Cuba-débat. Entre la rénovation et le changement

Miguel Diaz-Canel

Par Aamaury Valdivia

A Santa Clara, la capitale officieuse de la région centrale de Cuba, ils sont nombreux ceux qui se souviennent des années où un jeune et charismatique Miguel Díaz-Canel Bermúdez occupait le poste de premier secrétaire du parti (Parti communiste cubain) dans la province. De cette époque sont restés les récits de ses longs voyages à bicyclette ou en «botella» (auto-stop), de son humble style de vie et de la facilité avec laquelle on pouvait l’approcher pour lui faire part de ses préoccupations ou lui parler.

Aussi les rencontres singulières, comme celle qu’il a eue avec l’une des principales figures de la dissidence de l’île, Guillermo Farinas. A cette occasion, «il m’a salué et m’a posé des questions sur ma santé», a déclaré M. Farinas au quotidien états-unien El Nuevo Herald. L’opposant avait été hospitalisé pour se remettre d’une de ses grèves de la faim contre le gouvernement, et Diaz-Canel s’est excusé – de patient à patient – pour une panne qui avait laissé l’hôpital principal de la région sans électricité. Auparavant, il avait travaillé personnellement à la réparation des dommages.

Pendant le mandat à «Villa Clara» de Díaz-Canel – entre 1994 et 2003 – les restes de Che Guevara avaient été déposés sur la place de la Révolution locale, après des années de recherches dans différentes parties de la Bolivie. Et Santa Clara a fondé sa réputation de ville cosmopolite et tolérante, dans laquelle même les homosexuels pouvaient exprimer librement leurs préférences (dans un pays qui, à cette époque, était caractérisé par une culture machiste, discriminatoire envers les personnes LGBT) et dans la presse les critiques étaient tolérées, ce qui en d’autres lieux de l’île aurait été impensable.

«Même dans des circonstances aussi difficiles – l’île traversait la période spéciale, c’est-à-dire la crise économique causée par la chute du socialisme est-européen – nos autorités ont eu la sensibilité de comprendre à quel point il était nécessaire de respecter la diversité. Et pas seulement celle qui concerne l’orientation sexuelle», se souvient (dans un entretien télévisé) Ramón Silverio, créateur d’El Mejunje, le centre culturel particulier de la ville de Santa Clara où, pour la première fois à Cuba, ont été organisés des galas d’artistes transgenres, et où encore se rencontrent de nombreux créateurs alternatifs.

Pendant ce temps, gagnait en notoriété le programme «Haute Tension» de la station de radio locale, Cmhw. Au cours de leurs émissions, les gens pouvaient critiquer les dirigeants et les organisations et exprimer leurs points de vue. «Il y avait beaucoup de gens qui voulaient nous voir évacués des ondes, mais à la fin l’ordre du parti provincial est arrivé. La «Haute tension» devait continuer même si cela ne plaisait pas à certaines personnes», nous a confié le journaliste Abel Falcón, le réalisateur de l’émission. L’appui à ce programme en est arrivé au point où le premier secrétaire a lui-même réalisé plusieurs émissions et en a rendu obligatoire l’écoute par les cadres.

Escalader l’appareil

Miguel Díaz-Canel Bermúdez, qui est actuellement vice-président de Cuba, pourrait devenir, le 19 avril, président des Conseils d’Etat et des ministres, c’est-à-dire le président de Cuba. Une grande inconnue réside dans la mesure où le passé de Santa Clara marquera son passage à la présidence de Cuba. Mais, en plus de quarante ans, il sera le premier président qui n’appartiendra ni à la famille Castro, ni à la «génération historique».

Pour y arriver, il a dû parcourir un long chemin à l’intérieur de la structure partisane de l’Etat, en même temps que d’autres candidats qui ont été laissés sur le long du chemin. A la fin des années 1980, il a été le deuxième secrétaire national de la Jeunesse communiste, sous la direction de Roberto Robaina. Au début des années 2000, au cours de son mandat de premier secrétaire du parti dans la province de Holguín (où sont nés Fidel et Raúl Castro), Miguel Díaz-Canel a établi des relations étroites avec le vice-président de l’époque, Carlos Lage.

Robaina a été licencié en 2003, accusé d’une longue liste d’«erreurs», parmi lesquelles la corruption et les ambitions présidentielles. Six ans plus tard, c’était au tour de Lage et de Pérez Roque [«déposé» lui aussi en 2009], soumis à des accusations similaires et dans le cadre de la plus grande restructuration gouvernementale de l’histoire récente de l’île.

Chaque crise a rapproché Díaz-Canel de son poste actuel: en 2003, il a occupé l’un des 17 postes du Bureau politique (le noyau dur de la direction du Parti communiste); en 2009, il est devenu membre du Conseil des ministres, en charge du portefeuille discret mais stratégique de l’enseignement supérieur. Et au début de 2012, il a été brièvement vice-président du Conseil des ministres. «Il n’est ni un arriviste ni une personne sans préparation», a déclaré Raúl Castro lorsqu’il l’a présenté à l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, après son élection au poste de premier vice-président du pays, en février 2013.

Le scénario du relais

A l’aube de son soixantième anniversaire, la révolution est en train d’engager le plus grand renouveau de son histoire. Sans l’âge avancé de Raúl Castro (85 ans) et celui du reste des «historiques», il serait difficile d’imaginer un scénario dans lequel de nouvelles figures prendraient les rênes du pays. Cependant, le transfert actuel des responsabilités sera conditionné par le fait que le général de l’armée (Raul Castro) restera à la tête du Comité central du Parti, doté de pouvoirs pratiquement universels.

Avec l’expérience d’avoir occupé la première vice-présidence des «conseils» depuis 2013, Díaz-Canel est le candidat avec les plus grandes options de carrière pour la première des fonctions. Ce n’est qu’après l’«élection» qu’il sera révélé dans quelle mesure il peut y avoir une séparation entre le parti et le gouvernement à Cuba, et la façon dont les éventuelles divergences entre le nouveau président et le premier secrétaire du comité central du parti seront résolues, des responsabilités qui ne seront pas occupées, pour la première fois, par la même personne.

Ensuite, il faudra aussi réfléchir à la manière de dépasser les taux de croissance insuffisants du produit intérieur brut (PIB) qui, depuis le début de l’«actualisation» en 2011, oscillent autour de 2% par an (selon les autorités cubaines, le pays devrait croître à un taux d’environ 7% pour inverser les effets de la crise économique après la chute du bloc socialiste). Le paiement de la dette extérieure renégociée (avec la Russie, la Chine et un groupe de créanciers du Club de Paris) devra également être réglé, sans que la facture devienne un fardeau pesant sur la consommation de la population, et en maintenant des services publics tels que la santé et l’éducation à des niveaux «acceptables».

Tout cela dans un contexte où l’unanimité n’est plus la marque de la société cubaine. Un exemple évident peut être appréhendé si vous lisez entre les lignes les résultats du dernier processus électoral. Après 42 ans de vote, le taux de participation n’a pas atteint le confortable 95%, comme cela était le cas pendant le temps de Fidel Castro. Cette fois, le 82% a été relevé le lendemain des élections; et 87% du total des électeurs et électrices un peu plus d’une semaine plus tard, dans un rapport final. Il n’est pas facile non plus de compléter les listes de candidats aux différentes fonctions publiques. Il n’y a pas beaucoup de jeunes qui sont prêts à assumer des responsabilités de gestion qui ne s’accompagnent pas d’un avantage matériel.

Selon Brian Latell, ancien responsable de l’analyse latino-américaine de la Compagnie Brian Latell, auteur d’une biographie de Raúl Castro, il faut s’attendre plus à un «Díaz-Canel administrateur qu’à un Díaz-Canel visionnaire». «C’est un homme de l’appareil, fidèle à Raul. Mais son choix est le bon: il est jeune, séduisant et il a eu tout le temps de s’intégrer dans les forces armées, là où réside le vrai pouvoir cubain», dit l’ancien responsable de l’administration Clinton. Mais il n’est pas clair si «l’éventuel» futur président choisira de développer sa propre ligne politique, différente de celle du leader de la révolution. Et si c’est le cas, quelle serait son orientation?

Un pouvoir encore marqué par l’influence de Raúl Castro et par ceux qui ont fait la révolution dans les années 1950 et qui devraient, selon toute vraisemblance, maintenir ferme leur position dans la structure du parti. A cela s’ajoute un schéma de relations qui n’est pas très clair pour ce qui a trait aux rapports avec le puissant groupe d’administration des affaires économique (les militaires). Et enfin d’innombrables urgences sont à affronter. Voilà ce qui compose l’héritage que recevra nouveau président des Conseils d’Etat et des ministres de Cuba.

Lorsqu’il a exercé son droit de vote dans la ville de Santa Clara, le 11 mars 2018, Diaz-Canel a fait la queue pendant près d’une demi-heure jusqu’à ce que son tour arrive. Entre-temps, il a parlé, sans protocole, avec les participants et a pris des photos avec plusieurs d’entre eux. Quelqu’un dans l’auditoire a noté, «sotto voce», qu’aucun autre leader n’avait fait quelque chose de semblable. Pas ce jour-là, ni avant. (Article publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, en date du 13 avril 2018; traduction A l’Encontre)

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