Portugal. Première enquête socio-démographique sur l’électorat de Chega et des autres partis

André Ventura.

Par Barbara Reis

Les électeurs de Chega (Ça suffit) sont issus de l’abstention [la participation a été de 66,23%, en 2022 elle se situait à 57,96%] et des partis historiques. Dès lors, le PS et le PSD veulent les reconquérir.

Qui compose donc le 1,1 million d’électeurs et d’électrices de Chega?

Ce n’est pas un hasard si le PS (Parti socialiste) et le PSD (Parti social-démocrate, droite; le sigle est PPD-PSD) ont fait référence cette semaine aux électeurs de la Chega, ce 1,1 million de personnes qui ont jusqu’à présent donné au parti populiste de la droite radicale 18% des voix et 48 députés à l’Assemblée de la République lors des élections législatives du 10 mars [restent à connaître les résultats concernant les 4 députés élus dans la circonscription de l’émigration].

«Nous allons développer des politiques pour regagner la confiance de ce 1,1 million de Portugais mécontents», a déclaré Miguel Pinto Luz, vice-président du PSD, dans un entretien accordé au quotidien Público et Rádio Renascença. «Nous devons choyer cet électorat.» [Voir en fin d’article le tableau comparant les résultats des élections de 2022 et de 2024.]

«Nous essaierons de reconquérir les citoyens mécontents du PS», a déclaré Pedro Nuno Santos, le dirigeant socialiste, dans son discours lors de la nuit des élections. «Chega a eu un résultat très significatif. Il n’y a pas 18% de Portugais racistes et xénophobes, mais il y a beaucoup de Portugais en colère qui ont le sentiment de ne pas avoir été représentés et de ne pas avoir reçu de réponse à leurs problèmes concrets.»

Même le PCP (Parti communiste portugais) a changé son fusil d’épaule. Dans une déclaration de son comité central, il a souligné la différence entre Chega et ceux qui ont voté pour Chega. L’«expression» des électeurs du parti fondé par André Ventura [lui-même issu du PPD-PSD] ne doit pas être interprétée comme une «base de soutien à l’extrême droite». Le parti est une chose, les électeurs «entraînés» par l’«illusion» du «faux discours contre la corruption et l’injustice» en sont une autre.

Il existe de nombreux groupes, sous-groupes et caractéristiques dans un ensemble d’un million de personnes. Mais il existe des modèles et des indicateurs de base déjà connus pour définir le profil sociodémographique des électeurs de Chega en 2024 (référence aux analyses de João António, responsable du Centro de Estudos e Sondagens de Opinião da Universidade Católica – Cesop).

«Ce n’est pas la CDU-PCP qui nourrit Chega»

Nous savons que Chega a attiré beaucoup d’hommes, peu de personnes âgées et peu de diplômés universitaires. Nous savons que les électeurs et électrices qui ont voté pour Chega se sont décidés avant la semaine précédant les élections, contrairement aux électeurs des autres partis nouvellement apparus, qui se sont décidés seulement quelques jours avant [voir sur les indécis l’article publié sur ce site le 9 mars]. Et nous savons aussi qu’avant de voter pour Chega, beaucoup se sont abstenus ou ont voté pour le PS.

«Sur la base des données recueillies le jour des élections dans tout le pays, on constate que Chega progresse parallèlement à l’abstention et au PS», explique João António, responsable technique des sondages politiques depuis 2011 à l’Université catholique portugaise et au Cesop, qui a réalisé un sondage dans les bureaux de vote, dont les données sont en cours de traitement. «Il y a aussi un peu d’anciens électeurs du PSD, dit-il, mais pas beaucoup.»

Il suffit de constater, note le chercheur, qu’il n’y a pas de différence entre les résultats électoraux de l’Alliance démocratique (AD) en 2024 et la somme du PSD et du CDS [après des alliances avec le PSD, il s’est présenté seul en 2022 et a obtenu 1,65% des suffrages] aux élections de 2022.

«Le transfert de voix provient surtout de l’abstention et du PS, ce qui confirme les données des sondages réalisés pendant et avant la campagne électorale. Les chiffres nous disent qu’il peut y avoir une indication générale que le PS a perdu directement face à Chega. Ce n’est pas la CDU-PCP [alliance PCP et Verts] qui nourrit Chega.»

Contrairement à ce qui est souvent répété, João António affirme: «Ce n’est pas la CDU et ça ne l’a jamais été. Il peut y avoir une région ou une autre où la CDU a baissé et Chega a augmenté, mais cela n’a pas de pertinence statistique.»

Le chercheur donne l’exemple de Beja [Alentejo]. «La CDU n’a élu aucun député à Beja et a perdu trois points de pourcentage par rapport aux élections législatives de 2022, passant de 18,42% à 15,03%. Et à Béja, Chega est passé de 10,27% à 21,55%. Même si les trois points de pourcentage que la CDU a perdus ont tous voté pour Chega – ce que je ne crois pas, car il est plus plausible que certains soient morts, que d’autres aient voté pour le PS et d’autres partis et que certains aient voté pour Chega – Chega a presque doublé à Beja. Les votes ont dû venir d’ailleurs. Ce que l’on voit du nord au sud du pays, c’est que Chega progresse au détriment du PS, de l’abstention et, moins, du PSD.»

En 2019, l’abstention était de 51,43% et en 2022, de 48,6%. Les votes des émigré·e·s n’ont pas encore été comptabilisés – ils seront rendus publics le 20 mars –, le taux pourrait donc augmenter, mais pour l’instant, l’abstention s’élève à 33,77%. Lors de ces élections, «les anciens abstentionnistes sont sortis de chez eux pour voter Chega».

58% sont des hommes

Que savons-nous d’autre? Le soir des élections, Pedro Magalhães, politologue à l’Institut des sciences sociales (ICS) de l’Université de Lisbonne, a présenté quelques données sur SIC [Sociedade Independente de Comunicação, qui gère des chaînes de TV], basées sur une enquête réalisée dans les bureaux de vote par GfK [société transnationale de sondage], dans le cadre d’un partenariat entre l’ICS et l’ISCTE (Institut Universitaire de Lisbonne).

Les données montrent que 58% des électeurs de Chega sont des hommes et 42% des femmes, ce qui représente le pourcentage le plus élevé d’hommes de tous les partis disposant d’un siège parlementaire.

Par ordre décroissant, voici la répartition des électeurs par sexe: CDU, 56% d’hommes/44% de femmes; Initiative libérale (IL), 54% d’hommes/46% de femmes; AD, 49% d’hommes/51% de femmes; Livre (écologistes), 48% d’hommes/52% de femmes; et PS, 46% d’hommes/54% de femmes. Le Bloco de Esquerda (BE) et Pessoas-Animais-Natureza (PAN) se situent à l’extrême opposé: 38 % des électeurs du BE sont des hommes et 62% des femmes, et 25% des électeurs du PAN sont des hommes et 75% des femmes.

Peu de vieux, peu de jeunes

En ce qui concerne les groupes d’âge, comme l’a montré Pedro Magalhães sur SIC, il est clair que Chega attire peu de votes de la part des électeurs de plus de 65 ans. Lors de ces élections, seuls 9% des électeurs de Chega ont plus de 65 ans. A cet égard, cette formation s’aligne sur tous les partis plus récents.

Dans l’ordre: parmi les électeurs et électrices de IL, seuls 4% ont plus de 65 ans; viennent ensuite Livre (6%), Chega (9%), PAN (10%) et BE (12%).

Dans les partis historiques, les plus de 65 ans représentent une part importante de l’électorat: 34 % pour le PS, 30% pour la CDU-PCP et 20% pour l’AD.

Les jeunes, sans surprise, votent principalement pour les partis les plus jeunes. Mais c’est le parti Chega qui a attiré le moins de jeunes électeurs lors de ces élections. Le 10 mars, le pourcentage d’électeurs âgés de 18 à 34 ans était le suivant: 49% pour IL; 44% pour Livre; 39% pour PAN; 33% pour BE; et 32% pour Chega.

Les partis fondateurs de la démocratie sont tous en dessous de 30%: 22 % des électeurs de l’AD ont entre 18 et 34 ans; 16% pour la CDU et 10% pour le PS.

Mais si l’on prend en considération les électeurs et électrices encore plus jeunes, âgé·e·s de 18 à 24 ans, la situation est différente, explique João António. «C’est AD qui attire le plus, puis Chega, puis IL et, seulement après, PS, BE et Livre, et ces trois-là à égalité.»

Pour le chercheur du Cesop, les sondages de sortie des urnes montrent que «le PS ne parvient pas à attirer les jeunes»: «Les jeunes de 18 à 24 ans ne se souviennent pas d’un gouvernement qui n’était pas PS, il est donc normal qu’ils aient envie d’autre chose. Veulent-ils un changement? Il faut étudier la question. Les jeunes ne décident pas des élections, mais il est intéressant de voir qu’ils sont allés si loin à droite parce que, traditionnellement, les jeunes se situent plus à gauche.»

55% sont allés à l’école secondaire

Une autre question posée aux électeurs à la sortie du bureau de vote concernait le niveau d’études qu’ils avaient atteint. Jusqu’où avez-vous étudié? Les réponses «confirment ce que nous savions déjà», déclare l’expert du Cesop. «Chega compte principalement des électeurs ayant terminé leurs études secondaires, nous le savons depuis longtemps.»

Les chiffres ICS/ISCTE présentés le soir des élections le montrent: 55 % des électeurs de Chega ont terminé leurs études secondaires (le pourcentage le plus élevé de tous les partis).

Mais il y a un changement dans ces élections, note João António: «Contrairement à ce que nous avons vu il y a cinq ans, Chega touche des gens qui ont fait des études supérieures. Le parti pourrait déjà compter entre 25 et 30% d’électeurs titulaires d’un diplôme universitaire.»

Une fois de plus, les données présentées par Pedro Magalhães sur SIC le confirment: 22% des électeurs de Chega ont un diplôme universitaire. C’est le pourcentage le plus faible de tous les partis, mais c’est l’une des nouveautés de ces élections.

Globalement, voici les chiffres de l’ICS/ICSTE: 64% des électeurs du Livre ont terminé leurs études supérieures; 56% de l’IL; 43% de l’AD et du BE; 38% du PAN; 29% de la CDU; et 28% du PS.

Le PS est le parti dont la répartition est la plus équilibrée: 35% de personnes ayant un niveau d’études inférieur au secondaire, 37% de personnes ayant un niveau d’études secondaire et 28% de personnes ayant un niveau d’études supérieur.

A Chega, on compte 24% de personnes n’ayant pas atteint le niveau secondaire, 55% de personnes ayant atteint le niveau secondaire et 22% de personnes ayant atteint le niveau supérieur.

Deux derniers points soulignés par les experts. Ricardo Ferreira Reis, directeur du Cesop, identifie une corrélation nationale de 58% entre la présence d’étrangers et le vote pour Chega. «Ce ne sont pas les étrangers qui expliquent la croissance de Chega, mais c’est l’un des nombreux facteurs.» Ricardo Ferreira Reis parle des quartiers où il y a plus d’étrangers, qu’ils soient électeurs ou non, et affirme: «là où il y a plus d’étrangers, il y a plus de vote pour Chega».

L’autre constat réside dans une poussée sans précédent de «silence» à la sortie des urnes. «Je n’ai jamais vu une telle spirale du silence parmi les électeurs du PS», affirme António Salvador, directeur général d’Intercampus, qui réalise des sondages politiques depuis près de 30 ans. «Beaucoup de gens ne voulaient même pas participer aux enquêtes, ils ne voulaient pas dire qu’ils allaient voter pour le PS.» Pourquoi? «C’est un mélange de malaise, de déception et de doute.» (Article publié par Público le 15 mars 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

Résultats comparés des élections législatives de 2022 et 2024

(Certaines augmentations du nombre de votes doivent être reliées à l’augmentation de la participation en 2024 par rapport à 2022)

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