Par Robert Lochhead
La merveilleuse Greta Thunberg a eu cent fois raison de qualifier ces conférences annuelles COP des cirques. Elles sont d’ailleurs aussi des foires commerciales et les lieux de tous les lobbyings. Elles noient les gouvernements disposés à agir au milieu de ceux qui freinent et de ceux dont on ne peut rien espérer comme les pays pétroliers. L’unanimisme de ces conférences a pour fonction d’éviter ce que les capitalistes appellent la distorsion de la concurrence : il faut universaliser les politiques afin d’éviter que, sur le marché mondial, les pays qui agissent soient concurrencés avec succès par ceux qui n’agissent pas mais s’économisent le coût des mesures efficaces. Cela repose donc sur l’idée que la lutte contre le réchauffement climatique est défavorable aux affaires.
Pour des conférences des gouvernements disposés à agir
Le croira-t-on ? La résolution adoptée par la COP 28 à Dubaï fut la première de l’histoire des COP à inclure les mots « fossil fuels/ combustibles fossiles »[1]
Car la Convention-cadre adoptée à l’unanimité par la Conférence de Rio en 1992 ne parlait, elle, que « d’éviter une perturbation anthropique dangereuse du système climatique. »
Il faudrait exiger des conférences internationales des pays disposés à agir efficacement et qui constituent une masse suffisante pour avoir un effet notable sur la planète, ce qui est appelé diplomatiquement « union of the willing. »Par exemple, l’Union européenne plus le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande, soit des pays où une pression populaire, une force démocratique, peut s’exercer sur les gouvernements. Plus la Chine, si elle réalise ses promesses de mesures efficaces contre le réchauffement climatique. Étant entendu que d’autres pays pourraient rejoindre plus tard.
Mais redisons-le : Sans pression sociale, rien ne se fera !
Pour un New Deal Vert ou un Projet Manhattan pour le climat
Il n’existe aujourd’hui aucun rapport de forces social pour un écosocialisme même si c’est la solution véritable. Cela imposerait rien moins qu’abolir le capitalisme. Mais il faut proposer à un mouvement social des objectifs prioritaires, à court et moyen terme, qui soient le ferment d’une lutte à long terme plus globale. Des objectifs qui soient repris par un mouvement social comme un pont entre la situation actuelle et la nécessaire transition ces prochaines années vers des objectifs de transformation à grande échelle plus vastes si le mouvement social se renforce. [2]
Il doit être possible de proposer des mesures fortes d’action gouvernementale et d’intervention étatique dans l’économie, comme évoquées dans la première partie de l’article, et pousser pour les imposer aux gouvernements. L’urgence d’éviter un monde à + 3ºC en 2100 n’est-elle pas suffisante pour des mesures comparables aux politiques de guerre des deux guerres mondiales, c’est-à-dire des injections massives d’argent public ?
Naomi Klein et beaucoup d’autres auteurs proposent un New Deal Vert parce que le New Deal de 1933 du président Franklin Roosevelt est un précédent d’un capitalisme corrigé par des grandes entreprises publiques. Avant 1990 et les privatisations néolibérales, il y avait encore des entreprises publiques, des banques publiques et des industries publiques, et des politiques économiques publiques, qui seraient aujourd’hui des points d’appui pour une action publique ambitieuse contre le réchauffement climatique.
Le New Deal de 1933-1938 a créé cette grande entreprise publique hydroélectrique, et de mise en valeur de la vallée du fleuve Tennessee, la Tennessee Valley Authority, qui a employé jusqu’à 30’000 salariés, et le Projet Manhattande 1941-1945 qui a construit la bombe atomique avec des usines publiques gigantesques employant 130’000 employés fédéraux.
Le projet Manhattan a coûté au budget fédéral deux milliards de dollars. Deux milliards de dollars d’alors équivalent aujourd’hui à un pouvoir d’achat de 40 milliards de dollars. C’est l’ordre de grandeur des investissements récents dans l’Intelligence Artificielle.
En 2019, le sénateur Bernie Sanders et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, les deux animateurs des Democratic Socialists of America, ont proposé un programme de Green New Deal qui prévoit d’injecter en 10 ans 16’000 milliards de dollars d’argent public pour la transition énergétique. Daniel Tanuro juge ce projet très réjouissant mais lui reproche d´être bien vague quant aux sources de financement, n’envisageant même pas une ponction fiscale sur les riches.[3]
Brian Deese du MIT, qui fut un haut fonctionnaire de la Maison Blanche sous Joe Biden, propose un Plan Marshall contre le réchauffement climatique en offrant au monde un grand financement public US pour exporter les bonnes technologies d’énergie propre des États-Unis, comme par hasard celles qui intéressent les compagnies pétrolières : la capture du CO2, l’hydrogène vert, produit à partir du pétrole ou du gaz naturel, l’énergie géothermique, plus le nucléaire. Ben voyons !
Mais l’idée d’un plan Marshall et, surtout, sa dimension sont intéressantes. Le Plan Marshall de 1947 pour reconstruire l’Europe eut un financement de 13 milliards $ jusqu’en 1952, ce qui correspond à 200 milliards $ d’aujourd’hui. Cela fut alors 5% du PIB des Etats-Unis, ce qui serait aujourd’hui 1000 milliards $. [4]
Des mesures concrètes quantifiées et popularisées
Jusqu’ici, on a compté sur des petites améliorations progressives, chaque année un peu moins de charbon, un peu plus d’électricité solaire, un peu plus de voitures électriques, un peu plus d’investissements dans des entreprises « vertes ». Ce qu’il faut, c’est des grosses tranches de mesures efficaces d’un coup, pour marquer une dynamique, pour mobiliser le grand public, pour démontrer que c’est possible.
Des mesures efficaces sont possibles qui ne soient pas d’avance choisies pour leur ajustement aux préférences du marché capitaliste mais qui n’y sont pas forcément contraires. Une liste doit être élaborée pour constituer un plan discuté publiquement.
Je commence par en citer seulement 5 exemples en attendant que la liste s’allonge par une réflexion collective. Chaque exemple mériterait, bien sûr, d’être développé car c’est plus facile à dire qu’à faire. Encore faut-il vouloir faire !
A-Remplacer tout le chauffage des bâtiments au mazout et au gaz naturel par du chauffage électrique, par une campagne volontariste sur 10 ans dans toute l’Europe.
Le chauffage des bâtiments, tant d’habitation qu’administratifs, commerciaux et industriels, consomme environ 35% de l’énergie totale consommée en Suisse. Principalement sous la forme de mazout et de gaz naturel. [5] Par conséquent, ce remplacement en Europe -en plus d’autres pays volontaires comme le Canada et l’Australie-, devrait permettre d’infléchir enfin un peu cette terrible courbe de Keeling.
Cela veut dire imposer aux propriétaires des immeubles des délais, subventionner massivement la production, l’achat et l’installation de nouveaux chauffages électriques, accroître en proportion la production d’électricité, par des moyens autres que les combustibles fossiles s’entend, et le réseau qui la distribue.
Bill McKibben nous signale cette mesure d’électrification du chauffage en présentant sous le titre The Future Is Electric dans la New York Review of Books du 4 novembre 2021 le livre de l’ingénieur Saul Griffith pour le remplacement des combustibles fossiles par l’électrification :
« Si nous devons couper en deux les émissions dans la présente décennie – un impératif – nous devons tailler dans l’usage des combustibles fossiles en grosses tranches, pas des petites. (…) Nos maisons consomment environ un cinquième de toute l’énergie, la moitié pour le chauffage et la climatisation, et un autre quart pour chauffer l’eau. “Le joyau des banlieues, la villa unifamiliale, domine la consommation d’énergie, loin devant les grands appartements au deuxième rang”, avertit Griffith. Le secteur de l’industrie consomme plus d’énergie – environ 30 quadrillons de BTUs – mais un grand pourcentage surprenant en est dépensé pour “trouver, extraire et raffiner les combustibles fossiles”. »[6] Bill McKibben est l’éminent militant écologiste, ami du sénateur Bernie Sanders, régulièrement menacé de mort depuis 1990.
B-Moteurs électriques pour tous les camions et bus
Il est énormément question de l’augmentation des voitures électriques. Mais cela bute sur les faibles revenus et le scepticisme des millions de salariés automobilistes dont beaucoup roulent avec des voitures anciennes.
Dans les pays industrialisés, les transports consomment 32% de l’énergie finale, fournie à 90% par les carburants fossiles. Les transports routiers 74%, les avions 11,4% et les bateaux 13%, le rail 1,4%. L’Agence Internationale de l’Énergie calcule que bien qu’ils ne constituent que 8% des véhicules, les camions et les bus consomment 35% des carburants du transport routier et dégagent donc autant du CO2 émis. 35% de 74% de 32% sont 8,3% : camions et bus émettent donc 8,3% du CO2 total émis contre 15,4% les véhicules légers.[7]
Il serait plus facile d’électrifier rapidement camions et bus qui sont relativement moins nombreux et appartiennent pour la plupart à des entreprises importantes qui en ont les moyens. Il faut donc obliger les propriétaires de tous les camions et tous les bus à passer en cinq, ou dix ans, à des moteurs électriques, moyennant des subventions étatiques pour faciliter une telle transition.
L’Union européenne a édicté qu’en 2035 plus aucune automobile à moteur thermique ne pourra être mise en service. Pour les camions et bus, tiens donc ?, l’objectif est moins strict, seulement des émissions plus basses. Ce que je propose, c’est d’inverser cela et électrifier d’abord à marche forcée les camions et bus.
Dans son excellent article récent sur la voiture électrique, Alain Bihr expose que l’avantage des voitures électriques sur les voitures à moteur à explosion n’est vraiment substantiel que si leur fabrication et l’extraction de leurs matériaux, en particulier les métaux des piles, soient réalisés en consommant le moins de combustibles fossiles possible, c’est-à-dire essentiellement à base d’énergies renouvelables. Mais heureusement, les faits qu’il expose démentent le titre négatif de son article : « La voiture électrique, une alternative illusoire. » Mais par ailleurs, il a raison qu’il est indispensable de diminuer parallèlement le trafic automobile : [8]
-Diminuer le transport des marchandises par camions au profit du rail. Le transport des marchandises par le rail, c’est 29,7% en Suède, 22% en Italie, 20,6% en Allemagne, 38% en Suisse, mais seulement 9,2% en France et 4,2% en Espagne. [9]
-Dissuader les automobiles transportant une seule personne et imposer un minimum de deux personnes sur les trajets particulièrement chargés du domicile au lieu de travail. Sur le Golden Gate Bridge de San Francisco, le péage est fortement réduit si trois ou plus d’occupants par véhicule. En Suisse, le trajet Lausanne-Genève, 70 km, est l’autoroute la plus chargée de Suisse. C’est un va et vient de pendulaires entre ces deux pôles économiques du Léman. On pourrait y décourager catégoriquement d’un coup la présence d’une seule personne dans chaque voiture.
C-Remplacer tous les vols de moins de 1000 km par le train. Il faut chiffrer leur contribution aux émissions de CO2 et donc la contribution de leur abandon à leur diminution.
Dans toutes l’Europe, sauf curieusement en Espagne, les trains de nuit ont été récemment redéveloppés et connaissent un grand succès. C’est réjouissant.
Certains proposent un rationnement des vols en avions. C’est impossible à tous égards. Pour la complexité de l’application et parce que cela va nuire avant tout à la population la moins aisée pour qui les voyages et les vacances en avions sont devenus une consommation courante de vacances.
C+–Les mouvements écologistes réclament l’interdiction des avions privés. Dans le triomphalisme actuel des super-riches, c’est probablement impossible. Mais l’État pourrait exiger que leurs avions soient à la pointe de la motorisation sans rejets de CO2. Ils peuvent se le payer : Moteurs électriques avec grandes piles au lithium, moteurs à hydrogène. Et qu’ils servent de démonstration pour les nouveaux avions de ligne.
D-Stimuler l’économie des pays d’Afrique noire pour lui permettre de supporter le réchauffement climatique.
L’Afrique noire est particulièrement menacée par le réchauffement climatique de par sa latitude et, surtout, de par sa pauvreté et son marasme économique. Son réchauffement va produire des migrations massives vers le Nord, le Maghreb et la Méditerranée et l’Europe, et vers le Sud, vers l’Afrique du Sud.
Deux mesures efficaces peuvent être prises immédiatement et produire leurs effets salutaires rapidement :
-Remettre la dette astronomique des pays d’Afrique noire, ce qui est revendiqué, et parfois promis, depuis longtemps. Afin de permettre à ces pays les dépenses publiques dont ils ont besoin. Et qui leur permettront de prendre des mesures contre le réchauffement climatique.
En l’an 2020, l’Afrique subsaharienne devait 702 milliards de dollars aux institutions financières du Nord, et leur servait chaque année 44 milliards d’intérêts. Pour certains de ces pays, ce sont 60% de leurs revenus annuels. Ainsi les pays les plus pauvres du monde financent les banques du Nord, et cela depuis des décennies. [10]
-Abolir le Franc CFA des anciennes colonies françaises. C’est un carcan déflationniste, et néo-colonialiste, piloté depuis Paris qui empêche ces quinze pays de moduler une monnaie nationale pour stimuler leurs exportations.[11]
De façon cruelle, on rétorquera que cela augmentera leur consommation de produits pétroliers et leurs émissions de CO2. Dans un premier temps assurément, mais des mesures correctrices peuvent plus facilement être prises par des pays à l’aise financièrement que sans cesse étranglés par leur dette. Et la diminution des émissions des pays riches peut compenser cet effet négatif provisoire chez les pays pauvres.
E-Subventionner partout dans le monde la reforestation pour augmenter fortement la surface boisée et pas seulement la maintenir.
Planter des arbres n’est pas cette panacée pour ceux qui la financent pour ne pas avoir à diminuer leur consommation de combustibles fossiles. Couvrir d’arbres les continents ne peut pas remplacer la diminution des combustibles fossiles.
Mais les forêts sont réellement des puissants puits de CO2 qui en diminuent le taux dans l’atmosphère. Il faut en accroître la surface dans tous les pays au-delà des limites traditionnelles. Certes, cela va être en partie un travail de Sisyphe car une course de vitesse contre le desséchement et les incendies, accrus par le réchauffement du climat. Mais la reforestation est un travail peu coûteux de faible technologie, de forte intensité de main-d’œuvre, et qui a l’avantage de permettre la mobilisation de nombreux volontaires, et même des milliers d’enfants, pour planter des petits arbres.
Il faut planter des forêts dans tous les pays, même un pays qui se croit modèle comme la Suisse parce qu’elle a bloqué sa surface de forêts par sa Loi de 1902, renouvelée par le nouveau texte de 1991. Donc pour la Suisse, planter activement au-delà de la limite de 1902.
Il s’agit ici, bien sûr, de planter des forêts durables, pour toujours, avec des espèces d’arbres spécifiques, adaptées à l’écosystème local, et non ces monocultures d’espèces intruses destinées à servir de combustible dans les BECCS. En outre, il n’y a pas à planter d’arbres dans les savanes et les tourbières qui absorbent beaucoup de CO2. [12]
-Dans la dernière période, l’Espagne et l’Écosse ont réalisé des campagnes volontaristes de reboisement, pour citer ces deux pays comme exemples. Depuis 1990, la surface de forêts en Espagne a augmenté de 33,6%. Depuis la création du parlement et du gouvernement écossais en 1999, la Forestry Commission Scotland a planté 84% des surfaces reforestées au Royaume-Uni. Jusqu’en 2018, le gouvernement écossais avait fait planter 11’200 nouveaux hectares de forêts et il prévoit de planter 15’000 ha par année dorénavant. La nouvelle autonomie écossaise veut réparer le déboisement massif des siècles passés pour la construction des bateaux et l’élevage extensif, quand l’Écosse était dominée par l’Angleterre.
-L’Amazone et toutes les forêts tropicales humides sont en recul et doivent être préservées et agrandies. Cela implique un subventionnement massif de la part des pays riches, de la reforestation d’une part mais surtout pour dédommager tous les humbles gens qui défrichent et endommagent la forêt à la recherche d’un gagne-pain.
Il faut proposer une agence de l’ONU qui regroupe tous les pays qui portent la forêt tropicale humide : Brésil, Pérou, Bolivie, Colombie, Venezuela, les Guyanes, Panama, Costa Rica, Guatemala, Bélize, Gabon, Cameroun, Congo, Angola, Indonésie, Malaisie, Timor, Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, ma liste n’est pas exhaustive !
Depuis 2023, les huit pays de la forêt amazonienne sont réunis par une association pour le moment assez vague.
Une telle agence doit stimuler protection et reforestation, et études, recevoir et distribuer les subventions internationales, sanctionner gouvernements et entreprises, organiser collectivement la lutte contre les incendies.
-Depuis 2002, l’Union africaine encourage la plantation de la Grande Muraille Verte de Dakar à Djibouti pour verdir le Sahel et faire barrage au désert du Sahara : 7500 km sur 15 km de large. Cette Grande Muraille Verte doit être largement subventionnée par les pays riches et accélérée pour aller à l’encontre de la désertification. Vingt pays ont constitué l’Agence panafricaine de la grande muraille verte. À ce jour, seulement 15% ont été plantés, principalement au Sénégal et en Éthiopie. Mais entre deux, c’est malheureusement le Sahel des pires guerres civiles et massacres.
Le modèle, c’est la grande muraille verte de Chine parallèle à la Grande Muraille pour faire barrage au désert de Gobi. Dans le Sahel africain, la grande muraille verte pose, bien sûr, des problèmes complexes d’interaction avec les populations et de développement rural, pour ne pas parler des guerres civiles.
Le projet est soutenu par toutes les agences de l’ONU et par la Banque mondiale et l’Union européenne.
-Les campagnes de reforestation doivent également boiser l’intérieur des villes, pour créer des forêts urbainesqui rafraîchissent l’air et l’ambiance pendant les grandes chaleurs. Cela permet, par exemple, de mobiliser les enfants des écoles pour planter les plantons.
Une levée sur la fortune des super-riches
Pour déployer les énergies renouvelables sur dix ans, l’Union européenne calcule qu’il faudra 600 milliards d’investissements. [13]
L’ancien directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, estime que la lutte contre le changement climatique coûtera 1700 milliards de dollars par année pour la Terre entière. [14]
L’économiste Cédric Durand, de l’Université de Genève, chiffrait cela ainsi en 2021 : « L’autre aspect de la transition est une forte poussée d’investissement pour faire face au choc de l’offre causé par la décroissance du secteur du carbone (…) Dans son dernier rapport sur l’énergie, Bloomberg (New Energy Outlook 2021) estime qu’une économie mondiale en croissance nécessitera un niveau d’investissement dans l’approvisionnement et les infrastructures énergétiques compris entre 92’000 et 173’000 milliards de dollars au cours des trente prochaines années. L’investissement annuel devra plus que doubler, passant d’environ 1700 milliards de dollars par an aujourd’hui à une moyenne comprise entre 3100 et 5800 milliards de dollars par année. » [15]
En particulier, beaucoup d’argent sera nécessaire pour aider, dédommager, subventionner, toutes celles et tous ceux, entreprises et particuliers, qui seront lésés par l’abandon des combustibles fossiles.
De COP en COP, ce sont 1300 milliards $ qui ont été promis aux pays dits en développement pour chaque année dès 2035. Une grande partie seront des prêts, qui vont augmenter leur dette, et le reste devrait être des investissements privés. Cela reste vague. [16] Ce sont des promesses. Pour le moment, même les 100 milliards par année promis pour le Fonds vert pour le Climat, destiné à être géré par la Banque mondiale, n’ont pas été versés par les pays riches. Entretemps, durant l’année 2021-2022, les compagnies pétrolières et gazières ont fait 4000 milliards $ de bénéfices. [17]
Plusieurs auteurs ont proposé de financer la lutte contre le réchauffement climatique par l’impôt sur les super-riches.
Pour sortir de la grande récession de 2008, la Fed a injecté dans l’économie mondiale 4500 milliards de dollars entre 2008 et 2010.[18]
Pour se réarmer, l’UE prévoit aujourd’hui de dépenser 650 milliards d’Euros.
La Première Guerre mondiale et la défaite ont coûté à l’Allemagne 73 milliards de marks-or. [19] Adaptés au coût de la vie, ce sont 250 milliards € d’aujourd’hui. Elle a financé cela par l’impôt et des emprunts parmi sa population.
-Le 31 décembre 1919, Matthias Erzberger (1875-1921), le ministre des finances de l’Allemagne, vaincue, accablée de dettes, faisait voter une levée sur la fortune (Reichsnotopfer) qui a été en vigueur durant trois ans. Le taux en était progressif, débutant à 10% et montant jusqu’à 65% pour les fortunes de plus de 2 millions de marks. [20]
-Ces dernières années, les Jeunesses socialistes suisses ont par deux fois réussi à faire soumettre à votation populaire un impôt sur la richesse :
En 2019, les JS déposaient avec 109’332 signatures de citoyens suisses leur initiative fédérale « Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital » dite initiative 99%. Le texte prévoyait que les revenus du capital du 1% des contribuables les plus riches, supérieurs à 100’000 francs, seraient taxés comme 1,5 fois plus grands, ce qui augmenterait de 5 à 10 milliards de francs les rentrées fiscales, afin d’alléger les impôts des petites fortunes. L’initiative fut soumise à votation populaire en 2021 et rejetée, mais en remportant 35,12% des voix.
En février 2024, les JS déposaient avec 140’000 signatures leur initiative dite « pour l’avenir » qui prévoit de taxer à un taux de 50% les successions et donations de plus de 50 millions de francs « pour financer la politique climatique ». L’initiative vient d’être rejetée par les deux chambres du Parlement, approuvée par la Parti socialiste en minorité, et sera soumise à votation populaire le 30 novembre 2025 prochain.
Le patronat et les partis bourgeois, majoritaires au parlement suisse, ont combattu férocement les deux initiatives en les qualifiant de « confiscatoires » et nuisibles à l’investissement et à la prospérité.
-Lors du World Economic Forum de janvier 2023 à Davos, Oxfam a présenté sa proposition d’un impôt sur les super-riches, de 2% pour les millionnaires, 3% pour ceux qui possèdent plus de 50 millions de dollars, et 5% pour les milliardaires, qui rapporterait 37 milliards de dollars par an rien qu’en Suisse. Cela afin de lutter contre la pauvreté. [20]
Selon la revue Bilan de décembre 2024, les 25 plus grandes fortunes de Suisse étaient :
-Gérard Wertheimer, 37 milliards
-Famille Hoffmann Oeri, 28 milliards
-Famille Duschmalé, 28 milliards
-Klaus-Michael Kühne, 27 milliards
-Famille Joseph Safra, 22 milliards
-Famille Aponte, 20 milliards
-Jorge Lehmann, 17 milliards
-Andrey Melnichenko, 17 milliards
-Famille Bertarelli, 15 milliards
-Famille Blocher, 15 milliards
-Famille Firmenich, 14 milliards
-Guillaume Pousaz, 14 milliards
-Famille Bonnard et Schindler, 13 milliards
-Famille Brenninkmeijer, 13 milliards
-Famille Castel, 13 milliards
-De Carvalho-Heineken, 12 milliards
-Famille Charlen, 12 milliards
-Famille Khan, 12 milliards
-Famille Mortimer Sackler, 11 milliards
-Nicolas Puech, 11 milliards
-Johann Rupert, 11 milliards,
-Prince Hans-Adam de Liechtenstein, 10 milliards
-Famille Liebherr, 9 milliards
-Marcel Telles, 9 milliards
-Famille Landolt, 8 milliards Total : 398 milliards CHF
Disons 7%. Une levée de 7% sur ces 25 contribuables produirait 27,8 milliards de francs suisses, approximativement autant d’Euros. Et ce ne sont que les 25 plus riches. Et 7%, ce n’est pas beaucoup. Ce taux pourrait être progressif, par exemple de 7% à 15%. Ce numéro de Bilan recense 313 contribuables en descendant jusqu’à 200 millions de francs de fortune dont 53 qui possèdent un milliard et plus. En Suisse seulement. Ces 313 contribuables totalisent une fortune de 910,85 milliards. Une levée de 7% produirait donc 63,75 milliards de francs suisses. Le «moins riche» avec 200 millions de francs de fortune devrait payer 14 millions.
Le même calcul pourra être fait pour d’autres pays. Prenons encore l’exemple de l’Espagne où j’habite maintenant :
Selon la revue Forbes de novembre 2023, les 25 plus fortunés d’Espagne étaient :
-Amancio Ortega, 81,8 milliards €
-Sandra Ortega, 7,1 milliards €
-Rafael del Pino, 5,9 milliards €
-Juan Carlos Escotet, 4 milliards €
-Juan Roig, 3,9 milliards €
-Tomás Olivo, 3,5 milliards €
-Daniel Maté, 2,9 milliards €
-Juan Abelló, 2,9 milliards €
-Leopoldo Del Pino Calvo-Sotelo, 2,7 milliards €
-Famille Andic, 2,7 milliards €
-Miguel Fluxá Roselló, 2,5 milliards €
-María Del Pino Calvo-Sotelo, 2,5 milliards €
-Alicia Koplowitz, 2,4 milliards €
-Victor Grifols Roura y familia, 2,4 milliards €
-Hortensia Herrero, 2,2 milliards €
-Sol Daurella Comadrán, 2 milliards €
-Florentino Pérez, 1,9 milliards €
-Guillermo Fierro Eleta, 1,9 milliards €
-Juan María Riberas Mera, 1,6 milliards €
-Simon Pedro Barceló Vadell y familia, 1,6 milliards €
-Francisco Riberas Mera, 1,5 milliards €
-Alberto Palatchi, 1,5 milliards €
-José María Serra Farré y familia, 1,5 milliards €
-Carmen Thyssen, 1,4 milliards €
-Albert Cortina, 1,4 milliards €
Cela fait un total de 145,7 milliards €. Une levée de 7% produirait donc 10,2 milliards €.
Cette liste Forbes énumère les 100 personnes plus riches d’Espagne, en descendant jusqu’à 349 millions €, totalisant une fortune de 196,2 milliards €. 7% de 196,2 milliards € sont 13,73 milliards €.
On peut donc estimer que si on répète ces calculs pour les 47 pays d’Europe, on arriverait avec ces 7% de levée sur les fortunes des quelques centaines de super-riches de chaque pays d’Europe, à un produit total d’environ 1000 milliards €.
-Un groupe international d’économistes emmenés par Thomas Piketty du Laboratoire de l’Inégalité Mondialeproposait en 2023 pour lutter contre le réchauffement climatique, une taxe sur la fortune des 65’130 personnes du monde qui possèdent plus de 100 millions de dollars (0,001% de la population), avec un taux de 1,5% jusqu’à 3%, qui permettrait de lever chaque année 300 milliards de dollars. [22]
-Plus modestement, l’économiste Gabriel Zucman, qui avait été en 2013 le doctorant de Thomas Piketty, a réussi à faire voter par la Chambre des députés française le 20 février 2025 dernier, sur proposition de la NUPES, une taxe plancher de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions €, soit 4000 personnes en France, contre la volonté du président Macron qui accepterait cette taxe si elle était mondiale. Ce taux plancher veut dire que l’impôt sur le revenu de ces riches contribuables ne pourrait pas être inférieur à 2% de leur patrimoine. La loi est devant le Sénat. Cette taxe pourrait rapporter quelque chose de l’ordre de grandeur de 10 milliards €. Gabriel Zucman a rédigé un rapport sur une telle taxe, mais mondiale, à la demande de la présidence brésilienne du G20. [23]
Les moyens financiers existent donc, en abondance, facilement accessibles pour les autorités fiscales des États, pour financer le sauvetage de l’humanité des terribles + 3ºC en l’an 2100.
Toutes et tous ces super-riches, qui sont les puissants actionnaires des entreprises capitalistes, voient depuis des années leur fortune augmenter chaque année et réussissent à échapper largement à l’impôt. Il est important de les nommer toutes et tous, pour créer une pression sociale sur elles et eux.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils se désolidarisent du sort des milliards d’habitants de cette planète. (Juin 2025)
[1] Daniel Tanuro, « COP 28, Ahmed al-Jaber inscrit son nom dans l’histoire de l’enfumage capitaliste », alencontre.org, 15 décembre 2023.
[2] Je paraphrase le Programme de Transition de Léon Trotsky de 1938. Je n’ai vraiment pas la prétention de proposer un « programme de transition » pour la lutte contre le réchauffement climatique. Si tant est que cela puisse avoir un sens dans les circonstances si différentes. Mais c’est une inspiration pour combler l’écart entre la politique quotidienne et le « programme maximum », le but humaniste qu’il faut viser : l’écosocialisme.
[3] Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, éditions Textuel, Paris, 2020, pp. 303-306.
[4] Brian Deese, « The Case for a Clean Energy Marshall Plan, How the Fight Against Climate Change Can Renew American Leadership », Foreign Affairs, foreignaffairs.com, september 2024. Adam Tooze, Chartbook 319, adamtooze@substack.com, sept. 2024
[5] Statistique globale de l’énergie 2023, Office fédéral suisse de l’énergie.
[6] Bill McKibben, « The Future is Electric », The New York Review of Books, November 4th 2021. Saul Griffith, Electrify: An Optimist’s Playbook for Our Clean Energy Futur, MIT Press, Cambridge MA, 2021. Une British Thermal Unit/BTU = 1055 kilojoules. De Bill McKibben en français : La Nature assassinée, Fixot, 1994 (1re éd. 1989).
[7] eurostat/statistics et iea trucks and buses
[8] Alain Bihr, “La voiture électrique, une alternative illusoire”, alencontre.org, 11 novembre 2024.
[11] Ndongo Samba Sylla, « The Franc Zone, A Tool of French Neocolonialism in Africa », Jacobin.com, 1er juin 2020. CFA= Communauté financière en Afrique
[12] Élise Buisson, Marie Ange Ngo Bieng, Thierry Gauquelin, « Pour un reforestation raisonnée », Pour la Science, novembre 2021.
[14] Le Temps, Genève, 28 juillet 2023.
[15] Cédric Durand, « Le dilemme énergétique. (Et la voie d’une transition écologique démocratique », NLR-Sidecar, alencontre.org, 5 novembre 2021.
[16] Bernardo Jurema, « Will COP 30 Deliver for the Amazon – and the Planet ? », jacobin.com. 23 décembre 2024.
[17] Daniel Tanuro, « COP 28, Ahmed al-Jaber inscrit son nom dans l’histoire de l’enfumage capitaliste », alencontre.org, 15 décembre 2023.
[18] Adam Tooze, « The Forgotten History of the Financial Crisis », Foreign Affairs, September/October 2018.
[19] Isaac Johsua, La crise de 1929 et l’émergence américaine, Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p.184.
[20] Feuille des Lois du Reich/ReichsgesetzBlatt Nr.252, S. 2188.
[21] Le Temps, Genève, 16 janvier 2023.
[22] El Pais, 31 janvier 2023.
[23] Libération, 21 février 2025.

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