Allemagne. Un accord gouvernemental de type helvétique

Sigmar Gabriel et Angela Merkel
Sigmar Gabriel et Angela Merkel

Par Martine Orange

Angela Merkel et Sigmar Gabriel, dirigeant du SPD, ont trouvé un accord pour un programme de gouvernement. Hormis sur le Smic (salaire minimum), la continuité avec la politique menée par la CDU seule ces dernières années est patente, en particulier sur l’Europe. Les membres du SPD, qui doivent approuver par vote l’accord, ont plus que le sort de leur parti dans les mains.

Ils ont signé un accord, le mercredi 27 novembre 2013, de gouvernement. Mais qu’ont-ils signé au juste? Au lendemain de l’annonce de l’accord gouvernemental conclu? entre la CDU d’Angela Merkel et le SPD dirigé par Sigmar Gabriel, les membres du SPD commencent à s’interroger. Ce projet de coalition gouvernementale est-il le bon? Ou ne risque-t-il pas d’être mortifère pour leur parti, comme le fut la grande coalition de 2005? L’examen des propositions avancées dans le projet de gouvernement risque de devenir enfiévré dans les jours qui viennent. Car ce sont les 470 000 militants du SPD qui ont la clé de la coalition gouvernementale. L’accord est soumis à leur vote. Le résultat du scrutin interne sera connu le 14 décembre.

«Cet accord est pour les petites gens», a expliqué le chef du SPD pour tenter de rallier tout de suite les suffrages. Mais de nombreux militants du parti commencent à faire part de leur hésitation, voire de leur refus d’approuver le texte. Des hésitations bien compréhensibles.

Car à la première lecture, cet accord est loin de reprendre des idées défendues [pourtant plus que modérées] pendant la campagne. La grande tendance du projet, c’est plutôt la poursuite de la politique en place depuis 2005, le SPD n’ayant réussi qu’à peser à la marge sur les orientations futures du gouvernement. Selon toute vraisemblance, le gouvernement Merkel 3 va furieusement ressembler à Merkel 2.

Un sujet était censé avoir valeur de test: le salaire minimum. Pendant la campagne, Angela Merkel avait dit tout le mal qu’elle pensait de cette proposition défendue par le SPD. Pour la chancelière, cela ne pouvait que nuire à la compétitivité des entreprises allemandes et à la bonne santé de l’économie et de l’emploi. En annonçant dans l’accord qu’un salaire minimum de 8,50 euros de l’heure sera instauré en Allemagne, Angela Merkel semble donc faire une concession immense.

Mais il y a un sous-texte. Si salaire minimum il y a, il ne sera instauré définitivement qu’au 1er janvier 2017. En attendant, la nouvelle coalition entend favoriser le dialogue entre patronat et syndicats afin d’aboutir à des accords sur le salaire minimum par branche. Il est déjà prévu aussi que certains emplois, comme ceux des saisonniers ou dans l’agroalimentaire par exemple, restent inférieurs de toute façon au salaire minimum.

On comprend la prudence de certains élus du SPD qui demandent dès aujourd’hui des éclaircissements, notamment sur les nominations. « Cela n’a pas la même signification, si c’est la CDU ou nous qui avons le ministère du travail» remarque Michael Roth, secrétaire général du SPD du Land de Hesse. Compte tenu des termes retenus dans l’accord sur le salaire minimum, la proposition peut être entièrement détournée, vidée de son contenu ou au contraire renforcée, en fonction de la personnalité qui occupe le poste.

Pour l’instant, les deux partis se sont refusés à donner les moindres indications sur la distribution des postes. Il semble juste acquis que la CDU et le SPD auront chacun sept ministères et la CSU (droite bavaroise) trois. Angela Merkel sera forcément chancelière. Sigmar Gabriel devrait avoir la vice-présidence. Et Wolfgang Schäuble, homme incontournable pour la chancelière, est considéré comme inamovible: il devrait retrouver ses fonctions au ministère des finances.

L’autre grand sujet social était les retraites. La CSU tenait beaucoup à avoir une augmentation des retraites pour les femmes ayant quitté leur emploi afin d’élever leurs enfants, ou ayant été le plus exposées au travail précaire. De son côté, le SPD voulait obtenir que les salariés ayant cotisé 45 ans puissent partir à 63 au lieu de 67 ans, sans être sanctionnés par une décote. Satisfaction a été donnée aux deux partis. Enfin, alors que les grandes villes allemandes découvrent la spéculation immobilière, la coalition s’est engagée à poursuivre sa politique d’encadrement des loyers et à plafonner les augmentations à 15 % sur quatre ans.

«Mettre l’accent sur les retraités plutôt que sur l’éducation, soutenir les mères à la retraite plutôt que d’aider les jeunes mères, contrôler les loyers plutôt que développer le logement social – en un mot cibler une politique directement en direction de la majorité de personnes âgées – est significatif. L’Allemagne peut paraître l’homme fort de l’Europe mais ses faiblesses sont évidentes. L’Allemagne vieillit et rétrécit », commente Alan Posener du quotidien anglais The Guardian (25 novembre 2013).

La seule innovation politique est l’engagement de la coalition à autoriser les enfants de parents immigrés, nés en Allemagne mais qui n’ont pas la nationalité d’un pays de l’Union, à avoir la double nationalité. Aujourd’hui, ils sont tenus de choisir entre les deux nationalités à 23 ans. Mais il est vrai que certains milieux patronaux soutenaient cette mesure proposée par le SPD.

L’Europe, la grande absente

Déjà, les milieux patronaux comme de nombreux «experts» s’inquiètent de ces «folles dépenses» et du dérapage à venir des finances publiques. «L’Allemagne ne va plus être un modèle pour l’Europe », avertissent-ils. «Le plus grand problème est l’association de règles plus strictes sur le marché du travail, le coulage de l’âge de la retraite et l’instauration de nouveaux bénéfices pour les retraités », soutient Clemens Fuest, directeur du Centre européen pour la recherche économique (ZEW). «Cela va conduire à une hausse des charges de la sécurité sociale et réduire l’emploi à un moment où nous avons besoin de plus d’emploi » dit-il, définitif.

Les cris d’alarme sur la mise en pièces du modèle allemand sont, cependant, à relativiser au vu des chiffres avancés. Les deux partis ont chiffré les nouvelles dépenses publiques concernant à la fois le social, les infrastructures et l’énergie, et la relance de l’investissement et de la recherche, à 23 milliards d’euros supplémentaires. Cela représente 0,6 % du PIB allemand.

Les efforts de relance de l’Allemagne que le FMI et les États-Unis appelaient de leurs vœux pour entraîner toute la zone euro risquent de ne pas être au rendez-vous. D’autant qu’Angela Merkel et Sigmar Gabriel ont confirmé leur intention de ne pas porter le moindre coup à la «vertu» budgétaire allemande. Les deux partis se sont engagés à ne faire aucune augmentation d’impôt, à réaliser un équilibre budgétaire dès 2014 et un excédent par la suite, et enfin à n’avoir recours à aucun endettement supplémentaire, et même à le diminuer dès que possible.

Mais la permanence la plus frappante concerne l’Europe. La preuve? Il en est à peine question dans l’accord CDU-SPD. Plusieurs journalistes se sont d’ailleurs inquiétés de l’absence de référence à l’Europe, comme si la crise européenne n’existait pas, comme si de nouveaux dangers n’émergeaient pas. Cela n’est pas un hasard, les deux partis sont à peu près d’accord sur tout: la règle allemande doit s’imposer à tous.

En dépit des propos de tribune de plusieurs dirigeants du SPD, ceux qui ont négocié avec Angela Merkel partagent son analyse sur l’organisation de l’Europe. Pas question de mutualiser les dettes des pays ou de créer des eurobonds, chaque pays doit rester responsable de ses engagements passés. Pour harmoniser la zone euro, chaque pays doit poursuivre ses réformes structurelles. Pas question non plus d’aider un pays sans un plan d’austérité et de mesures chiffrées. Même si le FMI se retire du processus des sauvetages européens, les méthodes de la Troïka doivent continuer à s’appliquer.

Enfin, l’union bancaire, pour les deux partis, ne peut se faire que selon le schéma déjà arrêté par l’Allemagne: chaque pays doit superviser ses banques et assumer leur renflouement éventuel. En cas de faillite bancaire, le processus expérimenté à Chypre doit s’appliquer: les actionnaires, les détenteurs d’obligations et aussi les déposants doivent être sollicités avant toute aide publique.

Le dépit créé par ce programme risque de déborder largement la base du SPD. C’est tout ce qui reste de la social-démocratie européenne qui voit ses espoirs s’effondrer. Si la grande coalition souhaitée par Angela Merkel est formée, les projets de réunir les forces social-démocrates pour proposer une politique autre lors des élections européennes seront ruinés. Comment dit-on déjà? There is no alternative. N’est-ce pas la démonstration que veut faire Angela Merkel? (28 novembre 2013, publié sur le site Mediapart, titre rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*