducation préscolaire universelle, devront être approuvées par l’Etat de New York afin que les taxes nécessaires à leur financement puissent être levées. Mais comme le souligne J.W. Mason, dans une analyse sympathique (Dissent, 4 juillet 2025) et bien informée des propositions de Mamdani: «Il convient toutefois de noter ici que les objectifs fondamentaux des propositions de Mamdani sont, du moins en théorie, partagés par le courant dominant du Parti démocrate. Le budget municipal récemment adopté prévoit des fonds pour un programme pilote universel de garde d’enfants, et la gouverneure Kathy Hochul [gouverneure depuis août 2021 suite à la démission de Cuomo, élue en novembre 2022] a créé son propre groupe de travail sur la question. Tout le monde s’accorde à dire que le logement est un problème majeur et que pour le rendre plus abordable, il faudra combiner des réformes de l’aménagement du territoire et des fonds publics.»
Ce qui distingue une position socialiste dans ce contexte, ce ne sont pas ses objectifs. C’est la volonté de prendre au sérieux le problème de la manière d’y parvenir, c’est-à-dire comment mobiliser le soutien de masse, mais aussi comment le financer, en augmentant les impôts si nécessaire.
Mais c’est là que le programme de Mamdani se heurtera à d’autres forces au sein du Parti démocrate, déterminées à le coopter ou à le briser. Il a obtenu le soutien de démocrates modérés comme l’élu démocrate à la Chambre des représentants [depuis 2017] Adriano Espaillat, qui avait auparavant soutenu Cuomo. Mais d’autres démocrates de premier plan, comme le représentant new-yorkais Hakeem Jeffries [leader de la minorité démocrate à la Chambre des représentants], qui serait en lice pour devenir président de la Chambre des représentants si les démocrates remportaient les élections de mi-mandat de 2026, n’ont pas apporté leur soutien à Mamdani. La gouverneure de New York, Kathy Hochul, n’a montré aucune volonté de soutenir les projets de Mamdani visant à augmenter les impôts.
Lors de ses campagnes électorales, Mamdani s’est toujours présenté comme démocrate. Comme le souligne ce compte rendu interne du DSA sur les prémices de la victoire de Mamdani (dropsitenews.com, 12 juillet) se présenter aux primaires démocrates fermées est un aspect crucial de la stratégie de DSA. Cela peut fournir aux candidats soutenus par le DSA un électorat plus prêt à voter pour eux, mais cela les rend également prisonniers d’un parti capitaliste. Ne voulant pas être ostracisés par les personnes qui ont une influence sur leur programme ou leur carrière, les candidats sont amenés à faire des concessions au courant dominant qui sapent leur indépendance, voire leur capacité à tenir leurs promesses envers leurs partisans. Ce processus contribue à transformer des socialistes de nom en «vieux démocrates ordinaires» (New York Intelligencer, article de Freddie deBoer, 25 juillet 2023).
Nous avons déjà vu ce processus prendre forme avec Mamdani. Le social-démocrate Eric Blanc pourrait considérer le rejet par Mamdani du «définancement de la police» (un objectif que Blanc a qualifié d’«ultragauchisme performatif») comme un coup de maître pour éviter d’avoir à répondre à de multiples «pièges» tendus par les journalistes et les trolls pro-police. Mais cela ne l’aidera pas à faire face à la police de New York, une armée qui engloutit des ressources et qui lui déclarera la guerre dès qu’il tentera de prendre des mesures pour mettre fin à ses exactions. Lors d’une réunion avec les dirigeants du Partnership for New York, la chambre de commerce de facto de la ville, il s’est dit ouvert à l’idée de maintenir la commissaire de police actuelle, Jessica Tisch (fille du PDG milliardaire de Leows Corporation, James Tisch – en février 2024, la famille Tisch était considérée comme la 43e plus riche des Etats-Unis).
Lors de cette même réunion, il s’est également engagé à dissuader les militants d’utiliser le slogan «globaliser l’Intifada» [slogan utilisé pour le soutien international à la résistance palestinienne et contre l’occupation israélienne], une expression qui a servi de prétexte à de multiples attaques contre lui, même s’il a répété à plusieurs reprises qu’il ne l’utilisait pas.
Qu’est-ce qui poussera Mamdani à tenir ses promesses envers ses partisans de la classe ouvrière, surtout lorsqu’il sera confronté à l’opposition de Wall Street, de la police ou des forces politiques établies? Ses partisans comptent sur les 50 000 militant·e·s que sa campagne a déclaré avoir mobilisés. Comme l’a dit Liza Featherstone, «le mouvement de masse qui l’a élu doit être prêt à l’aider à réussir, car la classe dirigeante (en particulier le secteur immobilier), l’administration Trump et la police feront tout leur possible pour faire échouer son mandat de maire» (Jacobin, 25 juin 2025).
Si cela est théoriquement possible, cela ne s’est presque jamais produit. Il y a trop de différences entre les mécanismes d’une campagne électorale et ceux d’un mouvement social nécessaire pour obtenir des réformes. Les marxistes soutiennent depuis longtemps que les élections sont la «forme la plus primitive» de la politique, car elles ne nécessitent pas le type d’engagement politique ou de mobilisation qu’implique un véritable mouvement social.
Il y a également la position de compromis à laquelle sera confronté quelqu’un comme Mamdani, en tant que directeur général d’une ville et patron de centaines de milliers de travailleurs municipaux. Tout d’abord, il devra former une administration, ce qui l’amènera sans aucun doute à recruter de nombreux militants de base au sein du gouvernement. Cela signifie que beaucoup de ceux qui pourraient faire pression sur le gouvernement depuis «l’extérieur» se retrouveront «à l’intérieur», défendant plutôt le programme du maire.
Le chef nominal de la police de New York utilisera-t-il son bureau pour mobiliser des manifestations lorsque la police brutalisera ou assassinera quelqu’un sous sa surveillance? Le PDG et employeur des enseignants et autres employés municipaux les soutiendra-t-il s’ils se mettent en grève contre l’austérité? Poser ces questions, c’est voir clairement les développements qui pourraient discréditer davantage la «voie électorale vers le socialisme» [ne serait-ce qu’au sens de socialisme municipal] plutôt que de la promouvoir. (Article reçu le 17 juillet 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Référence au livre de Ezra Klein du New York Times et Derek Thompson de The Atlantic, une vision des Etats-Unis où les décideurs politiques passent moins de temps à se battre sur la répartition des ressources rares et plus de temps à s’assurer qu’il n’y a pas de pénurie au départ. (Réd.)

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