Etat espagnol. Accord sur le budget général de l’Etat: ombres et lumières

Sanchez (PSOE) et Iglesias (Podemos) se félicitent mutuellement: le projet de budget ouvre-t-il la porte du gouvernement?

Par Fernando Luengo
et Manuel Garí

Le document Accord du budget général de l’État 2019: un budget pour un état social conclu entre le gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Pedro Sánchez et le groupe parlementaire confédéral d’Unidos Podemos/En Comú Podem/En Marea suppose, s’il est mis en œuvre, une amélioration des conditions d’existence, sur certains aspects importants, de larges secteurs de la population.

Les obstacles qui se dressent sur le chemin de l’adoption de ce budget général (PPGG-Presupuestos Generales) sont nombreux. Il s’agit d’obtenir l’accord de la Commission européenne, le soutien des forces nationalistes et indépendantistes basques et catalanes ainsi qu’assurer une pression (sociale et politique) pour que les mesures prévues se concrétisent et, plus encore, qu’il s’agisse d’un premier pas préalable à de nombreux autres.

L’accord annonce un point d’inflexion par rapport à la tendance antisociale, d’austérité et autoritaire qui a présidé l’économie et la politique de notre pays au cours des dix dernières années. Il prévoit des mesures à porter au budget, des accords de nature politique extérieurs au domaine budgétaire ainsi que plusieurs intentions dont la question de l’application et du développement est laissée à l’avenir. Tout ce qui a été mis en avant est nécessaire, mais cela est non seulement insuffisant et n’épuise pas l’espace du possible.

Sans vouloir être exhaustif – il n’est pas nécessaire de répéter ce qui a déjà été dit – nous pouvons distinguer plusieurs éléments courageux de ces accords. La hausse du salaire minimum interprofessionnel (SMI) touchera directement 12% des travailleurs et travailleuses; sa signification politique est importante dans la mesure où elle souligne l’importance de la nécessité d’opérer un rattrapage salarial, ce qui aura un effet immédiat sur les conditions de vie de millions de personnes, permettra une hausse de leur pouvoir d’achat, ce qui aura des répercussions positives sur l’économie et ouvre la porte à de possibles augmentations salariales plus importantes dans le cadre de négociations collectives.

Il faut également souligner la proposition visant à indexer la hausse des pensions de retraite sur l’évolution de l’index des prix à la consommation (IPC), l’augmentation des allocations chômage pour les personnes âgées de plus de 52 ans, l’élimination de la précarisation et de l’escroquerie sociale que représente l’extension du secteur des «faux indépendants», les améliorations du système destiné aux employées de maison et les cotisations des heures supplémentaires ou l’extension et la consolidation des congés de paternité et de maternité ainsi que les aides aux personnes handicapé·e·s.

Un objectif: améliorer les mesures proposées et préparer les conditions pour le faire

Sans remettre en cause ce qui précède et en reconnaissant l’importance de ces avancées, il faut aussi reconnaître que ces mesures peuvent et doivent être améliorées. Si nous comparons le SMI, 900 euros, avec d’autres pays de l’UE, il est évident qu’il y a une marge de progression. Il s’élève à 1922,96 euros au Luxembourg, 1’501,82 en Belgique, 1’501,80 en Hollande, 1’457,52 en France et 1’378,87 en Grande-Bretagne. En ce qui concerne les retraites, le mouvement des retraité·e·s exigeait que la pension minimale soit fixée à 1040 euros alors que l’accord n’indique pas quel en sera le seuil. En ce qui concerne la forte augmentation des aides aux invalides, les secteurs concernés soulignent l’insuffisance du montant. Dans le domaine de ce qui a été conclu, il reste encore beaucoup à obtenir.

Mais, ce qui est encore plus important, réside dans le fait que cet accord suppose une renonciation – ou, si l’on préfère, remettre à plus tard – des aspects que les forces du changement ont toujours considérés comme étant essentiel.

Ainsi, par exemple: l’abrogation de la [contre-]réforme de la législation du travail, ce que le PSOE s’était engagé à faire; la taxation des banques ainsi qu’une réforme fiscale complète comprenant des critères progressifs, au-delà des mesures adoptées sur le patrimoine, l’impôt sur les sociétés et l’Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPF) de ceux dont les salaires sont élevés, toutes mesures que nous soutenons mais qui n’ont un impact que superficiel. De même, ce qui est prévu en matière de logement est – ainsi que l’a signalé le Sindicato de Inquilinos [Syndicat de locataires] – largement insuffisant et doit être amélioré. En même temps que sont envisagées d’importantes mesures politiques pour mettre un terme à la répression visant le syndicalisme, le document maintient un ton ambigu sans prendre les engagements nécessaires et urgents contre la Loi muselière [instaurant une série de dispositions liberticides], la réforme du Code pénal ou des solutions à la question catalane.

Si des questions d’importance vitale sont bien mentionnées, comme la transition énergétique, la nécessité de mettre un terme au pouvoir omniscient et omniprésent de l’oligopole de l’électricité (production et distribution) ainsi que la réponse qui doit être apportée au changement climatique sont insuffisamment traitées ou oubliées dans le texte de l’accord qui a été conclu. Au même titre, que la question d’une fiscalité progressive ou les privilèges des élites économiques.

Une stratégie pour arriver au gouvernement aux côtés du PSOE?

Il est aussi important de signaler les avancées représentées par la volonté d’un changement de tendance que d’éviter deux questions: d’un côté, ne pas prendre en compte les limites de l’accord et se laisser emporter par une euphorie qui ne nous prépare pas aux prochains défis; et, de l’autre, présenter les accords comme étant le seul scénario possible pour progresser politiquement vers une stratégie placée au service de la majorité sociale, ainsi que cela est reflété par l’une des phrases répétées dans Podemos souvent ces jours-ci: «il faut continuer à faire pression sur les socialistes».

A notre avis, le projet de changement ne peut ni ne doit rester enfermé ou être dilué comme une marge de manœuvre que nous offre ou que nous arrachons au PSOE dans les coulisses des institutions. Et cela pour différentes raisons: parce que ce parti s’aligne avec la droite sur «l’état des choses actuel» ayant trait à des thèmes essentiels (monarchie, transparence en matière de fraude fiscale, privilège des grandes entreprises privées, accords commerciaux…). Ensuite, parce que la seule manière d’assurer la mise en œuvre des aspects positifs de l’accord et de progresser nécessite que les forces du changement favorisent la mise en place d’une large alliance avec les organisations sociales, syndicales, féministes et écologistes, en reconnaissant le rôle de chacune, leur savoir-faire et leur sagesse accumulée dans la pratique ainsi que leur contribution propre comme pièces centrales du changement. Le moment post-accord implique qu’une coalition socio-politique ample et large donne à nouveau à la rue, à la société mobilisée, le rang d’acteur socio-politique.

S’il est compris que l’Accord dépasse les points qu’il contient – avec ses ombres et ses lumières –, lesquelles supposent une amélioration pour la majorité sociale, et qu’on lui attribue le rang d’accord de législature avec le PSOE, la gestion de ce qui a été conclu sera aux mains de Sánchez.

Et, ce qui est pire, si l’Accord est présenté comme une pièce d’une stratégie visant à arriver au gouvernement (pour Podemos), ainsi que certaines voix le laissent entendre, et que le discours des forces du changement porte sur l’horizon d’une coalition avec le PSOE pour gouverner après les élections générales, on ferait un faux pas.

Former un gouvernement bipartisan avec le PSOE est bien plus que de le soutenir en dehors du gouvernement (depuis le parlement net la rue) et faire pression sur lui. Cela revient à adopter une stratégie condamnée à l’échec, ce d’autant plus si les perturbations financières augmentent, ou plus encore dans le cas d’une crise économique mondiale et que l’Union européenne, ce navire à la dérive, insiste sur les politiques d’austérité.

Ce dernier point est fondamental pour les forces du changement et, par conséquent, pour la majorité sociale. Est-ce que l’on acceptera la soumission aux diktats de Bruxelles, comme vient de le faire le PSOE? L’Europe se construit – ou pour le dire mieux, se détruit – par le biais de la mise en œuvre de politiques économiques organisées autour des ajustements budgétaires et de la cession de la souveraineté à des institutions supra-étatiques, lesquelles, dépourvues de légitimité démocratique, imposent leurs critères aux parlements nationaux.

Nous ne demandons pas au PSOE, ni ne croyons qu’il le fera, qu’il adopte une position critique envers ledit «projet européen» car, sur toutes les questions fondamentales, il s’aligne sur l’establishment, mais pour Unidos Podemos, une réflexion mettant en cause autant l’institutionnalité présente que les politiques économiques et les intérêts des groupes qui les alimentent doit être une pièce essentielle de proposition politique afin de gagner une hégémonie culturelle, politique et électorale.

Le rôle des forces du changement se limitera-t-il à demander l’avis favorable de Bruxelles au budget, à demander une flexibilité dans l’accomplissement des objectifs du déficit ou à profiter des fissures de l’architecture institutionnelle? Est-ce dans un tel contexte que l’on se mouvra lors des prochaines élections au parlement européen? De la réponse à ces questions dépendra qu’Unidos Podemos se constitue comme force indépendante alternative à même de donner à nouveau de l’espoir à d’amples secteurs de la société ou que la coalition accepte un rôle secondaire et subordonné sur l’échiquier institutionnel. (Article publié le 14 octobre 2018, à la fois sur le site de Publico et de VientoSur.info; traduction A l’Encontre)

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