Iran. «Des points de vue d’analystes dits réformistes sur la place et fonction du président Raïssi»

Ebrahim Raïssi expose sont point de vue sur le budget, le 11 janvier 2023.

Par Najmeh Bozorgmehr

Le président iranien Ebrahim Raïssi devrait être un homme sous pression intense alors que son pays est en proie à une crise.

Le pays a été secoué par l’une des plus importantes flambées de troubles civils depuis des années et le rial a chuté de plus d’un tiers depuis qu’il a pris ses fonctions en août 2021 après avoir remporté une élection dont beaucoup pensaient qu’elle manquait de légitimité. L’inflation, dans une économie étranglée par les sanctions américaines, atteint environ 45%.

Mais à la surprise de beaucoup, Raïssi, un religieux pur et dur [en 1988 il participa à la répression massive avec exécutions], a évité le pire de la rage personnalisée des manifestant·e·s, même si leurs appels au changement de régime se sont intensifiés. Au lieu de cela, il a été largement ignoré, contrairement à ses prédécesseurs Mahmoud Ahmadinejad [2005-2013] et Hassan Rohani [2013-2021], qui ont dû faire face à la colère des manifestant·e·s lors de précédents épisodes de troubles, en 2009 et 2019 respectivement.

Selon les analystes, ce n’est pas que Raïssi soit moins impopulaire parmi les critiques du régime, mais plutôt un signe que de nombreux Iraniens pensent qu’il n’a pas de programme propre et qu’il ne fait qu’exécuter les ordres de l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême, et d’autres centres de pouvoir de la ligne dure.

«Raïssi, au vrai sens du terme, est ignoré par les gens parce qu’il ne montre aucun signe d’avoir sa propre pensée et ses propres actions en temps de crise, contrairement aux présidents précédents», a déclaré Saeed Laylaz, un analyste réformateur de l’économie politique iranienne.

Raïssi était considéré comme ayant été trié sur le volet par Khamenei, son chemin vers la présidence ayant été dégagé lorsque les principaux candidats réformateurs et modérés ont été empêchés de se présenter. De nombreux Iraniens n’ont pas pris la peine de voter, l’élection ayant enregistré le taux de participation le plus faible de l’histoire de l’Iran pour un scrutin présidentiel.

Mais la victoire de Raïssi a été célébrée par les partisans de la ligne dure, qui ont pu reprendre le contrôle des principales branches de l’Etat pour la première fois en près de dix ans. Selon des analystes, les partisans de la ligne dure au sein du système judiciaire, du Conseil des gardiens de la Constitution, organe de surveillance de la Constitution, et des Gardiens de la révolution pensaient que l’élection mettrait fin aux affrontements acharnés entre les camps rivaux au sein du régime.

Ces rivalités étaient particulièrement évidentes pendant les deux mandats de Rohani, lorsqu’il menait une politique plus centriste et était soutenu par les réformistes au sein du régime.

En revanche, le profil plus discret d’Ebrahim Raïssi a convenu aux dirigeants, même si cela signifie que Khamenei a été la cible de la colère des manifestant·e·s, ont expliqué des analystes. Ils ont ajouté que c’était un prix que le régime semblait prêt à payer, plutôt que d’avoir un président qui suivrait une voie différente ou ferait des concessions au mouvement pro-démocratie.

«Ceux qui ont porté Raïssi au pouvoir n’ont aucun regret, car toute personne plus forte que lui aurait entraîné des affrontements entre le président et les autorités supérieures, ce que les partisans de la ligne dure ne veulent plus jamais voir», a déclaré Saeed Laylaz.

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Les réformistes, cependant, considèrent l’élection de Raïssi comme un tournant qui a mis fin aux espoirs de la population de voir les réformes passer par les urnes.

«L’élection [de Rohani] en 2017 a été la dernière élection [significative] dans ce pays», a déclaré aux médias locaux Abbas Abdi, un analyste réformiste. «Après cela, les gens n’ont plus eu d’espoir dans l’économie et ont réalisé que l’establishment politique ne tiendra jamais compte de leurs demandes.»

Les dernières manifestations ont éclaté en septembre après la mort en détention de Mahsa (Jina) Amini, une femme kurde de 22 ans. Alors que les autorités ont insisté sur le fait qu’elle était morte d’une crise cardiaque, le manque de confiance dans le régime est tel que de nombreux Iraniens et Iraniennes, y compris la famille de Mahsa Amini, ont accusé l’Etat de mentir et d’affirmer qu’elle est morte après avoir été battue.

Selon Amnesty International, plus de 300 personnes, dont 44 enfants, ont été tuées dans les manifestations qui ont suivi. L’Iran a confirmé la mort d’environ 200 personnes, dont des membres des forces de sécurité.

Ces meurtres ont plongé l’Iran dans une période de deuil, l’ambiance sinistre ayant été exacerbée ces dernières semaines par l’exécution de quatre des manifestants.

Pendant toute la durée des manifestations, Raïssi, 62 ans, s’est efforcé de maintenir le statu quo, en se concentrant sur les difficultés de l’économie et sur les efforts visant à garantir un approvisionnement stable en produits de base tels que la nourriture et le carburant. Les discours qu’il a prononcés lors de ses déplacements dans le pays ont reflété l’opinion de Khamenei selon laquelle les forces étrangères, plutôt que les facteurs internes, sont à blâmer pour les protestations.

Selon les politiciens réformistes, cette rhétorique et le fait que presque aucune concession n’ait été faite, si ce n’est de ne plus imposer strictement aux femmes le port du hidjab, indiquent que les manifestations n’ont pas encore convaincu le régime de changer de cap. Abbas Nilforoushan, un adjoint du chef de l’élite des Gardiens de la révolution, a déclaré ce mois-ci: «Nous sommes en Iran, le pays des martyrs. Pour renverser [le système], il faut traverser une mer de sang.»

Les partisans de la ligne dure estiment que si le gouvernement de Raïssi parvient à améliorer l’économie, cela contrecarrera ce qu’ils jugent être des conspirations étrangères et assurera la stabilité. Un chef d’entreprise proche des forces de la ligne dure affirme: «Raïssi jouit toujours d’un bon prestige social et les gens espèrent qu’ils pourront obtenir leurs droits grâce à lui parce qu’il n’est pas corrompu et qu’il n’y a aucun signe de corruption dans son conseil gouvernemental.» Il ajoute: «C’est une malchance que ces manifestations aient eu lieu pendant son mandat, mais elles n’ont pas affaibli Raïssi.»

Son équipe économique a réussi à atteindre les recettes budgétaires prévues pour l’exercice financier, tandis que le pétrole et le gaz continuent d’être exportés malgré les sanctions états-uniennes. Les salaires et les pensions du secteur public ont également été relevés, ce qui a découragé les fonctionnaires de se joindre aux manifestations.

L’opposition a appelé à une grève générale pour accroître la pression sur le régime. Toutefois, un cadre supérieur d’une grande entreprise affiliée à l’Etat a déclaré que ses employés n’étaient pas disposés à se joindre au mouvement après avoir été payés à temps et avoir reçu des augmentations ces derniers mois. «Nous ne sommes pas encore près de la grève générale.»

L’apaisement des manifestations et l’absence d’agitation syndicale généralisée ont encouragé les partisans de la ligne dure à croire qu’ils peuvent juguler la crise. Cela leur permettrait de poursuivre les avancées militaires et nucléaires ainsi que le processus de détermination du successeur de Khamenei, 83 ans, sans interférence. Un analyste a déclaré que la position du président s’était effectivement «transformée en celle d’un premier ministre, même si aucun changement constitutionnel n’a eu lieu». Il a ajouté: «Raïssi ne semble pas avoir l’intention de perturber le nouvel ordre tacite.» (Article publié dans le Financial Times, le 16 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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