En avril 2019, le gouvernement brésilien d’extrême droite a accéléré la démolition du système de gestion et de protection de l’environnement, démantelant ses propres organes sectoriels et provoquant des réactions internes et internationales alarmantes.
«Le plus grave est à venir, c’est le démantèlement des règles environnementales, comme la réserve légale», a déclaré à IPS (International Press Service) Paulo Barreto. Il est chercheur associé à l’Institut de l’Homme et de l’Environnement de l’Amazonie (Imazon). Il fait référence à la partie que chaque propriété rurale doit conserver et préserver légalement.
Cette réserve atteint 80% dans la région amazonienne, tombe à 35% le Cerrado (la savane brésilienne), le deuxième biome (milieu écologique étendu et homogène) du pays, et à 20% dans les autres écorégions.
Cette exigence, mise en œuvre par l’actuel Code forestier – en vigueur depuis 1934 mais actualisé à plusieurs reprises – a vu les pourcentages de conservation fixés en 1965 et confirmés par une révision de la loi en 2012. A la réserve légale s’ajoutent les zones de conservation permanente, comme les zones riveraines et les zones de montagne.
Un projet de loi présenté par le sénateur Flavio Bolsonaro (Rio de Janeiro), fils du président Jair Bolsonaro, vise à révoquer la réserve légale, arguant qu’il s’agit de rétablir le plein «droit constitutionnel à la propriété» et de supprimer un obstacle au développement.
La proposition, envoyée au Sénat le 16 avril et cosignée par le sénateur Marcio Bittar (Etat d’Acre), soutient que cette mesure débloquerait l’utilisation potentielle de 15 billions (millions de millions) de dollars en ressources minérales et énergétiques, de huit billions de dollars en biodiversité et de vastes zones d’expansion agricole.
«Si elle est approuvée, la situation sera très moche», reconnaît Barreto.
Mais il est peu probable qu’une mesure aussi radicale ruine l’ensemble des efforts déployés depuis des décennies pour prévenir de nouveaux dommages à la nature. Au Brésil, le biome atlantique Mata (forêt) a perdu plus de 90 % de ses forêts d’origine et l’Amazonie environ 20 %.
«Il est temps de mettre en œuvre le Code forestier, et non de le modifier», a réagi la Coalition brésilienne pour le climat, les forêts et l’agriculture, un mouvement qui rassemble 194 entreprises, associations professionnelles, organisations non gouvernementales (ONG) et centres de recherche.
La version actuelle du Code, approuvée en 2012 après cinq ans de débats, «est le premier pas vers le renforcement de la production agricole tout en préservant l’environnement», au bénéfice du secteur agricole, dont «la productivité est très dépendante des conditions climatiques», a déclaré la Coalition.
Cette coalition [qui révèle une composition hétérogène, aux intérêts différents traduit la réaction face à l’ampleur destructrice des mesures proposées] comprend la firme étatsunienne Cargil et la société brésilienne Amaggi, deux des firmes transnationales qui dominent le commerce agricole mondial, ainsi que l’Asociación Brasileña del Agronegocio y la Asociación de Criadores [éleveurs] de Ganado Zebú [zébu : bovidé domestique].
«L’action du gouvernement contre l’environnement est si agressive qu’elle a déclenché le signal d’alarme, et pas seulement au Brésil», a dit M. Barreto.
Avant d’entrer en fonction, le 1er janvier 2019,, Jair Bolsonaro avait annoncé son intention d’abolir le ministère de l’Environnement. Il ne l’a pas fait, mais il a réduit ses fonctions, transférant le Service des forêts et la gestion des ressources en eau à d’autres ministères, ainsi que l’élimination des organes internes chargés des changements climatiques et de la désertification.
Par contre, le Ministère de l’agriculture a étendu ses pouvoirs aux domaines forestiers et à la démarcation des terres autochtones, même si ses intérêts productifs s’opposent à ces nouvelles fonctions. L’entreprise agricole protège l’environnement, a soutenu le président, ignorant la déforestation promue par le secteur, en particulier l’élevage.
Lesdits «ruralistes» [grands propriétaires], représentants de la grande agro-industrie – qui ont une forte fraction au parlement – ont été importants pour le triomphe électoral de Bolsonaro. Par conséquent, ils ont un pouvoir écrasant au sein du gouvernement.
Le ministre de l’Environnement Ricardo Salles, allié inconditionnel des ruralistes, a décapité les principales agences qui mettent en œuvre les politiques environnementales.
Le 28 février, il a congédié les surintendants de l’Institut brésilien de l’environnement (Ibama), un organisme de réglementation et d’inspection dans 21 des 27 Etats du pays. Deux mois plus tard, il n’y a plus de substituts.
En outre, le 26 avril, Ricardo Salles a ordonné une réduction de 24 % du budget d’Ibama, déjà affecté par un grave manque de ressources humaines et financières, réduisant sa capacité à évaluer les grands projets nécessitant un permis environnemental.
Les dirigeants de l’Institut Chico Mendes [assassiné en 1988] pour la conservation de la biodiversité (ICMBio), qui gère 334 unités de conservation et 14 centres de recherche, ont démissionné parce qu’ils étaient en désaccord avec les mesures du ministre et ses menaces contre les fonctionnaires.
Pour les remplacer, Ricardo Salles a nommé quatre officiers de la police militaire de la zone environnementale de l’État de São Paulo, avec une expérience limitée et des qualifications douteuses pour affronter les nouveaux défis.
Militariser l’administration publique est l’orientation de Jair Bolsonaro pour plusieurs ministères, de l’éducation à l’infrastructure, l’énergie et même le tourisme.
«Nettoyer» Ibama et ICMBio est la tâche de Salles, a-t-il déclaré le 29 avril à l’Agrishow, une foire de technologie agricole, à Ribeirão Preto, un centre sucrier situé à 310 kilomètres de São Paulo.
Il y a célébré avec les paysans l’harmonie entre les ministres de l’Environnement et de l’Agriculture, et réitéré son aversion pour les organismes environnementaux, pour être une «industrie qui inflige des amendes» et être dominée par des militants radicaux.
Toute cette pression antienvironnementaliste au sein du gouvernement ne s’est pas encore traduite par une augmentation de la déforestation en Amazonie car il y a eu beaucoup de pluie durant les premiers mois de l’année dans la région, ce qui a rendu la déprédation difficile. «Mais la tendance future est inquiétante», a déclaré M. Barreto.
«C’est un tir dans le pied, en plus de l’impact écologique, elle nuit à la santé, avec des problèmes respiratoires», en raison de la fumée des incendies, et d’autres maladies, a déclaré le chercheur d’Imazon, une organisation non gouvernementale qui contrôle la déforestation rapide en Amazonie.
Opposer la préservation des forêts au développement est une bonne option. Diverses études ont confirmé qu’il est possible de produire davantage sans déforestation et qu’un élevage durable du bétail assure plus de satisfaction à un plus grand nombre de travailleurs, qui de plus sont mieux rémunérés.
Cette réalité est reconnue par un secteur «moderne» des paysans, mais il y en a d’autres avec «des idées arriérées qui entravent et confondent tout» et s’alignent avec le gouvernement, qui «ne comprend pas l’Amazonie» dans son rôle climatique et encore moins dans sa «dimension symbolique», selon Barreto.
L’offensive du gouvernement contre l’environnementalisme semble «orchestrée avec des attaques contre la science, la presse» et d’autres secteurs, a affirmé Barreto. L’enseignement de la philosophie et de la sociologie est également rejeté. Selon M. Bolsonaro, la priorité devrait être donnée aux «vétérinaires, aux ingénieurs et aux médecins», qui assurent «soins immédiats aux contribuables».
Des réactions ont commencé à apparaître à l’étranger, comme la lettre de 602 scientifiques demandant à l’Union européenne de subordonner les importations de produits brésiliens au respect des engagements environnementaux et des droits des indigènes.
Le Muséum d’histoire naturelle de New York a refusé d’accueillir un événement au cours duquel le président brésilien serait honoré par la Chambre de commerce Brésil–États-Unis comme l’un des personnages de l’année.
Au Brésil, pour l’instant, la résistance consiste en une tâche de communication, d’«information de base» sur les questions environnementales et climatiques et leurs effets économiques, «en partant presque de zéro», dit Barreto.
Ce qui sera probablement décisif, c’est une réaction du secteur privé, puisque «ce gouvernement n’écoute pas les ONG», a-t-il conclu. (Article publié par IPS Brésil, le 3 mai 2019; traduction A l’Encontre)
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