Par Hagai Amit
(Réd. A l’Encontre). La politique d’enfermement de Gaza par le gouvernement israélien n’est pas nouvelle. Comme la possibilité d’utiliser «les menaces du Hamas» afin de «mobiliser l’unité nationale» israélienne derrière un gouvernement en déclin. Pour cela, la recette: engager une «guerre protectrice» contre les «extrémistes de Gaza», malgré toutes les mesures prises – y compris un mur – pour échapper à leurs «actes terroristes». Cette rhétorique aux accents coloniaux est connue. Toutefois, des «arrangements» revisités se dessinent à partir de la politique d’Israël et de l’Egypte face à Gaza.
Depuis septembre 2015 est établie «une zone tampon« entre le Sinaï et la bande de Gaza. Le régime égyptien du dictateur Sissi poursuit donc ses grands travaux le long de «sa» frontière avec le territoire palestinien, contrôlé par le Hamas. Il fait creuser une gigantesque tranchée, officiellement destinée à «alimenter en eau de mer des bassins de pisciculture» (sic). Cette «zone tampon», sur 10 kilomètres de large, a entraîné le déplacement de dizaines de familles et la démolition de plusieurs centaines d’habitations sur le territoire frontière Egypte-Gaza. «Le projet de pisciculture» n’est pas fait pour améliorer le sort des Palestiniens de Gaza, ni des populations paupérisées d’Egypte! Selon la CNUCED, après huit années de blocus et trois opérations militaires israéliennes en 6 ans, qui ont laminé des infrastructures très affaiblies, ce territoire de 360 km² où s’entassent 1,8 million de Palestiniens pourrait devenir inhabitable d’ici à 2020.
L’adage du gouvernement israélien «mieux vaut faire la paix avec les Arabes qu’avec les Palestiniens» reste en vigueur. Mohamed Dahlan – en rupture avec la direction de Mahmoud Abbas (Autorité palestinienne – AP) –, avec l’aide de Sissi et de certains Emirats du Golfe, fait une offensive en direction de Gaza et du Hamas. Le premier test (depuis juillet) pour vérifier le consentement du Hamas à un accord: qu’il assure la consolidation de son contrôle sur les points de passage vers l’Egypte, c’est-à-dire Rafah et Karm Abou-Salem (sud-est de la bande de Gaza). Ensuite, combattre les terroristes de Willayet Sinaï (qui inquiètent, selon ses dires, Sissi.) Une fois établi le «contrôle» sur Gaza par le biais du Hamas, de l’autoritaire Dahlan, avec ses appuis financiers, le pouvoir israélien pourrait jouer la carte suivante: «Vous, les Emirats arabes unis et autres soutiens matériels de l’alliance actuelle Dahlan-Hamas – alliance qui ébranlera encore plus Abou Mazen (Mahmoud Abbas) – vous prenez en charge les dépenses pour les centrales électriques, l’eau potable, les égouts à Gaza et nous on s’occupe du mur.»
Autrement dit, nous allons accentuer la colonisation en Cisjordanie, la collaboration policière avec ce qui reste de l’Autorité palestinienne et vous laisser gérer la «bombe démographique de Gaza». Et l’on peut toujours engager, si nécessaire, une «guerre défensive» contre Gaza. «Vous, les nouveaux acteurs à Gaza, savez que l’encadrement des fonctionnaires est dépourvu de financements (salaires de plus de 6000 fonctionnaires, donc de leurs familles, et d’autres «aides» au fonctionnement des services). Ils ont été coupés par l’AP. Vous seriez charitables de vous en occuper un peu.» En quoi ses plans fonctionneront pour Dahlan relève encore d’une interrogation, car ses projets vont au-delà de Gaza.
Mais, à coup sûr, les Israéliens sont – et seront encore plus – les maîtres du jeu sur les territoires convoités à cette étape. Quant à Sissi – dont les préoccupations sociales et financières montent comme une marée – une épine de moins peut calmer un de ses bobos. Pour ce qui est des Emirats arabes unis, ils ont le loisir, à peu de frais, de valoriser leur rôle régional, ce à quoi ils s’essaient depuis un certain temps. C’est en relation avec cet ensemble qu’il est utile de saisir le pourquoi des «investissements dans le mur» effectués par l’Etat sioniste, outre la distribution d’une rente aux constructeurs israéliens et la mise en relief, quotidienne, du besoin de se préparer à combattre le «danger des terroristes de Gaza», afin de souder une partie de la base sociale urbanisée peu motivée, en temps normal, à être au premier rang du «combat». (Réd. A l’Encontre)
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Toute personne qui parcourt la route 34 vers la ville du Négev de Netivot peut avoir une vue sur le plus grand projet de construction que vous ne verrez jamais.
Sur le côté droit de l’autoroute, les bulldozers qui avancent et reculent. Ailleurs il y a des grues, des foreuses et des machines géantes pour creuser des tranchées appelées hydromills. Un peu plus loin, la route il y a une usine à béton, mais si vous essayez de vous engager sur le chemin de terre jusqu’à l’installation, des soldats vous bloqueront.
Ce dont les automobilistes sont témoins – mais la plupart n’y portent pas attention – n’est rien d’autre que la construction d’un mur massif (en profondeur aussi) pour empêcher les combattants du Hamas d’infiltrer Israël depuis la bande de Gaza.
L’installation, qui atteindra finalement 65 kilomètres (40 milles) de long, aura un mur de 6 mètres en hauteur équipé de capteurs. Mais la partie principale de la barrière sera sous la surface, atteignant une profondeur de plus de 20 mètres pour déjouer les tunnels du Hamas qui ont présenté une menace pendant l’opération de 2014 qualifiée de Protective Edge («Bordure Protectrice»)
Ce mur/enceinte est un projet de 3 milliards de shekels (830 millions de dollars), ce qui en fait l’un des plus grands projets d’infrastructure en Israël aujourd’hui. Il comporte d’énormes exigences pour l’industrie de la construction israélienne et présente de formidables défis d’ingénierie – tellement formidables que certaines sources ont déclaré à The Marker [quotidien israélien du monde des affaires] que le montant prévu par l’armée sera beaucoup plus élevé.
La construction, qui se met en route, exigera des quantités massives de ciment. Les sources ont déclaré que les producteurs locaux devraient être en mesure de répondre à la demande, mais s’ils ne peuvent pas produire suffisamment d’agrégats (pierre concassée), Israël peut finir par importer cette «matière première».
La construction nécessitera 10 à 14 hydromills, c’est-à-dire toutes les machines actuellement présentes en Israël. La machinerie est une technologie relativement nouvelle et n’a été introduite en Israël qu’au cours des deux dernières années. La barrière accumule déjà la capacité de production des bétonnières israéliennes de ce type.
«Chaque spécialiste en bétonnage – m’a dit la personne dont je me suis approché pour mon travail – a été contacté dans le pays: «Oubliez-moi, nous sommes dans une situation de mobilisation générale pour ce mur», m’a déclaré un entrepreneur travaillant dans le nord du Néguev.
Le premier appel d’offres pour la barrière, pour un tronçon pilote de 400 mètres, a été attribué au constructeur israélien Solel Boneh. La semaine dernière, quatre autres appels d’offres supplémentaires pour des longueurs supplémentaires ont été évalués jusqu’à 800 millions de shekels.
Une foule d’autres entreprises ont des contrats liés à la technologie, en commençant par Intel, qui sert d’entrepreneur général. L’infrastructure D-Tech et Thermo-Rom d’Israël se spécialisent dans la détection des infrastructures souterraines.
Des travailleurs d’Espagne et de la Moldavie, ainsi que les demandeurs d’asile d’origine africaine et des Israéliens, travaillent vingt heures sur vingt-quatre. Israël aurait souhaité que des entreprises de construction d’outre-mer répondent aux appels d’offres, cela afin de réduire les coûts. Mais la sensibilité politique qu’illustre ce mur a, jusqu’à présent, dissuadé y compris des entreprises chinoises et françaises qui sont actives en Israël dans des projets civils comme le Tel Aviv Light Rail [le «métro léger de Tel-Aviv» est un projet de transport en commun ferroviaire pour la ville de Tel-Aviv et sa métropole Gush Dan, initié en 2011].
La partie souterraine de la barrière est celle qui pourrait finir par bouleverser le budget, affirment les experts. En fonction des conditions locales et d’autres facteurs, le mur pourrait, dans de nombreux endroits, atteindre plusieurs dizaines de mètres sous terre, et présenter des défis d’ingénierie sans précédent et, dès lors, risquer que les coûts s’envolent durant même les travaux.
En l’état, les estimations initiales du ministère de la Défense étaient que ce mur coûterait un peu plus de 2 milliards de shekels. Cependant, lorsque le premier appel d’offres a été lancé, à la fin de 2016, les huit entreprises qui ont présenté leur offre ont estimé que les coûts étaient considérablement plus élevés que ceux envisagé par les fonctionnaires. Le ministère de la Défense a révisé le chiffre [son rôle et sa place illustrent la structure politico-institutionnelle de l’Etat sioniste – Réd].
Le ministère de la Défense déclare qu’il n’a pas été surpris par les enchères élevées. «A la fin des appels d’offres, la division de l’ingénierie et de la construction du ministère, ainsi que le directeur des frontières et «zone charnière», ont tiré des conclusions – comme à l’accoutumée dans les offres similaires – et ont décidé d’ajuster les exigences et de publier une nouvelle enchère, ouverte à tous ceux qui avaient répondu la première fois», a expliqué un porte-parole.
Yaki Baranes, responsable de la firme états-unienne Baker Tilly – établie en Israël – en conseils stratégiques et évaluations des ratios coûts/efficacité, n’est pas surpris. Son cabinet a procédé à une analyse de la barrière électronique que les Etats-Unis ont érigée à la frontière mexicaine à partir de 1998 et l’a considérée comme un échec, malgré le 1,5 milliard de dollars dépensés.
Nonobstant toute l’électronique de haut niveau que les Etats-Unis ont investi, le moyen le plus efficace de surveiller les frontières reste les patrouilles humaines, a déclaré Baranes. En tout cas, Israël a un défi beaucoup plus sérieux en essayant de bloquer, d’empêcher les tunnels du Hamas que les Etats-Unis ont à dissuader le passage de migrants.
«La création d’un mur souterrain est un besoin exclusif israélien. Seuls Israël et la Corée du Sud envisagent de possibles excavations aussi profondes, et des sommes d’argent qui peuvent augmenter au cours même de la concrétisation du projet», a ajouté M. Baranes.
Lorsque le président américain Donald Trump a annoncé la construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, le coût de la construction était estimé à 10 milliards de dollars; maintenant, il est de 30 à 40 milliards de dollars.
«Dans le cas du projet en Israël, mon point de vue est positif», a déclaré Baranes. «Je ne pense pas qu’ils ont passé à côté de quelque chose en termes de solutions possibles. Je crois qu’ils ont réfléchi aux problèmes et ont fait la meilleure planification possible», a-t-il ajouté.
Dans le passé, toutefois, des responsables des Forces de Défense Israéliennes et certaines personnes extérieures avaient critiqué l’idée de ce mur souterrain et en hauteur. Parmi eux, il y a le colonel (de réserve) Yossi Langotsky, qui a servi, par le passé, comme conseiller du chef d’état-major concernant la menace des tunnels. Il fut l’un des géologues derrière la découverte du champ de gaz naturel Tamar [1].
«Les murs souterrains pour la prévention des tunnels ne sont efficaces que pour une courte période. C’était l’avis que j’ai déjà donné au ministère de la Défense en 2005», nous a-t-il déclaré la semaine dernière.
«Même si le passage de ce nouveau mur en direction Israël n’est pas facile, un ennemi intelligent et déterminé comme le Hamas trouvera un moyen de le faire», a déclaré Langotsky.
Au lieu de cela, il a déclaré à l’armée que, en coordination avec la Société géologique d’Israël, elle devrait ériger des détecteurs sismographiques souterrains le long de la frontière de Gaza, ce qui aurait coûté 100 millions de shekels.
«Il n’est pas exagéré de dire que si la proposition avait été mise en œuvre, nous aurions réussi à localiser les tunnels essayant de pénétrer dans notre territoire, et alors l’opération Protective Edge («Bordure protectrice») aurait été très différente», a-t-il déclaré. (Article publié dans Haaretz, le 20 août 2017; titre de la rédaction de A l’Encontre; traduction A l’Encontre)
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[1] En mars 2013, le gisement de Tamar – découvert en 2009 – a été mis en exploitation. Sa découverte a stimulé les recherches offshore dans cette région de la Méditerranée que se partagent, et se disputent plus ou moins ouvertement, Israël, Chypre, le Liban et la Grèce. La définition d’une vaste réserve de gaz comme étant en «eaux territoriales» est l’objet – plus que «naturel» – de contestation, comme l’indique la découverte en 2016 d’un autre champ gazier plus ample que celui de Tamar. (Réd. A l’Encontre)
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