Par Natalia Sancha
Un combattant du Hezbollah décrit comment combattent des milliers de membres de la milice d’Hassan Nasrallah pour le régime d’Assad. Cet article reflète bien, en dehors des limites analytiques, la reproduction du discours officiel de la direction du Hezbollah, avec les contradictions du vécu et de l’engagement religieux fanatique de militants du Hezbollah dans le cadre de l’offensive militaire, criminelle, contre le soulèvement du peuple syrien. Article publié dans El Pais du 2 juin 2013, depuis Hermel, Liban. (Réd. A l’Encontre)
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Il y a à peine 48 heures que Jafad Hermeli, natif de la ville d’Hermel [au nord de la vallée de la Beeka, sur l’Oronte, sur les contreforts du Mont-Liban] a parcouru à pied les 15 kilomètres qui séparent Qousseir en Syrie [encerclée par les troupes d’Assad et les miliciens du Hezbollah] de sa ville natale au Liban. Vêtu de bottes militaires et de pantalons kaki, avec une barbe courte, son attitude est celle d’un militaire qui revient du combat. Malgré sa jeunesse, 23 ans, Jafad dispose d’une ample expérience faite d’entraînements et de combats. Il s’est inscrit sur les listes de la milice chiite du Hezbollah à 16 ans et il a décidé alors de faire partie de la résistance libanaise [face à Israël]. En 2006, il a passé de l’aula universitaire aux champs de bataille au moment de la guerre et des batailles que conduisait la milice contre Israël. Aujourd’hui il se bat aux côtés de l’armée de Bachar el-Assad et contre les rebelles sunnites syriens.
Jafad n’a pas peur de la mort, parce qu’il dit que la mort d’un martyr constitue le chemin direct au paradis et chaque fois qu’il quitte sa maison, il le fait avec la bénédiction de sa mère, orgueilleuse de l’aîné de ses cinq fils. «La famille nous appuie, sachant que nous défendons notre communauté en Syrie. Y compris les fiancées de mes amis sont celles qui leur préparent le sac, le leur placent sur le dos et les poussent à aller lutter.» C’est l’orgueil de beaucoup de chiites de défendre les voisins qui les ont appuyés dans des périodes compliquées [et dont ils dépendent largement, au même titre que leurs parrains d’Iran].
Jafad a six ans de plus que celui qui était l’aîné d’une famille de cinq frères, Mohamed Hadi Nasrallah qui est mort dans la lutte contre les soldats israéliens en 1997. Lorsque Hassan Nasrallah dirigeant du Hezbollah, et père de Mohamed Hadi, a enterré son fils, il a été appréhendé comme un exemple dans sa communauté [chiite] pour le sacrifice accompli au nom de la résistance.
La route qui conduit à Hermel traverse la vallée de la Bekaa [plaine en grande partie agricole, avec des travailleurs syriens et actuellement des réfugiés syriens, il est fait allusion, ici, à une section de la Beeka, celle proche de Hermel] qui est parallèle à la frontière syrienne. Ce sont des terres chiites où l’on voit des milliers de drapeaux jaunes et un poing tendu tendant une kalachnikov, emblème du Hezbollah, des deux côtés de la route. Suivant où on se trouve à Hermel on peut entendre les lancements et les explosions des fusées tirées depuis le territoire syrien. La présence de l’armée libanaise est minime dans cette sorte d’enclave contrôlée par la milice du Hezbollah, dont les combattants sont ceux qui contrôlent la frontière avec la Syrie.
Tous les chiites libanais ne s’identifient pas à l’idéologie du Hezbollah, mais à la différence de l’atomisation qui divise les sunnites [2] libanais, la communauté chiite est unie dans l’admiration pour Nasrallah [diverses enquêtes indiquent une baisse de son audience] qui maintient un contrôle de fer sur ses hommes. Des dizaines de milliers de chiites libanais n’oublient pas que la Syrie leur a offert un refuge en 2006 durant les 33 jours de bombardements israéliens qui les a contraints à quitter leurs maisons dans le Sud du Liban.
Un groupe d’homme [à Hermel] qui a une activité militaire discute sous un arbre. Ils forment l’un des 24 comités populaires composés de civils qui patrouillent dans les quartiers de Hermel afin de protéger ses 40’000 habitants. Abou Ali, dans la cinquantaine, décrit ses responsabilités: «Nous inspectons les voitures qui circulent afin de chercher des armes, nous remettons les suspects à l’armée et nous effectuons une inspection des endroits où sont tombées des fusées. Dans la mesure où le gouvernement ne nous protège pas, nous nous sommes organisés.»
Ils défendent le Hezbollah dans la lutte qu’ils affirment être une lutte contre les salafistes qui combattent au sein des «milices rebelles» de Syrie: «L’Europe et les Etats-Unis alimentent les terroristes qui nous ont dans notre propre territoire», affirme avec emphase Abou Ali. Lors du passage d’une voiture de l’armée libanaise, ils font tous une moue moqueuse tout en levant la main pour saluer.
En Syrie, la bataille de Qousseir s’est intensifiée. L’armée syrienne et les rebelles s’affrontent avec violence pour avancer de quelques centaines de mètres. Les déclarations du Hezbollah confirment leur participation aux côtés d’Assad dans la bataille de Qousseir qui a été l’étincelle qui a fait exploser la situation déjà critique entre les sunnites et les chiites libanais, divisés sur le sort du régime syrien. Les Libanais ont évité l’affrontement pour le territoire libanais, mais ils s’affrontent déjà ouvertement en Syrie et s’approchent tous les jours un peu plus du conflit, ne serait-ce qu’avec les missiles et les attaques contre l’armée libanaise.
«La bataille de Qousseir est dure parce que l’ennemi est très bien armé. Mais nous sommes arrivés au cœur de la ville. Les rebelles utilisent les civils comme boucliers humains. Ils ne les laissent pas sortir parce que l’aviation syrienne les abattrait. Néanmoins grâce à Dieu nous avançons et nous prendrons la ville», affirme le milicien Jafad. «Nous commençons à patrouiller et à protéger les huit villages chiites et les voisins chrétiens de l’autre côté de la frontière en Syrie pour, après, lutter pour Qousseir», dit-il. La frontière syro-libanaise, violée par les bombardements des deux parties au conflit, signifie peu de chose pour les familles divisées par un trait sur une carte et qui ont des décennies d’histoire commune. «Il y a plus de 30’000 chiites d’origine libanaise qui vivent ici et ils sont exposés aux massacres des terroristes», justifie Jadad qui, comme le régime syrien, se réfère aux rebelles comme à des terroristes.
Des centaines de jeunes du Hezbollah ont abandonné leur famille au Liban pour rejoindre les troupes d’El-Assad en Syrie. Jafad croit que plus de 500 miliciens du Hezbollah combattent à Qousseir. Dans la ville de Hermel, des dizaines ont fait de même. Et la chance paraît leur avoir souri, selon ce qu’il dit, puisque seulement deux sont revenus dans un cercueil. Un est son ami, Abou Ali. «Il est le second martyr de Hermel. Il venait d’une autre zone de Qousseir et son unité a été attaquée avec des [armes] chimiques. A l’hôpital ils ont détecté une mort par empoisonnement. D’autres ont été intoxiqués par du chlore.»
Jadad se refuse à quantifier le nombre de vies qui ont été éliminées dans les combats en Syrie: «Je ne sais le nombre d’hommes que j’ai tués. On ne le voit et on ne le pense pas quand on tire. Mais parmi les cadavres on voit de tout. Il y a deux jours nous nous sommes rencontrés avec des rebelles et nous avons rencontré des Français et y compris avec un Britannique avec des yeux bleus. D’autres unités ont retrouvé des cadavres de femmes habillées avec des vêtements d’hommes.»
Si la guerre déborde au Liban, Jadad assure qu’il reviendra pour poursuivre la lutte avec son leader [Nasrallah] «jusqu’au bout du chemin». (Traduction A l’Encontre)
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[1] Chiite est relatif au courant musulman partisan du prophète Ali et de ses descendants et à l’islamisme particulier qu’il professe (thème de la Passion de Hussein, du retour de l’imam après sa mort, etc.). La «mouvance» chiite, avec un certain éventail de traits particuliers suivant les régions, elle est très présente en Iran, en Irak, au Liban (Réd. A l’Encontre).
[2] Pour faire court, les sunnites se réfèrent à la sunna qui dans l’islam renvoie à la coutume orthodoxe du Prophète, de ses Compagnons, des quatre premiers califes «bien dirigés» et des Suivants immédiats. (Réd. A l’Encontre)
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