Par Ian Angus
Les articles précédents de cette série se sont concentrés sur deux tendances mondiales qui alimentent l’émergence de nouvelles maladies virales à notre époque. La déforestation et la croissance urbaine ont réduit ou éliminé les barrières naturelles qui empêchaient la plupart des virus de se propager de la faune sauvage aux animaux d’élevage et aux humains. La concentration du bétail dans les fermes industrielles a créé des environnements idéaux pour que ces virus évoluent vers des formes plus contagieuses et plus mortelles.
Une analyse complète des nouveaux fléaux du capitalisme doit également tenir compte de l’impact de la crise climatique mondiale. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, habituellement prudent, conclut, avec un degré de confiance très élevé, que «les risques climatiques contribuent de plus en plus à un nombre croissant d’effets néfastes sur la santé».
«La variabilité et les changements climatiques (y compris la température, l’humidité relative et les précipitations) ainsi que la mobilité des populations sont associés de manière significative et positive aux augmentations observées de la dengue au niveau mondial, du virus du chikungunya en Asie, en Amérique latine, en Amérique du Nord et en Europe (degré de confiance élevé [c’est-à-dire fondé sur des informations de haute qualité]), du vecteur de la maladie de Lyme Ixodes scapularis en Amérique du Nord (degré de confiance élevé) et du vecteur de la maladie de Lyme et de l’encéphalite à tiques Ixodes ricinus en Europe (degré de confiance moyen). La hausse des températures (confiance très élevée), les fortes précipitations (confiance élevée) et les inondations (confiance moyenne) sont associées à une augmentation des maladies diarrhéiques dans les régions touchées, notamment le choléra (confiance très élevée), d’autres infections gastro-intestinales (confiance élevée) et des maladies d’origine alimentaire dues à Salmonella et Campylobacter (confiance moyenne).»[1]
En effet, comme le souligne Colin Carlson, du Center for Global Health Science and Security de l’université de Georgetown, «le changement climatique d’origine humaine a déjà provoqué des décès massifs de l’échelle d’une pandémie».
«Si l’on exclut le COVID-19 […], le changement climatique a dépassé le nombre de morts combiné de toutes les urgences de santé publique reconnues par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et qui suscitent des inquiétudes au niveau international. Chaque année, le changement climatique tue 14 fois plus de personnes que l’épidémie d’Ebola de 2014 en Afrique de l’Ouest.»[2]
Les inondations, les incendies de forêt et les sécheresses font partie des conséquences mortelles du changement climatique, mais nous nous concentrons dans cette série sur les maladies qui touchent le corps humain. A cet égard, les principales menaces que le réchauffement planétaire fait peser sur la santé humaine sont les vagues de chaleur potentiellement mortelles, l’élargissement de l’aire de répartition des vecteurs et la perturbation du virome mondial [le virome est l’ensemble des génomes des virus].
Vagues de chaleur
Si aucune mesure décisive n’est prise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le changement climatique finira par rendre inhabitables de vastes régions de la Terre, caractérisées pendant la majeure partie ou la totalité de l’année par des températures auxquelles le métabolisme humain ne peut pas survivre. Mais le chemin vers la Terre-Serre n’est pas linéaire. Sauf sous l’effet d’une catastrophe généralisée, nous assistons déjà à une multiplication des vagues de chaleur – des intervalles de températures extrêmes qui peuvent provoquer un épuisement par la chaleur, des crampes de chaleur et des coups de chaleur, conduisant souvent à une mort prématurée. Entre 1990 et 2019, les vagues de chaleur qui ont duré deux jours ou plus ont causé plus de 153 000 décès supplémentaires par an. Près de la moitié des décès sont survenus en Asie, et environ un tiers en Europe[3]. Une seule vague de chaleur européenne, en 2022, a tué 62 000 personnes.
Les vagues de chaleur étant de plus en plus fréquentes, longues et intenses, elles touchent chaque année un plus grand nombre de personnes. The Lancet Countdown on Health and Climate Change, l’évaluation la plus complète sur le sujet, nous l’apprend:
«Les adultes de plus de 65 ans et les nourrissons de moins d’un an, pour qui la chaleur extrême peut être particulièrement dangereuse, sont aujourd’hui exposés à deux fois plus de jours de canicule qu’ils ne l’auraient été en 1986-2005… Plus de 60% des jours qui atteindront des températures élevées dangereuses pour la santé en 2020 sont deux fois plus susceptibles de se produire en raison du changement climatique anthropique et les décès liés à la chaleur chez les personnes âgées de plus de 65 ans ont augmenté de 85% par rapport à la période 1990-2000.»[4]
Le rapport du Lancet prévoit que même si l’augmentation de la température mondiale est maintenue juste en dessous de 2ºC, il y aura toujours une augmentation de 1120% de l’exposition aux vagues de chaleur pour les personnes âgées de plus de 65 ans d’ici 2041-2060, et une augmentation de 2510% d’ici 2080-2100. «Dans un scénario où aucune autre mesure d’atténuation n’est prise, les augmentations prévues sont encore plus importantes, passant à 1670% au milieu du siècle (2050) et à 6311% d’ici 2080-2100.»[5]
Dès lors, en l’absence d’efforts d’atténuation majeurs, une augmentation de la température mondiale d’un peu moins de 2°C devrait entraîner une hausse de 370% du nombre annuel de décès liés à la chaleur d’ici 2050[6].
Gamme de vecteurs
Environ 17% de toutes les maladies infectieuses, et plus de 30% des nouvelles maladies infectieuses émergentes, sont propagées par des vecteurs – insectes, tiques et autres organismes qui transportent des parasites, des bactéries ou des virus de l’homme ou de l’animal infecté à l’homme non infecté. L’exemple le plus connu et le plus mortel est le paludisme: transmis par les moustiques, il tue chaque année plus de 400 000 personnes, principalement des enfants de moins de cinq ans. Parmi les autres maladies transmises par les moustiques figurent la dengue, le virus du Nil occidental, le chikungunya, la fièvre jaune, l’encéphalite, le Zika et la fièvre de la vallée du Rift.
Avec l’augmentation des températures mondiales, les zones géographiques dans lesquelles les moustiques et les tiques porteurs de maladies peuvent survivre et se reproduire s’étendent, exposant un nombre toujours plus grand de personnes à l’infection. Le virus du Nil occidental, autrefois limité à certaines régions d’Afrique centrale, est désormais présent en Amérique du Nord et en Europe. Les cas de dengue ont doublé chaque décennie depuis 1990 – The Lancet estime que «près de la moitié de la population mondiale est désormais exposée au risque de cette maladie potentiellement mortelle»[7].
D’ici le milieu du siècle, une augmentation de la température mondiale de seulement 2°C entraînera une expansion de 23% des zones du monde dans lesquelles les moustiques du paludisme peuvent prospérer[8], et au moins 500 millions de personnes auparavant hors zone seront exposées aux moustiques porteurs de la dengue, du chikunguyna, du Zika et d’autres agents pathogènes[9].
Perturbation du virome
Comme nous l’avons vu, la majorité des nouvelles maladies émergentes sont zoonotiques, c’est-à-dire qu’elles proviennent d’animaux sauvages et se transmettent à l’homme, souvent par l’intermédiaire d’espèces intermédiaires.
On sait qu’environ 263 virus infectent l’homme[10] et, bien qu’ils aient causé des dommages considérables, ils ne représentent qu’une petite fraction de la menace virale. «Au moins 10 000 espèces de virus ont la capacité d’infecter l’homme, mais à l’heure actuelle, la grande majorité circule silencieusement chez les mammifères sauvages.»[11] Pendant des millénaires, chaque groupe de virus n’a circulé que parmi quelques espèces de mammifères, simplement parce que les aires de répartition de la plupart des espèces ne se chevauchaient guère.
Aujourd’hui, cependant, le changement climatique oblige les animaux à se déplacer ou à quitter leurs territoires traditionnels, emportant leurs virus avec eux.
«Même dans le meilleur des cas, les aires de répartition géographique de nombreuses espèces devraient se déplacer d’une centaine de kilomètres ou plus au cours du siècle prochain. Dans ce processus, de nombreux animaux apporteront leurs parasites et leurs agents pathogènes dans de nouveaux environnements. Cela représente une menace tangible pour la santé mondiale.»[12]
Dans une importante étude publiée dans Nature en 2021, Colin Carlson, Greg Alpery et leurs collègues ont cartographié les déplacements probables de l’aire de répartition géographique de 3129 espèces de mammifères jusqu’en 2070.
Ils ont constaté que même en cas de réchauffement modéré, des centaines de milliers d’animaux n’ayant jamais interagi auparavant se rencontreront, ce qui entraînera au moins «15 000 événements de transmission inter-espèces d’au moins un nouveau virus (mais potentiellement beaucoup plus) entre deux espèces hôtes non infectées»[13]. Le recul à long terme des forêts et des zones sauvages signifie que les nouvelles zones de propagation et d’évolution virale chez les mammifères se trouveront probablement à proximité des centres de population et des exploitations agricoles. Cela augmentera la probabilité que de nouvelles zoonoses infectent l’homme.
«Les effets du changement climatique sur les modèles de partage viral chez les mammifères sont susceptibles de se répercuter en cascade sur l’émergence future de virus zoonotiques. Parmi les milliers d’événements de partage viral attendus, certaines des zoonoses ou zoonoses potentielles les plus dangereuses sont susceptibles de trouver de nouveaux hôtes. Cela pourrait éventuellement constituer une menace pour la santé humaine: les mêmes règles générales de transmission entre espèces expliquent les schémas de débordement des zoonoses émergentes, et les espèces virales qui réussissent à passer d’une espèce sauvage à l’autre ont la plus forte propension à l’émergence de zoonoses…
Le changement climatique pourrait facilement devenir la force anthropique dominante dans la transmission virale inter-espèces, ce qui aura sans aucun doute un effet en aval sur la santé humaine et le risque de pandémie.»[14]
Fait particulièrement préoccupant, l’étude a révélé que même si des migrations importantes se poursuivront au cours du siècle à venir, «la majorité des premières rencontres auront lieu entre 2011 et 2040»[15].
En bref, le changement climatique impose déjà une redistribution mondiale de la faune et de la flore sauvages et, ce faisant, rapproche des milliers de virus potentiellement pathogènes de l’homme. Dans les années à venir, le virome mondial massivement perturbé sera plus dangereux que jamais.
Comme l’a déclaré Greg Alpery au Guardian, «ce travail apporte des preuves incontestables que les décennies à venir ne seront pas seulement plus chaudes, mais aussi plus pathogènes»[16]. (A suivre – Article publié sur le blog de Ian Angus Climate&Capitalism le 27 juillet 2024; traduction rédaction A l’Encontre. Voir les six premières contributionspubliées sur ce site les 12, 16, 27 mars, le 24 avril, le 15 mai et les 1er juillet et 14 juillet)
Notes
[1] Intergovernmental Panel On Climate Change (IPCC), Climate Change 2022 – Impacts, Adaptation and Vulnerability: Working Group II Contribution to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, (Cambridge University Press, 2023), 1045.
[2] Colin J. Carlson, “After Millions of Preventable Deaths, Climate Change Must Be Treated like a Health Emergency,” Nature Medicine 30, no. 3 (March 2024): 622–623, .
[3] Qi Zhao et al., “Global, Regional, and National Burden of Mortality Associated with Non-Optimal Ambient Temperatures from 2000 to 2019: A Three-Stage Modelling Study,” The Lancet Planetary Health 5, no. 7 (July 2021): e415–25.
[4] “The 2023 Report of the Lancet Countdown on Health and Climate Change: The Imperative for a Health-Centred Response in a World Facing Irreversible Harms,” The Lancet 402, no. 10419 (December 2023): 1.
[5] Ibid., 13.
[6] Ibid., 2.
[7] Ibid., 17.
[8] Ibid., 17.
[9] Sadie J. Ryan et al., “Global Expansion and Redistribution of Aedes-Borne Virus Transmission Risk with Climate Change,” PLOS Neglected Tropical Diseases 13, no. 3 (March 28, 2019): e0007213.
[10] Dennis Carroll et al., “The Global Virome Project,” Science 359, no. 6378 (February 23, 2018): 872–74.
[11] Colin J. Carlson et al., “Climate Change Increases Cross-Species Viral Transmission Risk,” Nature 607, no. 7919 (July 21, 2022): 555–62.
[12] Ibid., 555.
[13] Ibid., 558.
[14] Ibid., 559, 561.
[15] Ibid., 560.
[16] Oliver Milman, “‘Potentially Devastating’: Climate Crisis May Fuel Future Pandemics,” The Guardian, April 28, 2022.
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