Par Tobi Thomas
Plus d’un million de personnes en Angleterre sont mortes prématurément au cours de la décennie qui a suivi 2011 en raison d’une combinaison de pauvreté, d’austérité et du Covid, selon une nouvelle recherche «choquante» menée par l’un des plus grands experts en santé publique du Royaume-Uni.
Ces chiffres sont révélés dans une étude de l’Institute of Health Equity de l’University College London, dirigée par Sir Michael Marmot. Ils illustrent l’ampleur les inégalités économiques et sociales criantes qui aboutissent à la mort prématurée des plus personnes plus défavorisées par cancer, problèmes cardiaques et autres maladies.
A partir des chiffres de l’Office for National Statistics, l’auteur du rapport, le professeur Peter Goldblatt, a examiné l’espérance de vie des personnes qui, en Angleterre, ne vivent pas dans les zones d’habitation concentrant les 10% les plus riches de la population.
Le rapport, intitulé Health Inequalities, Lives Cut Short, révèle qu’entre 2011 et 2019, 1 062 334 personnes sont décédées plus tôt qu’elles ne l’auraient fait si elles avaient vécu dans les zones où résident les 10% les plus riches. En 2020, 151 615 autres décès prématurés ont été enregistrés, bien que ce chiffre soit plus élevé que prévu en raison de la pandémie de coronavirus.
Graphique Surmortalité en Angleterre, 2011 à 2019
Nombre de personnes décédées plus tôt qu’elles ne l’auraient fait si elles avaient vécu dans des zones présentant les mêmes taux de mortalité par âge et par sexe que le décile de la zone la moins défavorisée.
Parmi ces décès, Peter Goldblatt en a directement attribué 148 000 aux mesures d’austérité mises en œuvre par le gouvernement de coalition à partir de 2010 [David Cameron, conservateur et Nick Clegg, libéral-démocratique], en les comparant aux niveaux observés précédemment.
Sir Michael Marmot, auteur d’une étude fondamentale sur les inégalités en matière de santé au Royaume-Uni en 2010, a déclaré que les décès prématurés et l’aggravation des inégalités constituaient un «état des lieux désolant». Il a exhorté les dirigeants politiques à faire davantage pour lutter contre le fait que les personnes les plus pauvres courent un risque beaucoup plus élevé de contracter des maladies et d’en mourir, ce qui est étroitement lié à la pauvreté, aux mauvaises conditions de logement et à celles faites aux chômeurs et chômeuses.
Il a affirmé: «Un million de décès prématurés, aggravés de façon dramatique par l’austérité, est un échec politique révoltant. La détérioration de la santé des 90% les plus démunis de la population, par rapport aux 10% les plus aisés, signifie que les inégalités en matière de santé touchent la majorité de la société. Si vous aviez besoin d’un exemple de ce qu’il ne faut pas faire en matière d’inégalités de santé, le Royaume-Uni vous le fournirait. Le seul autre pays développé qui fait pire est les Etats-Unis, où l’espérance de vie diminue. Notre pays est devenu pauvre et avec des conditions de santé dégradées; un pays où vivent quelques personnes riches et en bonne santé. Les gens se soucient de leur santé, mais celle-ci se détériore et leur vie se fait plus courte, sans qu’ils en soient responsables. Les dirigeants politiques peuvent choisir de donner la priorité à la santé de tous, ou non. Actuellement, ils ne le font pas.»
Selon une analyse réalisée par Cancer Research UK, 33 000 cas supplémentaires de cancer au Royaume-Uni sont associés chaque année à la précarité, tandis que les femmes des régions les plus pauvres d’Angleterre meurent en moyenne cinq ans plus tôt que leurs homologues plus aisées. Lors de la pandémie de coronavirus, les personnes d’origine noire et asiatique risquaient davantage de mourir du virus que leurs homologues blancs.
Des recherches antérieures ont montré que les politiques introduites par les gouvernements travaillistes entre 1997 et 2010, qui se concentraient sur la petite enfance et l’éducation, commençaient à réduire les inégalités flagrantes en matière de santé. Une grande partie des mesures prises découlaient de l’English health inequalities strategy (stratégie anglaise sur les inégalités de santé), un plan gouvernemental transversal et régional. Des études ont montré que cette stratégie particulière était associée à une diminution des inégalités géographiques en ce qui concerne les disparités en matière d’espérance de vie, ce qui a permis d’inverser une tendance à la hausse qui existait auparavant.
Toutefois, après sa fin en 2010, qui a coïncidé avec l’introduction de l’austérité, les inégalités en matière de santé ont recommencé à se creuser. Le rapport 2020 de l’institut intitulé Health Equity in England: the Marmot Review 10 Years On (Equité en matière de santé en Angleterre: le rapport Marmot 10 ans plus tard) a constaté que l’amélioration de l’espérance de vie avait stagné, le ralentissement le plus marqué étant observé dans les zones les plus défavorisées, et qu’elle avait même reculé encore plus pour les femmes vivant dans le 10% des zones les plus pauvres.
L’étude a révélé que pendant la pandémie, les inégalités entre les 10% de zones les moins et les plus défavorisées ont contribué à une surmortalité de 28 000 personnes par rapport aux cinq années précédentes.
Le rapport indique également que le nombre d’«années de vie en bonne santé» – qui mesure la durée pendant laquelle une personne vit sans problème de santé – s’est dégradé au Royaume-Uni par rapport aux pays de l’Union européenne au cours des dernières années. En 2014, les hommes et les femmes du Royaume-Uni avaient un nombre moyen d’années de vie en bonne santé supérieur à celui des pays de l’UE. Toutefois, en 2017, ce nombre d’années a stagné pour les hommes et baissé pour les femmes, alors qu’il a augmenté de deux ans pour les deux sexes au sein de l’UE.
Wes Streeting, secrétaire d’Etat à la Santé du Cabinet fantôme [depuis fin novembre 2021], a déclaré que le prochain gouvernement travailliste aurait pour mission de «construire une Grande-Bretagne plus juste, où chacun vit bien et plus longtemps. Le dernier gouvernement travailliste [Gordon Brown juin 2007-mai 2010] n’a pas seulement raccourci les listes d’attente du NHS (National Health Service) et obtenu le taux de satisfaction des patients le plus élevé de l’histoire. Il s’est également attaqué aux déterminants sociaux de la santé et a réduit les inégalités en matière de santé. Quatorze années de destruction par les conservateurs de l’héritage des travaillistes ont laissé notre pays avec un NHS à genoux, une société de plus en plus en mauvaise santé, avec des conséquences épouvantables pour les gens. L’endroit où vous êtes né et les circonstances dans lesquelles vous êtes né ne devraient pas décider de votre durée de vie. Le prochain gouvernement travailliste aura pour mission de remettre notre système de santé sur pied et de construire une Grande-Bretagne plus juste, où chacun vit bien et plus longtemps.»
Sir Michael Marmot a ajouté qu’il était temps d’agir et de faire preuve de leadership politique dans tous les domaines. «Aussi important que soit le NHS – financé par l’Etat et gratuit en termes d’accès – il faut agir sur les déterminants sociaux de la santé: les conditions dans lesquelles les gens naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent. Ces conditions sociales sont les principales causes des inégalités en matière de santé. Je dis aux chefs de parti: faites-en l’axe central du prochain gouvernement – mettez fin aux politiques qui nuisent à la santé et creusent les inégalités en matière de santé. Aux députés: si vous vous souciez de la santé de vos électeurs et électrices, vous devez être consternés par la détérioration de leur état de santé.» (Article publié par le quotidien The Guardian le 8 janvier 2024; traduction rédaction A l’Encontre. The Guardian a demandé un commentaire au gouvernement Sunak. Il attend.)
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