Les Jeux olympiques de Tokyo, après diverses hésitations, devraient commencer le 23 juillet 2021, bien que, comme le relate le quotidien Le Monde en date du 4 février: «80% des Japonais souhaitent que les Jeux soient reportés ou annulés». Par contre, le président du comité d’organisation des Jeux de Tokyo, Yoshiro Mori, a martelé devant le parlement, le 2 février: «Nous ne devons pas discuter de l’organisation ou non des jeux, mais de la manière dont nous devons les organiser.» Cette méthode n’est pas pour déplaire à la direction du CIO – réfugiée dans le «Lausanne-ville olympique» –, maître d’œuvre pour ce qui relève des questions financières et de la politique de commandement. Ce qui peut changer, selon le duo Yoshiro Mori-Thomas Bach, est le nombre de pages du Playbook détaillant les mesures de prévention permettant de faire obstacle à un sprint ou à un marathon du Covid-19. D’ailleurs, Thomas Bach a promis des «Jeux sûrs» même en pleine pandémie (AFP, 28 janvier 2021). Dès lors, la version d’avril du Playbook pourrait préciser les «mesures barrières», en particulier pour les 110 mètres haies et le 3000 mètres steeple. Le comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 doit certainement examiner l’expérience japonaise pour assurer une version française du Playbook olympique.
Dans ce contexte tombe à point l’ouvrage de Marc Perelman intitulé 2024, les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu. Nous lui avons dès lors demandé quelles étaient les positions de la gauche française – quitte à entrer dans les détails de la politique nationale et parfois locale de ses divers protagonistes – quant à la mise en œuvre de ce vaste projet olympico-mondialisé. En effet, ce n’est pas le moment d’oublier que le 9 juin 2017, le CIO avait recommandé pour 2024 et 2028 Paris et Los Angeles «afin de combler le manque de villes candidates»! (Réd. A l’Encontre)
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Patrick Braouezec (ex-président, communiste selon les saisons, de l’Établissement public territorial Plaine Commune remplacé par le nouveau maire socialiste de Saint-Denis, Mathieu Hanotin) précisait en pleine crise du coronavirus son point de vue plutôt inquiet sur le devenir des JO : « […] la priorité du moment doit rester la protection de la santé de tous. […] quels sont les chantiers qui, interrompus durant la pandémie, doivent redémarrer en premier ? […] des logements, des écoles, des transports, des centres de santé, des espaces publics. […] Nous avons engagé notre territoire dans l’aventure des JOP car […] les Jeux laissent un héritage aux habitants du territoire. […] Les Jeux peuvent contribuer au rattrapage indispensable auxquels les habitants de notre département ont droit. C’est pour cette raison que nous avons défendu l’idée d’un Village des Athlètes conçu comme un vrai quartier de ville, avec des logements accessibles à tous, mais aussi des équipements publics et des lieux d’activités. À ce titre, les chantiers liés aux JO sont tout aussi prioritaires que les autres chantiers. Ni plus ni moins que les autres. […] À l’heure où la crise sanitaire révèle encore un peu plus les inégalités dont souffre notre département, il n’est pas envisageable que nous renoncions à l’ambition d’exemplarité qui nous a animés, tant dans la préparation des Jeux que dans leur héritage. » (lejdd.fr, 25 avril 2020)
Le lendemain de cette déclaration, Guy Drut, membre du CIO, lâchait une petite bombe au cœur de l’organisation des JO de Paris : « [Les Jeux] ne pourront pas se tenir à n’importe quel prix, déconnectés de la réalité, en “marge” du monde. Le beau projet que nous avons construit et porté en phase de candidature pour Paris 2024 est aujourd’hui obsolète, dépassé, déconnecté de la réalité. Il n’est plus en phase avec le réel. Si dans son esprit, il doit rester inchangé, il nous faut revoir ses moyens, et nous recentrer sur l’essentiel. La première nécessité, c’est ainsi de faire une réévaluation budgétaire de ce que vont coûter les JO de Paris 2024. […] Cela coûte très cher de construire de nouveaux équipements pour une épreuve qui dure, elle, seulement trois/quatre jours. […] Les Jeux sont utiles – plus encore en période de crise. » (franceinfo.fr, 26 avril 2020)
Avec cette déclaration explosive, Guy Drut torpillait les espoirs de tous les aficionados des JO et en particulier P. Braouezec et les Insoumis locaux à l’instar de Bally Bagayoko ex-responsable entre autres des sports, grands évènements (jeux olympiques et paralympiques) à la mairie Pcf de Saint-Denis (jusqu’aux municipales de juin 2020) et chef de file des Insoumis de la ville. B. Bagayoko fut aussi la tête de liste pour les municipales 2020 des Insoumis (« rouge et vert ensemble »), ne tarissant pas d’éloges pour Paris 2024 qui serait, selon lui : « […] idéal commun et préservation des valeurs initiales de l’olympisme alliant le sport à la culture, à l’éducation, au respect des valeurs humaines, éthiques et de la solidarité […] ; [il faut] faire [des JO comme du Stade de France] un outil de valorisation de notre territoire […] ; faire des JOP 2024 un outil de correction des inégalités territoriales, sociales mais aussi environnementales et économiques […] ; faire [des JOP] un événement populaire, solidaire, ouvert et accessible pour l’ensemble des habitants quels que soient leur âge et leur niveau de ressource. […] ; nous voulons être dignes des valeurs de l’olympisme, être en phase avec les réalités actuelles de nos populations […] vecteur premier d’inclusion sociale de solidarité et de civisme. » (Intervention de Bally Bagayoko, le 29 mars 2017, lors du Conseil municipal de Saint-Denis).
L’adjoint au maire prendra à plusieurs reprises la parole en faveur des JO Paris 2024 jusqu’à se substituer et du coup contredire celle de Jean-Luc Mélenchon. Bally Bagayoko nous donnait son explication : « Son hostilité [celle de Jean-Luc Mélenchon aux JO de Paris 2024] remonte au moment du dépôt de la candidature. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la même séquence, Paris est désormais candidate. […] Nous serons attentifs au fait que l’enveloppe de 6,5 milliards d’euros, dont 1,5 milliard d’argent public, ne soit pas dépassée. Une commission indépendante le vérifiera. Nous souhaitons aussi, bien sûr, des Jeux solidaires, propres et responsables. Nous ne pouvons pas refuser ces grands événements et la plus-value qu’ils apportent. » (lefigaro.fr, 20 avril 2017). Le dirigeant des Insoumis J.-L. Mélenchon avait en effet déclaré le 30 mars 2017 : « Les Jeux olympiques à Paris ? Je n’y suis pas favorable. » Après cette prise de position, et depuis elle, il ne dira par contre plus rien lorsque Paris sera désignée comme ville hôte en septembre 2017.
De son côté, D. Simonnet (porte-parole des Insoumis) tenait le propos suivant au moment des élections municipales de 2020 : « Il faut annuler les JO Paris 2024. » Ce qui ne l’avait pas empêché de déclarer quelques années auparavant : « Nous devons démontrer que d’autres Jeux olympiques sont possibles, simultanés avec les Jeux paralympiques, respectueux de notre écosystème, à condition que leur organisation émane de la souveraineté des peuples et non des multinationales via un CIO opaque, gangrené par la corruption. » (Le Journal de l’insoumission, 23 octobre 2017). Quels que soient le degré d’indécision, la confusion ou le mutisme de J.-L. Mélenchon et de D. Simonnet, tous deux avaient pris des positions à tout le moins opposées à celle de B. Bagayoko, le représentant des Insoumis à Saint-Denis. Ce dernier n’aura en effet cessé de défendre les JO de Paris 2024 jusque pendant les élections municipales de mars-juin 2020. Bally Bagayoko précisait alors : « Ces JOP doivent être une opportunité pour la ville » (lejsd.com, 12 mars 2019). On se souviendra pour la petite histoire locale, mais qui a une portée nationale du fait des Jeux olympiques eux-mêmes, que sur la liste municipale présentée durant un court moment en commun par les Insoumis et le Pcf en vue du 2e tour des élections municipales, on trouvait en seconde position, derrière Laurent Russier (tête de liste Pcf) et devant B. Bagayoko (Insoumis), la sémillante Cécile Gintrac (« non-encartée »), l’une des porte-parole d’un Comité de vigilance des JO 2024, qui nous avait avertis un an auparavant de ceci : « Nous sommes indépendants des partis politiques, et ne nous positionnons pas pour ou contre les JO » (reporterre.net, 9 avril 2019). De fait, C. Gintrac tout comme B. Bagayoko se préparaient, après leurs élections, à être vigilants… vigilants surtout par rapport à la bonne marche des JO en Seine Saint-Denis et sous leur direction.
Finalement, au bout de multiples rebondissements, tout s’écroulera : pas de liste commune Pcf et Insoumis à Saint-Denis ; pas de liste Insoumis non plus et donc aucun Insoumis au Conseil municipal. Le parti socialiste sera donc seul en charge des JO à Saint-Denis et plus largement en Seine-Saint-Denis. Après son élection, le nouveau maire PS de Saint-Denis déclarait que « les JO, c’est beaucoup plus qu’un héritage physique. C’est aussi le sentiment de fierté d’un territoire, d’une population, à travers les épreuves et notamment les épreuves reines, l’athlétisme et la natation » (lemonde.fr, 29 septembre 2020). Venant d’un maire élu avec 18 % des inscrits (et presque 70 % d’abstentions), ces propos déjà très douteux ne pèsent plus beaucoup quand on les rapproche de la représentativité réelle de M. Hanotin. Par ailleurs, si M. Hanotin connaît les « épreuves reines » des JO, il a le plus grand mal à apprécier les épreuves matérielles réelles que subissent ses administrés au quotidien.
Restons à gauche ou ce qu’il en reste. Parmi les fervents supporters de Paris 2024, la présence d’un journaliste de Mediapart pourrait surprendre. Il est vrai cependant que le peu d’empressement voire la grande discrétion de ce journal « tout en ligne » à dénoncer les JO sauf à admettre du bout des lèvres le coût financier trop lourd qu’ils représenteraient pour la France, laissait planer une certaine ambiguïté sur son analyse de cet événement mondial. La critique s’arrête net à la question de l’argent. Certes, tous les mois, les colonnes du journal sont ouvertes à un Comité de veille et d’étude : Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 de Paris.
Ce « Comité », précisons-le d’emblée, est une émanation de la FSGT 93 (Fédération sportive et gymnique du travail), c’est-à-dire une organisation liée au Parti communiste français qui est lui-même on ne peut plus soumis à l’idéologie olympique, et même l’un de ses fers de lance. Que dit ce « Comité » ? Ce « Comité » souhaite « prendre la mesure du défi et se propose de créer une veille sur les mises en œuvre des engagements pris et d’œuvrer au développement et à l’accès du sport pour tous et toutes, partout sur le territoire français, outre-mer compris ». On l’aura compris, ce « Comité » est avant tout une petite machine de propagande aidée dans sa démarche constructive par Mediapart et qui cherche pour l’essentiel à s’impliquer, l’air de rien, en faveur des Jeux olympiques de Paris 2024 tout en dénonçant (mollement) les dérives dues à l’argent. On reconnaîtra ici très vite la position politique traditionnelle du Pcf – « Le sport pour tous » – quand il s’agirait plutôt de dénoncer l’organisation capitaliste du sport. La « veille » qu’il propose ressemble davantage à un acquiescement à l’ordre olympique, une façon de légitimer le bon déroulement de l’événement mondial qu’à une véritable alerte politique sur le pseudo-héritage des JO. Bref, on comprend mieux maintenant le pourquoi de cette absence de critique sur le fond des JO Paris 2024 de la part de Mediapart et d’autant mieux encore la présence d’un journaliste co-fondateur de ce média dans un lieu hautement symbolique, en l’occurrence une ambassade.
Et j’en arrive maintenant à ce journaliste. Le journaliste en question s’appelle Laurent Mauduit ; il est l’un des co-fondateurs de Mediapart. On le voit sur une photographie datée du 17 juin 2017 (reproduite en fin d’article) tout de blanc vêtu, tenue de tennisman immaculée, mine réjouie, portant des lunettes de soleil, les deux bras sur les épaules de son fils Tristan. Il est photographié à l’intérieur de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris et dans la meilleure des compagnies, soit dans le cadre du tournoi de tennis des « Personnalités engagées » organisé par le très sélect club « Sport et démocratie ». La photo de famille montre Laurent Mauduit entouré d’une kyrielle de membres de la haute société, disposés à la façon d’une équipe de sport sur le gazon parfait du terrain de tennis en territoire britannique à Paris. Soit debout, soit un genou à terre, la plupart d’entre eux joignent deux doigts de chacune de leurs mains en signe de soutien à Paris 2024 (le symbole de la tour Eiffel). D’après le journaliste présent, ils scandent tous en chœur ce qui fut à un moment donné la devise de la candidature de Paris : « Made for sharing. » Laurent Mauduit est entouré entre autres de Guy Birenbaum (journaliste à France Info), Véronique Bourez (vice-présidente McDonald pour Coca-Cola), Carine Galli (journaliste à l’Équipe), Gilles Vetillart (chef d’entreprise), Alexis de Fontenioux (consultant en développement personnel). Le « Club Sport et Démocratie, note le journaliste présent, est un club privé affinitaire et collaboratif qui incite des talents et des passionnés par le sport à donner du temps à l’amélioration de la société par et pour le sport » avec le soutien de Carrefour Groupe (avec la présence de sa directrice de la communication en la personne de Mme Marie-Noëlle Brouaux) et de Lacoste (opinions-internationale.com, 19 juin 2017). Magnifique profession de foi ! On trouve parmi les diverses personnalités de son Comité des sages : Marie-George Buffet (parti communiste) et Valérie Fourneyron (parti socialiste). Pour rappel, Laurent Mauduit est l’auteur d’un ouvrage intitulé La Caste qui porte sur les prébendes de la haute fonction publique et d’un autre ouvrage Les Imposteurs de l’économie, une enquête sur les conflits d’intérêts dans le monde du capitalisme financier. Sa présence sur le gazon coupé ras de l’ambassade de Grande-Bretagne avait-elle à voir avec les enquêtes qu’il mène ? Passait-il là par hasard ? Certes, Laurent Mauduit même co-fondateur ne représente pas tout Mediapart. Reste que la lecture de ce média « tout en ligne » ne laisse aucun doute sur la conception que la plupart des journalistes qui le composent se font du sport. Par exemple, on lira avec effroi l’article effarant de Stéphane Alliès (co-directeur éditorial de la rédaction) au moment de la mort de Maradona, « Pourquoi Diego ne meurt jamais ». Un article où le déni de la mort est étroitement mêlé à la fascination hystérique pour un footballeur mercenaire, un article de pure apologie de la triche d’un individu proche de la mafia. La ligne politique de Mediapart est limpide : surtout pas de vague autour des JO de Paris 2024, pas de contestation et encore moins de critique politique mais plutôt un soutien feutré et discret, une sorte de bienveillance tranquille. Cette position acritique vis-à-vis des JO découle de la position acritique vis-à-vis du sport.
Dans le consensus sans faille qui associe toutes les composantes de la gauche, certains parlent désormais des restes de la gauche, Mediapart s’aligne sur la même analyse politique du sport et des JO que celle du parti socialiste, du parti communiste, sans doute désormais des écologistes et de la plupart des Insoumis (le Npa et Lutte ouvrière se sont engagés contre les JO en se centrant, pour l’essentiel, sur leurs conséquences urbanistiques et sociales). La gauche est olympique. (3 février 2021)
Marc Perelman est architecte et enseignant-chercheur à l’Université Paris-Nanterre. Il s’intéresse particulièrement au sport sur lequel il a écrit de nombreux essais, dont Le Football, une peste émotionnelle (Folio, 2006, avec Jean-Marie Brohm) et Smart Stadium, le stade numérique du spectacle sportif (L’Echappée, 2016).
Il faut absolument lire le dernier livre de Marc Perelman pour comprendre pourquoi le débat sur l’idéologie olympique, sur la compétition permanente, sur la course aux médailles n’a pas lieu. La presse nationale et régionale, écrite et parlée, dans sa grande majorité suit parfaitement les ordres du CIO qui demande de tout faire pour “réduire tout risque potentiel de perception négative”. La classe politique dans son ensemble (France insoumise comprise)toujours sourde à toute analyse approfondie du phénomène sportif, participe à la censure et à l’aveuglement. Et il faut que les non-sportifs (ceux qui n’aiment pas le sport) le voient enfin comme un fait social total au multiples implications politiques, économiques, idéologiques et culturelle. Le livre de Marc Perelman doit leur permettre d’ouvrir les yeux et de comprendre qu’analyser le sport c’est analyser la société.