La nouvelle avait été annoncée par certains titres de la presse israélienne, mais n’avait pas été officiellement confirmée. C’est désormais chose faite via un court communiqué de l’Élysée: le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou sera présent à Paris le 16 juillet prochain pour un «entretien de travail» avec Emmanuel Macron et pour participer aux commémorations de la rafle du Vel d’hiv [16-17 juillet 1942]. Cette visite est doublement révoltante.
Bourreau en chef
En premier lieu parce que Benyamin Netanyahou, Premier ministre de l’Etat d’Israël depuis plus de huit ans, est l’incarnation de la politique oppressive, brutale et discriminatoire dont est victime le peuple palestinien. Sous son mandat, la colonisation s’est accélérée – avec même la construction officielle, depuis juin, d’une nouvelle colonie, une première depuis 25 ans – pour atteindre aujourd’hui le chiffre de plus de 600’000 colons à Jérusalem et en Cisjordanie. Corollaire de cette politique, les expulsions et les destructions de maisons palestiniennes se poursuivent, tandis que Netanyahou déclare cyniquement aux colons: «Mes amis, tout le monde a le droit de vivre chez lui et personne ne sera délogé de chez lui». Tout le monde, sauf les Palestiniens.
Près de 6500 prisonniers palestiniens croupissent aujourd’hui dans les geôles israéliennes, dans des conditions si révoltantes que plus d’un millier d’entre eux ont participé à un vaste mouvement de grève de la faim en avril-mai dernier. Au cours des dernières années, le nombre de prisonniers n’a cessé d’augmenter (+25% entre 2013 et 2017), avec une véritable explosion du nombre de mineurs détenus (+100% sur la même période). Le blocus inhumain de Gaza se poursuit, avec des accès à l’eau potable et l’électricité de plus en plus restreints, et une dégradation continue des conditions de vie et de santé de la population. Et partout dans les territoires palestiniens, la moindre protestation est réprimée, la plupart du temps dans le sang.
Ignoble instrumentalisation de la rafle du Vel d’hiv
C’est donc avec le principal responsable de cette politique qu’Emmanuel Macron va avoir un paisible «entretien de travail» le 16 juillet prochain. Quelques semaines après avoir reçu Poutine à Versailles, et deux jours après avoir accueilli Trump à l’occasion des cérémonies du 14 juillet, le président français poursuit donc sur sa lancée en se faisant l’hôte du Premier ministre d’un Etat terroriste. Et comme si cela ne suffisait pas, Netanyahou participera aux commémorations de la rafle du Vel d’hiv, au cours de laquelle, les 16 et 17 juillet 1942, 13’152 hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés par les autorités de Vichy à la demande des nazis, avant d’être déportés [1].
Voilà qui ajoute du scandale au scandale. Lorsque l’on connaît la propension des dirigeants israéliens en général, et de Netanyahou en particulier, à instrumentaliser la mémoire du génocide juif, dont ils se revendiquent les uniques dépositaires, on ne peut qu’être révolté. Comme l’ont souligné Dominique Vidal et Bertrand Heilbronn dans une tribune publiée sur Mediapart, «Israël ne peut se présenter comme le seul héritier des victimes de la Shoah, qu’il ne saurait transformer de manière posthume en partisans de la création de l’Etat d’Israël, encore moins de la politique anti-palestinienne que symbolise le leader de la droite et de l’extrême droite israéliennes».
« Ceux qui sont contre nous méritent de se faire décapiter à la hache»
En 2013, l’historien israélien Zeev Sternhell, spécialiste de l’extrême droite [française, en particulier] et du fascisme, écrivait lucidement: «au nombre des États occidentaux, celui où l’extrême-droite est la plus puissante (jusqu’à s’y trouver au pouvoir) et où la gauche est la plus faible, est Israël. (…) Et il est plus difficile encore d’échapper à la conclusion que la droite israélienne (…) distance de très loin la droite du Front National de Marine Le Pen. Comparée à la plupart des membres du gouvernement et de la Knesset, cette dernière ressemble à une dangereuse gauchiste. Israël est aujourd’hui à l’extrême-droite du spectre politique et les groupes qui y composent la droite sont parmi les pires, et les plus redoutables, de ceux qui œuvrent actuellement dans les sociétés démocratiques, à l’exception des mouvements néonazis.»
Ces lignes n’ont malheureusement pas pris une ride, bien au contraire. La coalition dirigée par Benyamin Netanyahou est un regroupement de racistes et de néofascistes qui associent politiques d’occupation et d’apartheid contre les Palestiniens, répression féroce de toute contestation, censure contre les médias pas complètement aux ordres, complaisance vis-à-vis de bandes armées fascistes qui parcourent les rues pour «casser de l’arabe et du gauchiste», etc. Telle est la véritable nature du pouvoir à la tête duquel se trouve Netanyahou, dont l’actuel ministre de la Défense Avigdor Lieberman déclarait durant la dernière campagne législative: «Ceux qui sont contre nous méritent de se faire décapiter à la hache.»
La visite de Netanyahou est donc doublement révoltante, et Macron porte la responsabilité de ce scandale. L’imposture que représente celui qui se prétend «moderne» et «progressiste» est chaque jour plus patente: comme nous l’écrivions suite à son «changement de position» au sujet de Bachar al-Assad, Emmanuel Macron est l’ami des puissants, des dictateurs et des bourreaux, pas celui des peuples. En permettant la présence de Netanyahou lors des commémorations de la rafle du Vel d’hiv, il ajoute à ce sinistre tableau la complicité dans une opération de manipulation de la mémoire du génocide juif orchestrée par la droite et l’extrême droite israéliennes. Nauséabond. (7 juillet 2017)
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[1] Les 16 et 17 juillet 1942, 13’152 juifs étrangers réfugiés en France sont arrêtés par la police française. 8000 d’entre eux sont conduits au Vélodrome d’hiver où ils seront retenus dans des conditions inhumaines pendant quatre jours. 1129 hommes, 2916 femmes et 4115 enfants sont entassés dans ce stade cycliste du XVe arrondissement de Paris, avant d’être conduits à Drancy et dans les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers, dans le Loiret, puis déportés vers le camp de concentration d’Auschwitz. Moins d’une centaine de juifs arrêtés lors de cette rafle ont survécu.
4500 policiers français ont participé à la rafle du Vel d’Hiv. Le 2 juillet 1942, René Bousquet, le secrétaire général de la police, du «maintien de l’ordre» du régime de Vichy, représentant Laval, participe à une réunion de planification de cette opération (baptisée «vent printanier») conjointement au chef de la SS en France, Karl Oberg (de mai 1942 à juillet 1944). Il propose d’arrêter aussi des enfants juifs, ce que les responsables nazis ne demandaient pas. En revanche, il obtient que seuls les juifs étrangers soient arrêtés. Les juifs français devant l’être, dans un second temps.
La responsabilité de la France (de la République, dans sa continuité substantielle) dans la déportation de juifs est longtemps restée un sujet tabou. Il a fallu attendre 1995 pour que le président Jacques Chirac la reconnaisse dans un discours officiel, remarqué. L’année précédente, François Mitterrand – qui avait Bousquet dans son cercle de fréquentations pré-présidentielles et présidentielles – s’était fait huer par la foule lors de la commémoration de la rafle pour avoir réaffirmé, quelques jours plus tôt, son refus de rendre «comptable» la République française des crimes de Vichy et en particulier du Vel d’hiv. Une position qui s’inscrivait dans la continuité de celle adoptée par le Général de Gaulle sur la question dès la Libération; il fut «suivi» par tous ses successeurs jusqu’en 1995. (Réd. A l’Encontre)
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