Algérie. Vendredi 21 février: «L’an I du hirak»

Par Abdelghani Aichoun

Les Algériens sont sortis en masse, hier, dans la capitale, à l’occasion du 53e vendredi de la contestation, marquant ainsi le premier anniversaire du hirak, ce mouvement populaire qui s’est déclenché un certain 22 février 2019.

Le nombre de manifestants était donc beaucoup plus important que lors des manifestations précédentes, rappelant même les premiers vendredis ou ceux coïncidant avec des dates importantes, comme le 5 juillet, fête de l’indépendance, ou le 1er Novembre, commémorant le déclenchement de la Guerre de Libération nationale.

Et comme pour réagir à la décision de la présidence de la République d’instituer la date du 22 février comme une «journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et l’ANP (Armée nationale populaire) pour la démocratie», et estimant que c’était là – comme l’ont déclaré plusieurs manifestants ou mis noir sur blanc sur des pancartes brandies – une tentative de récupérer l’événement, les manifestants ont maintes fois scandé: «Madjinach nahtaflou, djina bach tarahlou!» (On est pas venus faire la fête, on est venus pour vous faire partir).

Ainsi, ils étaient très nombreux à sortir dans la rue hier à Alger et dès les premières heures de la matinée. Contrairement aux derniers vendredis où il y avait de moins en moins de manifestants avant 13h, notamment en raison de la répression que ces premiers marcheurs subissaient, en ce 53e vendredi, la marche a commencé très tôt à la rue Didouche Mourad. Des centaines de personnes se sont rassemblées dès 11h.

Il faut dire que le dispositif sécuritaire mis en place était plus ou moins allégé [1]. En effet, il n’y avait pas, ou très peu, de camions et de véhicules de la police stationnés entre la place Audin et la Grande-Poste, ou sur le boulevard Asselah Hocine, réduisant considérablement la voie. Même la placette en face de la Grande-Poste a été, à un certain moment, libérée.

Pourtant, plusieurs barrages filtrants de la Gendarmerie nationale ont été installés, depuis mercredi, au niveau des axes menant vers la capitale, ralentissant considérablement la circulation. Un procédé utilisé à la veille de chaque vendredi, depuis l’été, pour dissuader les manifestants des wilayas limitrophes de se déplacer à Alger. Ce qui n’a pas, bien sûr, empêché ceux qui voulaient prendre part à la marche de la capitale de faire le déplacement.

Ainsi, dès 13h30, la rue Didouche Mourad était noire de monde. Deux manifestants ont brandi un étendard noir, bien visible, sur lequel était dessinée une bougie allumée, pour commémorer «l’an I du hirak». Le ton était donc donné.

Les marches démarrant de Belouizdad et de Bab El Oued étaient également plus imposantes. Vers 15h, les grands boulevards du centre d’Alger, Hassiba, Amirouche, Asselah, Didouche, étaient pleins à craquer. Les manifestants ont voulu marquer comme il se doit l’«anniversaire» du hirak. Et quoi de mieux que de montrer que la mobilisation est toujours là et qu’elle est plus forte que jamais. «Je suis venu en famille montrer qu’on est toujours là pour réclamer la démocratie et la liberté. On continuera encore pour une autre année s’il le faut», nous dira un manifestant, accompagné de ses trois enfants.

Bien évidemment, les marcheurs ont repris les slogans habituels du rejet du régime en place, comme «Echaab yourid isqat nidham!» (Le peuple veut la chute du régime), «Dawla madania machi askaria!» (Etat civil, non militaire) ou réclamant la libération des détenus d’opinion.

Mais, comme à chaque fois, ils ont entonné un nouveau slogan. «Oh ya Ali, ouledek mahouch habsin, oh ya Ali 3el houria m3awlin!» (Oh Ali, tes enfants ne s’arrêteront pas, oh Ali, décidés à arracher la liberté – référence à Ali la Pointe, combattant de la bataille d’Alger assassiné par les parachutistes français en octobre 1957). Dans le même ordre, beaucoup de manifestants ont brandi les portraits de détenus d’opinion, à l’image de Karim Tabbou et Fodil Boumala, les deux étant toujours en prison, en attente de leurs procès. Le portrait du jeune Ramzi Yettou, mort au mois d’avril dernier, lors d’une manifestation, et dont la famille réclame toujours les conclusions de l’enquête relative à son décès, était aussi présent. L’étendard amazigh a également refait surface à Alger. Plusieurs manifestants l’ont brandi, sans être inquiétés, contrairement aux vendredis précédents où les policiers tentaient d’interpeller quiconque portait cet étendard (c’est valable depuis le mois de juin). D’ailleurs, plusieurs manifestants avaient été mis en prison, entre juin et décembre, sous mandat de dépôt et même condamnés pour «port de l’étendard amazigh».

La manifestation d’hier a donc rappelé celle des toutes premières semaines du hirak, et ce, sur tous les plans, y compris donc celui du nombre. Vers 17h, les rues d’Alger-Centre étaient toujours noires de monde. Et les marcheurs, dont certains étaient donc là dès les premières heures de la journée, n’ont pas cessé, des heures durant, de scander leurs slogans de rejet du système.

Ce n’est que vers 17h30 que les rues ont commencé à se vider. Et contrairement, aussi au moins à vendredi dernier, les policiers antiémeute ne sont pas intervenus pour obliger les derniers manifestants à quitter les lieux. En somme, le 53e vendredi, marquant l’an I du hirak, a tenu ses promesses. Il renseigne aussi sur la détermination des manifestants à maintenir la pression jusqu’à la satisfaction de leurs revendications. (Article publié par El Watan en date du 22 février 2020)

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[1] Le 19 février, les services de la DRAG (Direction de la réglementation et affaires générales) de la wilaya d’Alger ont refusé d’autoriser une réunion nationale des «activistes du hirak». Elle devait se réunir le 20 février. Les animateurs de cette réunion, parmi lesquels la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) ont déclaré: «Nous condamnons avec force ces agissements qui sont en contradiction avec le discours officiel qui salue “le hirak béni” [formule utilisée par le président Abdelmadjdid Tebboune qui combine la répression et les tentatives de cooptation], tout en prétendant vouloir lever les contraintes devant les activités politiques et associatives. Le régime démontre, à travers ces pratiques, qu’il est fidèle à sa nature autoritaire et dictatoriale, en mettant à profit l’arsenal juridique arbitraire pour empêcher les Algériens d’exercer pleinement leur droit à la réunion dans des salles publiques. Nous renouvellerons également notre soutien à la révolution populaire jusqu’à la réalisation entière de ses objectifs, afin d’imposer la volonté populaire consistant à mettre en place une véritable transition démocratique». (Réd.)

 

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