Gaza: «La déshumanisation systématique d’une population» 

Familles contraintes de fuir Khan Younès suite aux ordres des autorités israéliennes, le 22 juillet 2024 pour se diriger vers le sud. (UNRWA Photo by Ashraf Amra)

Par OCHA

OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs-Bureau de la coordination des affaires humanitaires) avertit que les hostilités en cours à Gaza, les ordres d’évacuation répétés, les obstacles à l’accès [aux personnes] et d’autres défis continuent d’entraver les efforts pour atteindre les personnes avec une aide vitale.

Lors de sa dernière conférence de presse en tant que chef de bureau d’OCHA pour le Territoire palestinien occupé, Andrea De Domenico a déclaré aux journalistes qu’au cours des dix derniers mois, il avait été témoin de «l’épuisement physique et psychologique extrême d’une population entière».

S’exprimant à distance depuis Jérusalem-Est, Andrea De Domenico a déclaré avoir été témoin de la déshumanisation systématique des civils à Gaza et en Cisjordanie. Il s’est également inquiété de la colère croissante à l’égard d’Israël et de la menace de l’antisémitisme.

«Le danger pour moi, et en fait pour chacun de nos collègues qui ont courageusement décidé d’aller travailler à Gaza – l’ONU, les ONG et le personnel national qui ont toujours été en première ligne – et pour l’humanité tout entière, est que nous devenons immunisés [insensibles face] contre l’horreur», a-t-il déclaré. «Nous ne pouvons pas permettre que cela se produise.»

Les autorités israéliennes ont décidé de ne pas renouveler le visa d’Andrea De Domenico, qui expire aujourd’hui.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) et d’autres agences ne parviennent toujours pas à acheminer suffisamment de nourriture à l’intérieur et autour de Gaza. Il n’y a pas assez de postes frontières, il est difficile d’obtenir des autorisations pour déplacer des convois à l’intérieur de Gaza et il y a souvent de longs retards dans les zones d’attente, ainsi qu’un manque d’ordre public et de sécurité qui continue d’entraver les mouvements.

Plus de 20 points de distribution de nourriture du PAM ont été perdus en raison des récents ordres d’évacuation et les cuisines et les boulangeries ont été contraintes de déménager. L’escalade des hostilités a également rendu deux entrepôts inutilisables pour le moment et a coupé des parties de Salah El Din – la route principale de Gaza – limitant la capacité du PAM à livrer dans toute la bande.

En réponse à l’ordre d’évacuation émis la semaine dernière à Khan Younès, le PAM distribue un colis alimentaire par famille pour aider les personnes déplacées, ce qui a permis d’atteindre environ 8000 familles jusqu’à présent. Face à l’augmentation des besoins et à la limitation des stocks, l’agence doit réduire les rations à un colis par famille afin de s’assurer que les personnes reçoivent la nourriture nécessaire pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires. Mais cela ne suffit pas.

Aujourd’hui, seules 12 des 18 boulangeries de Gaza fonctionnent: quatre dans la ville de Gaza, deux dans le nord de Gaza et six à Deir al Balah. Les boulangeries situées dans les zones intermédiaires ne disposent que le carburant suffisant pour fonctionner pendant quelques jours.

Malgré toutes ces difficultés, le PAM a pu distribuer à près de 1,2 million de personnes de la nourriture, de la farine de blé ou des repas chauds le mois dernier. Cependant, les rations ont été réduites et irrégulières,

Par ailleurs, les partenaires humanitaires qui interviennent sur les problèmes liés à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, à Gaza, sont préoccupés par la destruction du réservoir du Canada à Rafah. Cette installation, d’une capacité d’environ 3000 mètres cubes d’eau, a été dynamitée la semaine dernière. Jusqu’à récemment, le réservoir desservait des milliers de personnes déplacées qui s’abritaient à Rafah.

Les partenaires humanitaires avertissent que sa destruction pourrait entraver le retour des résidents à Rafah et pousser encore plus les familles à boire de l’eau non potable, risquant ainsi la déshydratation, la malnutrition et les maladies.

Par ailleurs, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a lancé aujourd’hui le programme de retour à l’école pour les enfants de Gaza. Dans un premier temps, l’UNRWA développera les activités de soutien psychosocial en cours, en mettant l’accent sur les arts, la musique et le sport, ainsi que sur la sensibilisation aux risques liés aux munitions non explosées. Les activités d’apprentissage informel seront ensuite intégrées, avec des cours de lecture, d’écriture et de mathématiques.

Le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini [1], a déclaré que le programme est la première étape d’un chemin beaucoup plus long qui se concentre sur des activités qui donneront aux enfants de Gaza un refuge contre les horreurs qu’ils continuent de vivre – et de renouer avec l’enfance qui leur a été volée. (Publié le 1er août 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans un entretien avec le quotidien 24 heures (Lausanne, Suisse, le 31 juillet 2024), Philippe Lazzarini soulignait une vérité que d’aucuns au sein du pouvoir fédéral helvétique – relayant de facto la campagne du gouvernement Netanyahou contre l’UNRWA – veulent ignorer ou nier: «A ce jour, nous déplorons 202 employés tués. C’est sans précédent dans l’histoire des Nations Unies. La mort de centaines de collaborateurs, savoir que d’autres vont malheureusement périr à leur tour tant que la guerre continuera, est quelque chose d’insupportable pour mes équipes comme pour moi. C’est vraiment une guerre de tous les superlatifs, au niveau des victimes, des destructions, des déplacements, de souffrances inimaginables. Je pense au nombre d’enfants amputés sans anesthésie, d’orphelins… Tout cela sous les yeux du monde entier, qui ne pourra pas dire qu’il ne savait pas. Même si, malheureusement, les journalistes étrangers ne peuvent toujours pas entrer dans la bande de Gaza.»

La stratégie israélienne d’interdiction de la présence de journalistes étrangers à Gaza se double d’un assassinat ciblé de journalistes palestiniens assurant la production d’images, d’informations, de relai de la parole des Gazaouis. Ainsi, mercredi 31 juillet, le journaliste Ismail al-Ghoul et son cameraman Rami al-Rifi ont été tués par un tir israélien (alors qu’ils portaient des vestes protectrices indiquant leur statut de journaliste et leur voiture était clairement identifiée). Selon le Committee to Protect Journalists (CPJ) – présidé par Jodie Ginsberg –, en date du 2 août, au moins 113 journalistes et travailleurs des médias ont été tués depuis le 7 octobre (108 Palestiniens, 2 Israéliens et 3 Libanais). Selon le communiqué de la CPJ du 2 août, 32 journalistes ont été blessés, 2 sont considérés comme disparus, 52 ont été arrêtés par les forces militaires de représsion israéliennes. A cela s’ajoutent des attaques, la censure, l’assassinat de membres de leur famille. La CPJ constate que depuis qu’elle a commencé le recueil de données en 1992, c’est la période «la plus meurtrière pour les journalistes». (Réd.)

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