Arabie saoudite: l’arrestation du Cheikh Nimr Al Nimr et la révolte de Qatif

Manifestations à Awamiya dans la région de Qatif, en juillet 2012

Par Mohammad Kahtani

La presse locale [d’Arabie saoudite] n’a pas couvert l’arrestation du cheikh Nimr Al Nimr [après avoir été blessé le 8 juillet, il a été arrêté] avec professionnalisme. Elle s’est bornée à publier les condamnations et à propager une campagne médiatique dirigée par le ministère de l’Intérieur. Ce dernier a utilisé les pires méthodes de diffamation des militants de droits de l’homme en les faisant passer pour «des fomenteurs de troubles et de sédition» et d’«offenses à leur société et à leur patrie» ainsi que «d’instruments à la solde des ennemis de la nation» [1]. Tous ces mensonges n’ont pas été proférés à l’encontre du cheikh Nimr Al Nimr seulement, mais elles constituent une des attaques visant l’ensemble du mouvement révolutionnaire dans la région. Ce mouvement est considéré comme un complot de l’étranger et non pas comme une réaction face aux violations flagrantes commises quotidiennement dans le pays.

Nous devons d’abord passer en revue les propos du cheikh Nimr Al Nimr et tenter de comprendre s’ils étaient justes ou erronés. Il ne s’agit pas de reprendre naïvement les affirmations des autorités officielles comme le font les journalistes qui publient les condamnations sans enquêter ni analyser les événements.

Je tiens à préciser le domaine de l’investigation, car cela ne nous intéresse guère d’exposer le résumé de tous les articles et déclarations du cheikh Nimr Al Nimr. J’aborderai plus précisément son dernier discours avant son arrestation, car il avait critiqué le prince Naïef [décédé en juin 2012, en Suisse] et toute la famille Saoud.

Il y a plusieurs points importants dans le discours d’Al Nimr. Je me contenterai de relater les déclarations politiques. Premièrement le cheikh Nimr Al Nimr a critiqué le régime héréditaire et le transfert du ministère de Naïef à Selmane [désigné prince héritier de suite après le décès de Naïef]. Il a critiqué tout le régime monarchique, qu’il a considéré comme illégitime, puisqu’il a affirmé: «Pourquoi le roi n’est-il pas mis à la retraite, il faut qu’il meure. Pourquoi Naïef n’est-il pas mis à la retraite, il faut qu’il meure ! » [2]

Deuxièmement, il a critiqué la politique de l’ex-ministre de l’Intérieur, le prince Naïef, à savoir les assassinats et les arrestations et il a dit que la joie et le bonheur de le savoir mort étaient naturels. «Nous sommes heureux car la personne qui a arrêté et tué nos enfants a rendu l’âme», a-t-il déclaré.

Troisièmement, Al Nimr s’est montré très critique dans son discours pour ce qui avait trait aux contrats d’armement et au pillage des terres; ce qui a conduit au pillage des richesses du pays au profit des princes et de la classe bourgeoise. Il a critiqué ainsi la politique d’accaparement, de luxe et la construction des palais.

Quatrièmement, le Cheikh a poursuivi sa critique du régime. Il a parlé des relations de ce dernier avec l’Amérique, d’une part, et du rôle des Saoudiens dans les opérations de sabotage au Bahreïn [les troupes saoudiennes sont intervenues dès mars 2011] et les tentatives d’y écraser le mouvement révolutionnaire au lieu d’affronter le sionisme et l’impérialisme.

Cinquièmement, Nimr Al Nimr a critiqué tous les despotes et les tyrans à commencer par l’Arabie saoudite jusqu’au Bahreïn et à la Syrie. Il a critiqué la famille Saoud, la famille Khalifa et la famille Assad : «Il vaut mieux de mourir libre que de faire allégeance à des tyrans comme les Saoud, les Khalifa ou les Assad qui terrorisent les gens, les tuent et les soumettent, qui combattent pour rester sur le trône du pouvoir !»

Enfin, il a fustigé ceux qui colportent les rumeurs du gouvernement sur les liens entre le mouvement révolutionnaire de Qatif [des milliers de citoyens saoudiens ont manifesté, encore ces derniers jours, à Qatif, suite à l’arrestation de Nimr Al Nirm] avec l’Iran. Il a dit que ces mensonges n’avaient aucun fondement, mais qu’ils étaient propagés par les trompettes du régime.

A travers ces axes et ces points, nous pouvons nous en tenir à une plate-forme claire. Ceux qui sortent dans les rues de Qatif [ville et port de la province orientale d’ach-Charqiya] et d’Awamiya [ville de quelque 25’000 habitants se situant non loin de Qatif], aujourd’hui, sont ceux qui font face à la politique d’arrestations, de meurtres perpétrés par les forces anti-émeutes.

Les forces de ladite sûreté enlèvent d’un seul coup les citoyens qui s’opposent à la politique de désignation, d’affectation et d’accaparement du pouvoir ainsi que de la richesse. C’est le fait du régime le plus réactionnaire: le régime monarchique saoudien.

La jeunesse de Qatif veut une vraie représentation politique. Elle ne veut plus de contrats d’armements dont nous voyons qu’ils ne sont utilisés que contre les manifestations populaires ou comme un moyen de piller les richesses du pays au prétexte de l’armement stratégique pour affronter l’Iran!

Ceux qui soutiennent Nimr Al Nimr sont ceux qui sont contre le pillage des terres, contre la politique d’accaparement menée par la famille royale depuis de longues décennies, famille qui construit des palais, d’une part, alors que croît le nombre des déshérités et des pauvres, d’autre part. Une minorité réside dans les palais et la majorité écrasante habite dans des cabanes et les maisons en bois sur le point de s’écrouler.

Le nombre des citoyens en dessous du seuil de pauvreté atteint les quatre millions [sur une population estimée de à 25 millions], 70% des habitants ne sont pas propriétaires d’un logement, trois millions sont au chômage et 30’000 sont détenus par les autorités. La construction de palais et le pillage des terres sont le fait des riches et des princes qui trahissent leur pays.

Mais ceux qui participent au mouvement révolutionnaire expriment leur colère contre ces traîtres. Ils doivent disposer de la liberté d’expression qui est reconnue au niveau international dans les Déclarations et convention des droits de la personne humaine qui englobent, dans le même article, le droit à l’organisation comme le droit de manifester.

Donc nous ne collaborons pas avec un agent double [selon le vocabulaire du régime] qui s’appellerait Nimr Al Nimr. Nous collaborons avec une personnalité éminente dans la revendication des droits civiques que sont le droit à la représentation politique, le droit d’expression, le droit de manifester et le droit de tous les citoyens et citoyennes à la richesse et aux revenus de la nation.

Les trompettes du palais royal

Les déclarations du représentant du ministère de l’Intérieur, le général Mansour Sultan Turki, ont atteint le summum de la falsification, de la légèreté et de la faiblesse.

Au début de cet article, nous en avons cité des extraits, lorsqu’il a décrit Al Nimr comme incitant à la sédition! Mais n’y a-t-il pas de plus grande sédition que celle que nous vivons aujourd’hui à l’ombre des vendus qui sont hégémoniques sur le pouvoir religieux,d’une part, et des mercenaires qui sortent leurs armes contre quiconque tenterait de proférer un mot raisonnable face un pouvoir inéquitable, d’autre part?!

Museler les bouches, exploiter, piller et terroriser de manière policière sont plus dangereux que toute sédition alléguée. L’émeute organisée n’est pas le fait des innocents et des personnes isolées qui sont assassinées dans les rues de Qatif et d’Awamiya, mais c’est le fait des forces de l’ordre qui aboutissent, de fait, à ébranler la sécurité et à terroriser les citoyens aux points de contrôle. C’est le fait attaque des blindés qui font face aux manifestants, ainsi que des snipers qui visent la jeunesse militante du mouvement révolutionnaire.

Voilà où est l’émeute véritable, l’émeute menée par le ministère de l’Intérieur contre les citoyens. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les forces de l’ordre jouent ce rôle sauvage. Karl Marx avait raison lorsqu’il a décrit les secteurs armés des sociétés capitalistes comme des tueurs et des égorgeurs. Ils commettent des massacres et épouvantent les êtres paisibles. La classe au pouvoir les utilise pour étendre son influence lorsqu’elle a perdu la maîtrise ou lorsqu’elle échoue à asseoir sa domination sur la conscience générale par des moyens pacifiques.

En ce qui concerne le rôle de la presse et des médias, il serait bien difficile d’y trouver une différence avec les communiqués du ministère de l’Intérieur, que ce soit sur la forme ou le fond. Mais l’espace autorisé aux journaux locaux n’implique que le bavardage et le radotage. La politique de méfiance est celle des journaux locaux, rien d’étonnant à cela non plus!

Les rapports sociaux contradictoires à l’ombre de la propriété privée expliquent le rôle des médias pusillanimes. Celui qui possède la richesse, celui à qui revient la décision en matière politique et économique détient également l’information et est hégémonique sur l’opinion publique. Chacun sait qui possède ces journaux et les intérêts des rois avec la famille au pouvoir. A titre d’exemple… Ahmed Attar était propriétaire du journal Oukadh alors qu’il était un conseiller éminent du bureau royal. Turki Sdiri est le chef du comité de rédaction du journal de Riyadh. Les deux ont des liens de parenté proche et des relations historiques anciennes avec la famille régnante.

Parfois, la propriété des médias est le résultat inévitable d’alliances entre les capitalistes et la famille régnante. D’autres fois encore, la propriété des médias est le fait direct de la famille régnante qui a mis la main sur une grande partie des capitaux. A titre d’exemple, le prince Khaled Faïçal possède le journal Al Watan et Walid Ben Talal détient les chaînes d’information télévisées et radiophoniques, tandis que le prince Selmane et le prince Khaled Ben Sultane se sont accaparés le reste de la presse saoudienne!! [3] C’est ainsi que coïncident les propos du pouvoir politique et ceux d’institutions médiatiques. C’est comme si le journaliste était un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur et non pas celui d’une institution médiatique!

C’est ce qu’a révélé un document de Wikileaks, corroborant la justesse de nos propos: «La famille régnante domine presque entièrement la propriété des médias pour des motifs politiques ou liés à l’appât du gain et partant, elle exerce un contrôle personnel total. Le document révèle que le ministère de l’Intérieur assume une mission de contrôle des journalistes saoudiens et de sanction de ceux qui n’obtempèrent pas aux injonctions gouvernementales et à sa politique. L’accord du ministère est une condition sine qua non pour l’attribution des postes rédactionnels principaux des journaux. Le document affirme que les journalistes saoudiens peuvent écrire ce qu’ils veulent à condition ne pas «critiquer la famille régnante ou de dévoiler la corruption du gouvernement» et que les journalistes critiques sont convoqués par des comités relevant du ministère de l’Intérieur dans les régions, et qu’il y a enquête pour connaître les tenants et les aboutissants de leurs écrits.» [4]

Comme d’habitude, les avis exprimés par les journaux locaux n’ont pas suscité d’étonnement. Ils ont joué un rôle réactionnaire dans la lutte. Ils sont les trompettes stipendiées des baltagias [les mercenaires] du régime, avec à leur tête Anouar Achki, chef du Centre du Moyen Orient d’Etudes Stratégiques. Il a déclaré à Aliqtisadia: «Al Nimr s’était conformé à un agenda de l’étranger [sous-entendu l’Iran] pendant toute la période écoulée et que ce qu’il avait dit dans ses discours dans les mosquées enfreignait toutes les lois… L’Etat avait été très patient, mais il avait persisté à s’en prendre à la souveraineté de l’Arabie saoudite.» Et il a ajouté qu’Al Nimr n’était pas un détenu d’opinion, mais un «détenu sécuritaire dangereux» [5].

Ces mensonges, nous avons l’habitude de les entendre. Tout militant ou tout défenseur des droits de l’homme est taxé de répondre à un agenda fixé par l’étranger! Je voudrais rassurer Anouer Achki et ses acolytes. Les êtres libres ne sortiront pas du pays et ne chercheront pas d’autre nation.

Ceux qui ont des rapports louches avec des pays étrangers sont ceux qui ont des postes, les princes et les ministres qui vendent des barils de pétrole aux forces impérialistes pour se construire des palais. Dans les quartiers pauvres, on ne connaît personne à l’étranger, on ne connaît que l’injustice et l’oppression de l’intérieur. Ceux qui exploitent le plus les tribunes sont les autorités détentrices du pouvoir qui dictent aux imams les discours de chaque vendredi, pour inciter à la soumission aux donneurs d’ordres, à ne pas sortir dans la rue contre le pouvoir, fût-il oppresseur.

En contrepartie, l’utilisation des mosquées par les révolutionnaires est considérée comme un crime public méritant une sanction. Comme on le sait, la loi dont parle Anouar Achki est une loi qui ne nous représente pas et nous ne sommes pas des égaux devant la justice. Les rapports sociaux entre ceux qui se sont accaparés le pouvoir et ceux qui leur sont soumis mènent inexorablement à l’émergence de lois qui protègent le pouvoir et ne protègent pas le citoyen isolé. Il n’y a pas de loi neutre dans un Etat qui ne repose pas sur la neutralité, aussi il ne faut pas s’étonner qu’on coupe la main du voleur [immigré] nigérian [6] et qu’on en fasse grand cas. Alors que les criminels qui ont pillé des millions et ont été à l’origine de catastrophiques inondations de Jeddah [à 8o km de La Mecque] ne sont pas sanctionnés sinon par un licenciement; et les autorités ne révèlent pas son nom et ne saisissent pas ses biens.

«L’élaboration de la nouvelle loi antiterroriste signifie que les autorités s’apprêtent à l’utiliser pour faire taire l’opposition ». C’est une loi qui confère aux autorités toutes les prérogatives pour arrêter tout suspect pour une période illimitée et sans procès [7]. La justice n’a pas d’influence sur la loi en Arabie saoudite. Elle n’est qu’un reflet de la sauvagerie du pouvoir face aux citoyens. Achki traite la loi comme s’il s’agissait d’un livre sacré immuable. Or la majorité des lois répressives ont été abolies à l’occasion des mouvements de masse dans l’histoire des révolutions, notamment la loi Jim Crow qui légiférait sur la discrimination raciale en Amérique [8].

Anouar Achki commet une erreur lorsqu’il décrit le cheikh Nimr Al Nimr comme ne relevant pas des prisonniers d’opinion car son arrestation est survenue à la suite du discours précité qui relève de l’expression d’une opinion et non pas suite à l’exécution d’une opération armée contre une institution du pouvoir. Il n’a fait qu’exprimer ses opinions lors d’un prêche du vendredi à Awamiya. Achki devrait mentionner que ceux qui sortent dans la rue pour le combat révolutionnaire à Qatif, Awamiya revendiquent la souveraineté du peuple et non celle d’une quelconque confession, d’un dirigeant ou d’une famille royale particulière. Ils demandent un changement global et la fin de l’ère du crime organisé commis à leur encontre par les autorités quotidiennement.

Le journal Al Watan [9] a publié des accusations mensongères irrecevables, prétendant que le cheikh Nimr Al Nimr faisait partie d’un groupe armé lorsqu’il a été arrêté, qu’il avait ouvert le feu sur les forces de l’ordre et qu’elles avaient riposté de façon professionnelle par un seul tir qui l’avait atteint, et qu’il avait été alors arrêté.

D’où la question: où sont les hommes armés? Où sont les armes de Nimr? Si Nimr avait été armé, alors on verrait les armes sur les photos de l’arrestation. Et s’il était vraiment avec des hommes en armes, que n’ont-ils été arrêtés! Et qui sont-ils au juste?

Il est sûr que ni le journal Al Watan, ni le reste de la presse ni le porte-parole officiel du ministère de l’Intérieur n’ont de réponse à ces interrogations, mais il ne s’agit pas du premier ou du dernier mensonge des médias. Les médias ne se contentent pas de ces mensonges, ils regorgent des contes des baltagias qui ne représentent ni le pays ni le citoyen. Elles se proposent de publier le maximum de rumeurs, de fictions et de légendes justifiant les opérations menées par les autorités.

L’un d’eux a écrit que Al Nimr rencontrait l’un des 23 suspects sécuritaires répertoriés et recherchés, faisant partie d’une liste du ministère de l’Intérieur pour enquêter sur un groupe de militants qui ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement révolutionnaire à Qatif. Au lieu de s’interroger sur l’inconsistance des accusations portées à leur encontre à tous les niveaux, ils sont arrêtés, interrogés et poursuivis. Les journalistes applaudissent le ministère de l’Intérieur qu’ils considèrent comme le centre de la législation, le garant de la sécurité. Quant au ministère de l’Intérieur, il est devenu un pouvoir qu’on ne peut remettre en question. Si le cheikh Al Nimr avait eu des relations avec les 23 personnes recherchées, cela ne serait pas un «appel à la trahison» !

En revanche, les journaux se sont remplis d’articles en défense de la nation, comme dit l’un d’eux: «l’agression de la sécurité et de l’unité du pays». Ou encore ce qu’écrivait Saoud Tiniane dans le journal Al Charq: «La sécurité du pays est une ligne rouge.» [10]

Là il convient de se demander de quel pays parle le mercenaire Saoud Tiniane? Est-ce le pays de la classe dominante qui diffuse l’information à son profit comme si elle représentait réellement le peuple dans son ensemble, alors qu’elle ne le représente absolument en rien. Au contraire, elle s’est accaparée ses richesses et pratique la politique de la famine. Nous n’avons pas le droit de décider de notre destin, ni le droit de prendre une décision concernant notre vie. Nous ne vivons pas l’égalité dans ce pays. Nous sommes soumis à un régime pyramidal sévère, un régime qui n’offre aucune considération au citoyen. Il n’est jusqu’à la nationalité qui a été dénaturée et méprisée. Ils ne savent pas que le pays ne peut être réduit aux palais prétentieux protégés par des soldats et des blindés, ne peut être réduit à une seule confession, à des applaudissements veules, à des frontières géographiques étroites.

Il est beaucoup plus que tout cela, plus vaste que leur imaginaire simpliste et leurs mots inconsistants. Le pays n’est pas celui de tous et ne l’a jamais été. La population vit dans des conditions bien différentes sous la domination des appareils de répression de la minorité. Dans ce beau pays on incarcère sans procès et on peut tirer des balles pendant une manifestation. De quel pays parle-t-on? Ce pays contradictoire, entre forces sauvages et concentration des opprimés, n’a nul besoin du confessionnalisme ni de l’éviter. Il a besoin de l’affronter et d’en finir avec lui dans tous les lieux où se mène la lutte et par tous les moyens.

Il faut affronter cette classe possédante qui vit du confessionnalisme, des discriminations racistes et sexuelles. Le confessionnalisme n’est pas naturel, il n’est pas structurel non plus. Il est un phénomène induit qui sert les intérêts de la classe au pouvoir et lui facilite l’exploitation. Les racines du confessionnalisme se sont construites sur le principe «diviser pour régner» qui est la théorie qui a remporté des succès tout au long de l’histoire du despotisme et que les masses le lui ont rendu par des acquis exceptionnels lorsqu’elles ont affronté les régimes exploiteurs et despotiques.

Le changement et la rectification de l’illusion nationale diffusée par les canaux gouvernementaux passe par la solidarité à travers les affrontements directs avec tous les opprimés de ce pays contre ceux qui sont à l’origine de leur oppression. L’individu ne se sentira fort que par le mouvement collectif et l’affrontement avec le régime. Le changement véritable ne se fera que par la force, mais cette fois, il s’agira de la force de la majorité des opprimés qui s’affronteront à la minorité de despotes et non le contraire, comme c’est le cas actuellement. Pour conclure, il y a une différence entre le pays et la moisissure, entre le chantage et la résistance; un autre monde, meilleur, est possible.

Le mouvement révolutionnaire à Qatif

Les demandes de réformes à Qatif ne sont pas nouvelles, elles remontent aux années cinquante du siècle dernier. Pourtant, elles ont toujours échoué, depuis les pétitions aux rencontres récurrentes avec les responsables, les projets réformistes, les initiatives et les tentatives de tisser un consensus national avec la classe au pouvoir pour arriver à une solution mettant un terme à la discrimination confessionnelle [11].

Mais aujourd’hui, le roi Abdallah est considéré comme un symbole de la réforme dans l’histoire du royaume. Et les réformateurs contemporains vivent un âge d’or dont ils n’avaient pas rêvé dans le passé et dont ils ne rêveront plus à l’avenir.

Et pourtant il n’y a pas la moindre réforme dans la vie des opprimés. Toutes les tentatives de réformes sont des décisions ministérielles qui ne signifient rien pour les pauvres et qui ne comportent pas de solutions sérieuses à la discrimination confessionnelle. La véritable réforme requiert un mouvement de masse contraignant le pouvoir à des concessions pour les autres classes. Les droits fondamentaux s’arrachent: le droit d’expression, de manifestation, d’organisation, le droit au travail, à l’égalité et nos droits à une vie dans un milieu de justice sociale sans exploitation ou despotisme. Mais la réalité d’aujourd’hui est bien différente des ambitions des réformateurs.

La liste des martyrs de Qatif se monte à 11 martyrs et le nombre des détenus dépasse les 500. Les autorités ont remis en liberté 345 détenus et 155 sont toujours en détention [12].

Parmi eux, des activistes comme Fadhel Al Manasif et Nadhir Majed. Trente travailleurs ont été renvoyés de leur poste après avoir passé plus de quatre mois dans les prisons du pouvoir réactionnaire. 150 citoyens sont interdits de voyage parmi la population de Qatif en raison de leur participation aux manifestations [13].

L’un des martyrs abattus par les forces anti-émeutes dernièrement est monsieur Akbar Chakhouri. Il a été tué par les snipers, et par une coïncidence triste, il est décédé le jour de son premier anniversaire de mariage [14]. Les autorités prétendent qu’il était soutenu par des forces étrangères, alors que Chakhouri fait partie des pauvres gens d’Awamiya. Il avait été contraint de se rendre à pied d’Awamiya à Qatif pour démontrer sa solidarité avec une manifestation dans l’avenue de la révolution et c’est là qu’il a été assassiné. Il a écrit un article extraordinaire sur la révolution tunisienne avant de mourir en martyr. Il était très influencé par les révolutions arabes.

Le pouvoir dans sa volonté de déformer le mouvement révolutionnaire de Qatif, de faire douter des motivations et du patriotisme des révolutionnaires et de leurs activités traîtres, a voulu réduire le mouvement aux frontières de la région orientale et le réprimer pour empêcher son influence de s’étendre aux autres régions.

Ce combat ne peut être réduit à une simple lutte confessionnelle, il s’agit d’une lutte de classes entre les opprimés, les marginalisés, d’une part, et ceux qui sont à l’origine de l’injustice et de leur exploitation et de leur oppression, d’autre part. Nous devons apprendre de l’expérience chiite révolutionnaire;et plus particulièrement du mouvement des Oubliés qui a pu s’affranchir de tous les obstacles confessionnels, manifester et revendiquer la libération des sunnites et des chiites oubliés dans les prisons politiques [15].

Il faut que le mouvement pour les droits s’étende à la région orientale, de Qatif à Al Hasa, de Riyadh au Hijaz, au nord, au sud et à tous les lieux. Si le mouvement se borne à Qatif, il conduira à une catastrophe humanitaire et à la fin de la marche pour les droits en Arabie saoudite, mais si le mouvement révolutionnaire s’étend à toutes les régions du royaume, cela nous donnera une nouvelle occasion de remporter la victoire sur ce régime.

L’esprit de solidarité du mouvement révolutionnaire de Qatif est une question extrêmement importante. Lors de la manifestation des prisonniers, il y a quelques mois, les révolutionnaires se sont solidarisés avec Khaled Aljahni, qui a été arrêté à Riyadh le 11 mars. Il n’a rien à voir avec les Chiites [16].

Ils ont également arboré le portrait de Mohammad Aloudani qui a été arrêté lors d’une manifestation devant la mosquée Rajhi à Riyadh. Ils ont exigé la libération de tous les détenus, de toutes confessions, de toutes les régions du royaume.

Cela suffit à démentir les mensonges du pouvoir qui prétend que les manifestations sont une expression du fanatisme confessionnel [17].

Lorsque les forces de l’ordre ont attaqué Azza Zahrani, l’ont rouée de coups parce qu’elle avait voulu voir ses fils en prison dont les forces de sécurité lui avaient interdit la visite, elle a crié: «Ben Ali est dans leurs palais et nos fils sont dans leurs prisons.» [18]

La population de Qatif a arboré des pancartes et des slogans en solidarité avec elle et ils ont manifesté pour la libération de ses fils. Son histoire s’est répandue au sein des militants du mouvement révolutionnaire et lorsque les autorités ont réprimé les manifestations à l’université du roi Khaled, la population de Qatif est sortie en manifestation en solidarité. Ils ont scandé des slogans révolutionnaires en solidarité avec les opprimés de toutes les régions du royaume.

Actuellement il y a des manifestations à La Mecque en solidarité avec la population de Qatif, à Riyadh devant la prison d’Alhayer pour exiger la libération des détenus d’opinion et à Qatif comme à Awamiya, quotidiennement, en dépit des risques et de la répression policière.

Les révolutionnaires se solidarisent avec la révolution à Bahreïn et reprennent des slogans utilisés lors de la révolution égyptienne : «Sanctions, sanctions contre ceux qui ont tiré». Les slogans ont dépassé tous les pétitions, et les conseils des négociateurs. Les manifestants arborent des pancartes et haussent le ton contre la famille régnante, notamment : «La mort pour les Saoud !», et ils scandent «la chute du régime » lors de toutes les manifestations, marches et sit-in. Ils s’en prennent au ministre de l’Intérieur, le prince Selmane, tout cela révèle l’accélération du mouvement anti-dictatorial.

La crise de la région orientale a poussé la jeunesse à rechercher des solutions radicales. Ils ont en assez des demi-solutions, des chantages et des pétitions; d’où le choix des manifestations et de la révolte à la place de la réforme et de la pacification.

Le projet réformateur comporte des tentatives de modifier les conditions de l’esclavage, mais pas de son abolition. Alors que les rapports sociaux entre gouvernants et gouvernés enjoignent aux autorités de faire de leurs intérêts suprêmes une priorité, tandis qu’elles n’attachent aucune importance aux intérêts des masses opprimées.

Cette relation ne repose pas sur une réconciliation, mais elle est le produit d’une contradiction entre les intérêts de la classe au pouvoir et ceux de la classe opprimée. Les institutions de l’Etat ne sont pas neutres en face de l’Etat et du citoyen. Elles se rangent du côté de l’Etat contre le citoyen. Aussi elles ne sont pas réformables, car elles ne sont que le reflet des rapports sociaux entre, d’une part, les pauvres et exploités et, d’autre part, les riches exploiteurs.

Le projet de changement radical ne peut être traité sérieusement par les autorités s’il ne se préoccupe pas quotidiennement des revendications des masses et de leurs droits. Les dominants vivent du pillage de leurs richesses, de leur répression par tous les moyens autorisés. Qui sort aujourd’hui dans la rue refuse ce rapport dont on ne sortirait que par le chantage. Nous nous en sortirons par la résistance, la révolution contre les régimes d’oppression et la politique d’arbitraire politique et économique.

En conclusion

Le confessionnalisme est le fait du régime qui crée des discriminations entre les travailleurs et les fonctionnaires et crée des légendes pour chaque frange de travailleurs, afin de briser tous les efforts d’unification et d’action directe pour affronter la classe qui les exploite et les opprime. C’est pourquoi on a créé une lutte entre les confessions chiites et sunnites – tandis qu’en réalité il n’y a pas de rapport d’exploitation entre les pauvres sunnites et les pauvres chiites.

Ce rapport despotique existe entre la classe au pouvoir et la classe opprimée, toutes confessions confondues. Les travailleurs chiites sont mis en concurrence permanente avec leurs frères sunnites et ils sont en compétition entre eux pour le logement, l’accès au travail, à la couverture sanitaire, à l’enseignement et aux besoins de base.

Nous ne sortirons de cette anarchie matérielle et sociale que par l’union des fils de la classe opprimée sunnite et chiite, arabe et étrangère, pour affronter ce régime corrompu, l’arracher par la racine et construire une société reposant sur l’égalité et la justice sociale. Ce n’est pas impossible – comme cela peut le paraître de prime abord – et ce n’est pas une invention étrangère. Nous disposons d’une expérience historique de la lutte pour la liberté véritable et nous ne tentons pas d’inventer des solutions étrangères à la classe opprimée. Nous tentons d’apprendre de l’expérience des opprimé·e·s qui ont affronté les régimes à travers l’histoire et nous nous enrichissons de ces expériences pour aborder la réalité et l’avenir.

L’expérience des opprimé·e·s sunnites et chiites, palestiniens et étrangers de toutes obédiences est une expérience historique unique. L’expérience des grèves et des manifestations des années quarante et cinquante démontre clairement que les opprimés et les travailleurs peuvent conquérir leurs droits à travers le mouvement de masse.

Les appareils sécuritaires peuvent arrêter un opposant, mais ils ne peuvent pas arrêter des centaines de milliers de personnes organisées dans un mouvement ouvrier. Et nous avons appris aussi que le soutien mutuel entre les fils de diverses confessions n’est pas étonnant et est important, à l’opposé des légendes et des mensonges colportés par les autorités à propos des divergences de règles [confessionnelles] qui nous détournent de l’objectif principal.

La problématique confessionnelle n’est pas une problématique religieuse, mais une problématique socio-politique qui ne prendra fin qu’avec la fin de l’Etat confessionnel et son remplacement par un Etat ne reposant pas sur des bases confessionnelles ou de classe, mais un Etat représentant la démocratie des opprimé·e·s, dans lequel les décisions seraient prises de façon collective et non pas à travers la candidature de personnes qui ne représentent pas les opprimés comme c’est le cas dans les élections occidentales.

Et ce ne sera pas non plus le cas des conseils dépourvus de prérogatives comme le conseil municipal ou le conseil consultatif saoudiens.

Cela ne signifie pas que nous ne revendiquons pas la liberté religieuse qui permettrait aux tenants de toutes les confessions et de toutes les religions, de pratiquer tous les cultes et obédiences religieuses. Il leur serait autorisé des conseils et des réunions religieuses sans déclarations paralysantes ni contrôle des autorités sécuritaires. Les chiites auraient droit à ce que l’Etat leur construise des mosquées et des lieux de cultes comme l’Etat prend en charge la construction des mosquées sunnites, car ils sont une composante de cette société.

Nous pensons que le confessionnalisme n’est pas une simple crise de convivialité entre différentes confessions, mais c’est le produit de l’Etat confessionnel qui porte la responsabilité de cette crise sociale. C’est lui qui est responsable de la loi confessionnelle. C’est lui le responsable de l’information confessionnelle. Et c’est encore lui le responsable des appareils sécuritaires qui arrêtent les citoyens, mène des enquêtes à leur sujet, leur interdit de voyager sur une base confessionnelle.

Pour cela, l’abolition du confessionnalisme passera par celle de l’Etat qui produit le confessionnalisme et profite de ces circonstances pour dominer la richesse et la société dans son ensemble. S’en débarrasser, ce dont ont été incapables les réformateurs, passe par une solution: à savoir sortir dans la rue et arracher les droits une fois pour toutes, et étendre les perspectives de la lutte par la voie de la grève et de la protestation dans tous les secteurs de l’Etat, y compris le secteur pétrolier.

Aux activistes du mouvement révolutionnaire de Qatif et d’Awamiya incombe d’affronter l’Etat de manière organisée et non par des oppositions personnelles, spontanées ou armées.

Cela passe par des organisations pacifiques qui généralisent l’expérience de lutte aux opprimés. L’organisation doit préserver la mémoire des militants et défier l’information gouvernementale, ses mensonges, et appeler à des mouvements sérieux contre le régime qui opprime la femme, les chiites, les pauvres et les travailleurs. Nous ne pourrons nous défaire de ces chaînes que par l’organisation, la sortie dans la rue et la solidarité avec le mouvement de masse.

Gloire aux martyrs !
Victoire pour les révolutionnaires !
A bas le régime des Saoud !

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Mohammad Kahtani, membre d’un groupe marxiste-révolutionnaire dans le Royaume arabe saoudien (dénomination officielle du Royaume en arabe). Texte écrit en juillet 2012. Traduction: Luiza Toscane.


Notes

[1] « L’arrestation de Nimr Al Nimr, l’un des fomenteurs de la sédition à Alawamiyya, Oukadh, 90/072012

[2] Discours du Cheikh Nimr Al Nimr, 22/06/2012, http://youtube.com/watch?v=U4cKP47KHsM&feature=related

[3] Qui domine l’information saoudienne, Naji Alali, http://saudimarxist.blogspot.cz/2011/11/blog-post.html

[4] Wikileaks, document de l’Ambassade américaine à Riadh du 11 mai

[5] « Achqi : Al Nimr n’est pas un détenu d’opinion et il a continué de s’en prendre à la souveraineté »Al Iqtisadia, 10 juillet

[6] Abdelsamad Housaoui

[7] Amnesty International, 5 décembre 2011

[8] Loi légitimant la ségrégation raciale dans de nombreux Etats du Sud. La ségrégation sociale est devenue légale à la fin du dix-neuvième siècle, et elle a été abolie après le mouvement des droits civiques et les manifestations populaires qui ont secoué l’Amérique dans les années cinquante et soixante du siècle passé.

[9] Mansour Khamis, Al Watan, 09/07/2012

[10] Saoud Tiniane, La chute de Nimr Al Nimr, symbole de la sédition, Al Charq, 10/7/2012

[11] La réconciliation nationale 1992, initiative des associés de la nation, 2003, projet d’intégration 2008a

[12] Au nombre des personnes libérées : Mohammad Temimi qui a été soumis à la torture au point de perdre la faculté de se mouvoir de parler. Il est en dépression. Salah Mahras qui a été soumis à une torture féroce durant sa détention. Il est sorti de prison poly handicapé permanent.

[13] Walid Salis, sur sa page Twitter

[14] Monsieur Akbar Chakhouri a été assassiné par les forces de l’ordre le 8/7/2012

[15] Le mouvement des oubliés est né il y a longtemps pour exiger la libération des oubliés dans les prisons du régime. Ils avaient été arrêtés à la suite de l’explosion de Khobar en 1996. Jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont été ni libérés, ni jugés.

[16] Khaled Jahni est un instituteur d’une quarantaine d’années, originaire de Riyadh. Depuis Août 2011, il est à la prison d’Alicha après avoir revendiqué la liberté et la démocratie en Arabie saoudite dans les manifestations de 2011. Khaled avait parlé à l’équipe de la BBC arabe devant le bureau des injustices à Riyadh, alors que la concentration des forces de sécurité était forte, le 11 mars 2011.

[17] Mohammad Alpudani Aldousri est un militant politique saoudien qui exige la chute de la monarchie en Arabie saoudite. Il a été arrêté après avoir encouragé les manifestations à la mosquée Rajhi, le 4 mars 2011.

[18] Azza Zahrani est du Sud. Ses fils sont emprisonnés depuis huit ans sans procès. http://www.youtube.com/watch?v=rTbW5sWwMCk&feature=player_embedded

 

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