Etats-Unis-Israël. La principale politique concrète des Etats-Unis en direction d’Israël: assurer l’approvisionnement continu en armes

11 mars 2024: à la frontière de Gaza, un soldat prie devant un char équipé d’un lance-roquette.

Par John Hudson

Les Etats-Unis ont discrètement approuvé et livré plus de 100 commandes militaires séparées à l’étranger [Foreign Military Sales-FMS – mais chaque fois avec un contrat spécifique qui les «isole» du point de vue du montant financier sous contrôle, donc «separate»] à Israël depuis le début de la guerre de Gaza le 7 octobre, ce qui représente des milliers de munitions guidées avec précision, de bombes de petit diamètre, d’explosifs contre les bunkers, d’armes légères et d’autres équipements létaux, ont déclaré des responsables états-uniens à des membres du Congrès lors d’une récente séance d’information classifiée.

Ce nombre à trois chiffres, qui n’avait pas été signalé auparavant, est le dernier signe en date de l’implication considérable de Washington dans ce conflit polarisant qui dure depuis cinq mois, alors même que les hauts fonctionnaires et élus au Congrès expriment de plus en plus de réserves quant aux tactiques militaires d’Israël dans une campagne qui a tué plus de 30’000 personnes, selon les autorités sanitaires de la bande de Gaza.

Seules deux ventes militaires étrangères approuvées à Israël ont été rendues publiques depuis le début du conflit: 106 millions de dollars de munitions pour chars d’assaut et 147,5 millions de dollars de composants nécessaires à la fabrication d’obus de 155 mm. Ces ventes ont fait l’objet d’un examen public parce que l’administration Biden a court-circuité le Congrès pour approuver les lots en invoquant une procédure d’urgence.

Mais dans le cas des 100 autres transactions, connues dans le jargon gouvernemental sous le nom de Foreign Military Sales (FMS), les transferts d’armes ont été traités sans aucun débat public parce que chacune d’entre elles ne dépassait pas un montant spécifique [1] qui exige que l’exécutif notifie pour chaque livraison le Congrès, selon des fonctionnaires et des élus qui, comme d’autres, ont parlé sous le couvert de l’anonymat afin de discuter d’une question militaire sensible.

Prises ensemble, ces livraisons d’armes représentent un transfert massif de puissance de feu à un moment où de hauts responsables états-uniens se sont plaints que les responsables israéliens n’avaient pas tenu leurs promesses de limiter les «pertes civiles», d’autoriser davantage d’aide à Gaza [2] et de s’abstenir de toute rhétorique appelant au déplacement permanent des Palestiniens.

«Il s’agit d’un nombre exceptionnel de ventes sur une période assez courte, ce qui suggère fortement que la campagne militaire israélienne ne serait pas viable sans ce degré de soutien états-unien», a déclaré Jeremy Konyndyk, ancien haut fonctionnaire de l’administration Biden et actuel président de Refugees International [organisation humanitaire indépendante qui milite pour un meilleur soutien aux personnes déplacées et aux apatrides].

Le gouvernement israélien n’a pas fait de commentaire dans l’immédiat. Le porte-parole du département d’Etat, Matt Miller, a déclaré que l’administration Biden avait «suivi les procédures spécifiées par le Congrès lui-même pour tenir les membres bien au courant et les informer régulièrement, même lorsque la notification formelle n’est pas une obligation légale».

Il a ajouté que les responsables avaient «sollicité le Congrès» sur les transferts d’armes vers Israël «plus de 200 fois» depuis que le Hamas a lancé une attaque au-delà de la bande de Gaza contre Israël qui a fait 1200 morts et pris plus de 240 otages.

Interrogés sur l’essor des livraisons d’armes vers Israël, certains élus siégeant dans des commissions chargées de la sécurité nationale ont déclaré que l’administration Biden devait exercer son influence sur le gouvernement israélien.

«En ce moment, lorsque vous interrogez beaucoup d’Américains sur les livraisons d’armes vers Israël, ils vous regardent comme si vous étiez fou, comme si vous vous demandiez pourquoi nous enverrions encore plus de bombes là-bas», note dans un entretien Joaquin Castro (démocrate du Texas.), membre des commissions du renseignement et des affaires étrangères de la Chambre des représentants.

«Ces Palestiniens se sont déjà déplacés du nord au sud, et maintenant ils sont tous entassés dans un petit morceau de la bande de Gaza, et vous allez continuer à les bombarder?» s’interroge Joaquin Castro qui fait référence à l’offensive israélienne prévue sur Rafah, où plus d’un million de Palestiniens déplacés ont trouvé refuge.

Les autorités des Etats-Unis ont mis en garde le gouvernement israélien contre une offensive à Rafah sans plan d’évacuation des civils. Mais certains démocrates craignent que le Premier ministre Benyamin Netanyahou ne tienne pas compte des exhortations de Washington, comme il l’a fait pour d’autres requêtes, à savoir autoriser l’entrée de davantage de nourriture, d’eau et de médicaments dans l’enclave bouclée, et réduire l’intensité d’une campagne militaire qui a rasé des pâtés entiers de maisons et détruit un grand nombre d’habitations dans toute la bande de Gaza.

Le représentant Jason Crow (démocrate du Colorado) a déclaré dans un entretien que l’administration Biden devrait appliquer les «normes existantes» stipulant que les Etats-Unis «ne devraient pas transférer d’armes ou d’équipements dans des endroits où il est raisonnablement probable qu’ils seront utilisés pour infliger des pertes civiles ou pour nuire à l’infrastructure civile».

Jason Crow, également membre des commissions du renseignement et des affaires étrangères de la Chambre des représentants, a récemment adressé une demande à Avril Haines, directrice du renseignement national, afin d’obtenir des informations sur «toute restriction» présentée par l’administration afin de s’assurer qu’Israël n’utilise pas les renseignements états-uniens pour nuire à des civils ou à des infrastructures civiles.

«Je crains que l’utilisation généralisée de l’artillerie et de la puissance aérienne à Gaza – et le nombre de victimes civiles qui en résulte – ne constitue une erreur à la fois stratégique et morale», a écrit Jason Crow, un ancien Ranger de l’armée qui a servi en Irak et en Afghanistan.

Un haut fonctionnaire du département d’Etat a refusé de fournir le nombre total ou le montant de toutes les armes transférées à Israël depuis le 7 octobre, mais il les a décrites comme un mélange de nouvelles ventes et de «contrats en cours de type FMS». «Il s’agit de matériel typique pour toute armée moderne, y compris une armée aussi sophistiquée que celle d’Israël», a déclaré le fonctionnaire.

La pénurie d’informations accessibles au public sur les ventes d’armes à Israël ne permet pas de savoir combien des transferts les plus récents correspondent à la fourniture régulière d’une aide américaine à la sécurité d’Israël, par opposition au réapprovisionnement rapide en munitions nécessaire à la poursuite des bombardements de la bande de Gaza.

Israël, comme la plupart des armées, ne divulgue pas systématiquement les données relatives à ses dépenses en armement, mais au cours de la première semaine de la guerre, il a déclaré avoir déjà largué 6000 bombes sur Gaza.

Le manque d’informations publiques sur les livraisons d’armes a incité certains experts en armement à réclamer des changements. «Le processus de transfert d’armes manque de transparence de par sa conception», a déclaré Josh Paul [voir à ce propos la note 1 de l’article publié sur ce site le 30 novembre 2023], un ancien fonctionnaire du département d’Etat qui a démissionné pour protester contre la politique de l’administration Biden à l’égard de Gaza.

Le grand nombre de livraisons effectuées depuis le 7 octobre, largement financées par les plus de 3,3 milliards de dollars de fonds que Washington verse chaque année à Israël, «est quelque chose que nous devrions savoir en tant que citoyens d’une démocratie», a-t-il ajouté.

Les républicains se sont largement opposés aux efforts visant à limiter les livraisons d’armes à Israël. Ils ont présenté cette année un projet de loi visant à fournir 17,6 milliards de dollars supplémentaires à Israël, en plus des 3,3 milliards de dollars versés chaque année. L’administration Biden soutient également l’octroi d’une aide militaire supplémentaire à Israël, mais les querelles internes au Congrès sur la sécurité des frontières [la dite pression migratoire à la frontière mexicaine] et l’aide à l’Ukraine ont empêché la mise en place d’un paquet de crédits.

Ce qui est clair, c’est l’implication profonde de Washington dans le conflit, même si ce n’est pas l’entité qui largue les munitions ou appuie sur la gâchette, a déclaré M. Konyndyk, l’ancien fonctionnaire de l’administration. «Les Etats-Unis ne peuvent pas affirmer, d’une part, qu’Israël est un Etat souverain qui prend ses propres décisions et que nous n’allons pas les remettre en question et, d’autre part, transférer une telle masse d’armement en si peu de temps et faire comme si nous n’étions pas directement impliqués.» (Article publié par le Washington Post le 6 mars 2024, traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] La législation sur le contrôle des exportations d’armes permet de nombreuses exceptions des ventes à des «alliés proches». Ainsi, si une limite de 25 millions de dollars – pour être soumise à un contrôle – est fixée, elle concerne «des équipements de défense importants» ayant exigé une importante recherche et développement (R&D). Par contre, pour ce qui est des bombes, entre autres, la limite est fixée à 100 millions de dollars. Et la législation est d’une complexité qui justifie les nombreuses spécificités liées aux choix géopolitiques du moment. Dans un article du Guardian du 7 mars, la politique de Biden est qualifiée comme ne différant pas sur le fond de celle de Trump. Ainsi, Ari Tolany, responsable sur les questions de sécurité du Centre for International Policy, souligne que Biden utilise la méthode de Trump. Par exemple, ce dernier, entre 2017 et 2019, avait effectué 4221 transferts d’armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis en utilisant les seuils inférieurs au contrôle et obligation de notification au Congrès. Et cela pour un montant total de 11,2 milliards de dollars.  (Réd.)

[2] Dans une déclaration du 5 mars, sept experts des Nations unies ont affirmé qu’«Israël affame intentionnellement» Gaza et qu’une «famine généralisée» dans l’enclave assiégée et brutalisée est «imminente». (Réd.)

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