Grèce: de la crise aux résistances

Stournaras, le ministre des privatisations

Par Antonis Davanellos

Nous publions ci-dessous l’intervention effectuée le 5 juillet 2012 par Antonis Davanellos lors de la rencontre Socialism 2012, organisée par l’ISO, à Chicago, aux Etats-Unis. Nous produirons un article faisant le point sur les développements présents, dans les jours qui viennent. (Rédaction A l’Encontre)

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Je vais essayer de dire quelques mots au sujet de la crise et des résistances en Grèce, puis j’ajouterai quelques éléments au sujet du programme de SYRIZA ainsi qu’à propos des autres partis de la gauche au cours de cette dernière période.

La crise en Grèce s’est traduite par une immense attaque contre la population ainsi que, dans le même temps, une impasse sans précédent pour les classes dominantes.

Commençons par l’attaque contre la population. Les salaires ont diminué de 26% en Grèce au cours des 13 derniers mois. Il s’agit là des chiffres et des statistiques officiels. Je n’ai pas connaissance d’autres exemples de ce type dans l’histoire moderne de l’Europe. Lorsque je parle de ces données, vous devez aussi vous souvenir que, d’une part, les salaires en Grèce étaient déjà peu élevés avant les réductions et que, d’autre part, des diminutions de salaires ont déjà été imposées avant ces 13 mois.

Selon nos calculs, la classe laborieuse a perdu presque 50% de ses revenus réels au cours des quatre années passées de cette période de crise. C’est énorme. Il faut aller très loin dans le passé pour trouver un exemple similaire. Vous devez, en réalité, pour cela, vous projeter avant la période de la Seconde Guerre mondiale, au cours de la période de la République de Weimar en Allemagne.

Les coupes ont également été très drastiques dans le système des retraites. Les pensions ont été diminuées à quatre reprises au cours des trois dernières années. Le système de retraite est devenu un énorme piège pour les personnes âgées qui ne peuvent travailler du fait qu’elles perçoivent des pensions. Si ces personnes ne disposent pas d’autres revenus, elles ne peuvent vivre sur la seule base de leurs allocations. La pauvreté parmi les aîné·e·s est vraiment quelque chose de très choquant en ce moment en Grèce.

Les conditions de vie des travailleurs et des travailleuses ne dépendent toutefois pas uniquement des salaires, des traitements ou des pensions. Les coupes dans les dépenses sociales ont été véritablement inimaginables. La règle fixée par le premier Mémorandum, signé par les seuls sociaux-démocrates (PASOK), impliquait que les programmes d’austérité devaient reposer à hauteur de deux tiers sur des coupes dans les dépenses sociales et d’un tiers sur des augmentations d’impôts directs et indirects.

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Je voudrais vous donner quelques exemples qui vous permettent de comprendre ce que ces chiffres signifient dans la vie réelle. Le ministre de la Santé – c’était alors un membre du PASOK, issu du Parti communiste – était Andreas Lovérdos [né en 1956, ministre de l’Emploi et de la Protection sociale entre octobre 2009 et septembre 2010, puis ministre de la Santé et de la Protection sociale jusqu’au 17 mai 2012]. C’est l’une des personnes les plus haïes de Grèce. Après avoir détruit le système de sécurité sociale, il a entamé la destruction des hôpitaux. Il a déclaré, une semaine avant les élections, que les politiques de son parti signifieraient la fermeture de 20 importants hôpitaux publics avant la fin de l’année 2013.

La situation dans tous les autres hôpitaux est très mauvaise. Elle est insoutenable. SYRIZA a sous-estimé à quel point elle l’était. Lors de notre campagne électorale, à la suite des interventions de médecins et d’infirmières, nous avons changé notre programme en accordant une priorité plus importante au sauvetage des hôpitaux publics.

Lors de nombreuses assemblées de quartier organisées par SYRIZA, des médecins et des infirmières sont arrivés avec des larmes aux yeux, affirmant que nous devions faire quelque chose, que nous étions très proches du moment où ils devraient être présents dans les hôpitaux et dire aux gens qu’ils ne devraient plus y venir, même s’ils étaient malades, sinon ils risquaient d’être en danger de mort en raison du manque de médicaments et de ressources.  

Une question très, très importante en Grèce est celle de l’insuffisance de médicaments. La Grèce est un pays qui fabrique des produits pharmaceutiques avec les dernières technologies. Des médicaments très chers. Les capitalistes préfèrent toutefois les exporter et il n’en reste maintenant plus ou très peu.

Je connais un exemple qui est très dur pour moi parce que je connais les personnes concernées. Lors d’une assemblée de SYRIZA, dans mon propre quartier, deux camarades – membres de Synaspismos, l’une des plus importantes organisations au sein de la coalition de SYRIZA – sont arrivés et ont osé raconter leur histoire. La voici: l’un d’entre eux est enseignant, l’autre au chômage. La femme de ce couple a un cancer. Elle est traitée par chimiothérapie depuis trois ans.

Il n’y a désormais plus de médicaments pour les chimiothérapies dans les hôpitaux publics. L’hôpital leur a donc dit de s’approvisionner pour les médicaments qu’elle avait besoin sur le marché libre. Ces médicaments coûtent plus de 2000 euros par mois. Leur revenu s’élève à 1000 euros par mois. Après être rentrés à la maison, ils discutèrent entre eux: devaient-ils acheter les médicaments ou devaient-ils continuer à acheter de la nourriture pour les enfants ?

Les chiffres dont on parle sont énormes: on coupe tant de milliards ici, tant d’autres là. Mais voilà ce que ces chiffres signifient dans la réalité. Il s’agit d’histoires concrètes de personnes concrètes. Et cela ne concerne pas seulement des personnes qui sont atteintes de cancer. Il n’y a plus de fournitures ou de médicaments pour des personnes qui sont atteintes de diabète ou d’asthme pour des gens qui sont en traitement et qui en ont besoin.

Les conditions sont semblables dans les écoles publiques. Les manuels ont été distribués cette année trois semaines avant la fin des cours, juste avant que ne commencent les examens. De nombreux enseignants ont déclaré que des enfants ne parvenaient pas à suivre les cours des écoles primaires parce qu’ils n’avaient pas véritablement mangé depuis des semaines et qu’ils ne pouvaient se concentrer durant quelques heures.

Ce sont là des exemples de la vie réelle de la population en Grèce. Cela explique beaucoup de choses au sujet de la politique et à propos des perspectives.

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La crise se traduit, dans le même temps, par une impasse pour les classes dominantes. Je me souviens bien de la crise majeure des pays d’Europe de l’Est après que les régimes staliniens tombèrent en 1989. La contraction économique était à cette époque de 12%. Ce qui a ouvert la voie à tous ces changements socio-politiques que nous connaissons bien.

Au cours des trois dernières années – sans inclure l’année en cours, seulement les trois années précédentes – l’économie grecque a connu une diminution de plus de 20% du produit intérieur brut. Les estimations pour cette année tournaient autour d’une chute du PIB de 6% ou plus. Avant que je ne quitte le pays [pour me rendre à votre conférence], la dernière prévision était que la diminution du PIB atteindrait quelque 9% au cours du dernier trimestre de l’année 2012 par rapport au même trimestre de l’année précédente.

Il y a ensuite la question de la dette grecque. La classe dominante soutient une formule complètement folle. Après 10 ans de gigantesques programmes d’austérité et de dépression économique, il est prévu que la dette grecque sera égale à ce qu’elle était en 2009. En d’autres termes, si les choses vont «bien» pour eux, d’ici 2020, la dette sera exactement la même qu’elle était en 2009. L’ensemble des sacrifices de la population aura par conséquent été fait pour rien, sur ce plan.

Chaque année, un transfert de «fonds publics» grecs s’effectue pour le service de la dette, cela à hauteur d’une somme de 16 milliards d’euros. Une dette de cette ampleur ne peut être payée, à moins de détruire la société.

Vous pouvez lire dans la presse des hypothèses sur le fait que la fin de ce processus sera une banqueroute chaotique. Une sortie désordonnée de l’euro sous le pouvoir actuel et futur des capitalistes en Grèce. Je ne sais pas si l’Union européenne jettera la Grèce en dehors de la zone euro parce que la Grèce est liée à l’avenir de l’euro et l’euro est lié à la Grèce. Je suis, par contre, convaincu que si ces politiques se poursuivent, il est tout à fait probable que la fin de ce processus sera un défaut de paiement et un retour désordonné à la drachme.

Le fait est que les capitalistes grecs préfèrent demeurer au sein de la zone euro, et cela quel qu’en soit le coût (pour la population). Le danger reste toutefois qu’après avoir subi toutes ces mesures d’austérité prises au nom du «rester dans la zone euro» –  ou en celui de ce qu’ils appellent une «dévaluation interne à l’euro»  – nous soyons confrontés à d’autres mesures d’austérité, après avoir été jetés hors de la zone euro. De telles mesures signifieraient d’énormes attaques et de nouvelles diminutions de tout ce qui a de la valeur dans ce que possèdent les travailleurs, des salaires du privé et du public en passant par les retraites, la petite épargne, les logements et ainsi de suite.

L’ancien Premier ministre Costas Simitis [entre 1996 et 2004, membre du PASOK] a indiqué ce que signifierait un retour à la drachme. Lorsque la Grèce est entrée dans la zone euro, le taux de change était de 340 drachmes pour 1 euro. Simitis pense que si la Grèce quitte l’euro, le taux de change fixé sera de 550 drachmes pour 1 euro. Et qu’après une semaine, la nouvelle drachme connaîtra sur le marché des changes une dévaluation approximative de 100%.

Nous ne devons pas oublier qu’à l’heure où nous parlons, les riches de Grèce possèdent plus de 600 milliards d’euros placés dans des banques en Suisse, en Grande-Bretagne ou dans des endroits plus exotiques telles que les îles Cayman. Nous pouvons donc imaginer une économie à deux facettes: une pour les travailleurs, obligés d’utiliser une nouvelle drachme dévaluée; une autre pour les riches, utilisant des euros placés dans des banques en Suisse et ailleurs.

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Je vais maintenant laisser la crise et vous parler des résistances.

L’épine dorsale de la résistance a été le mouvement de la classe laborieuse: un ensemble de grèves, puis une grève générale d’un jour, puis ensuite un nouveau bloc de débrayages, suivi par une nouvelle grève générale, des occupations et ainsi de suite.

Souvenons-nous combien de fois nous avons entendu que le mouvement de la classe laborieuse était mort. Nous sommes heureux que cela ne soit jamais arrivé. C’est une chose importante pour la gauche, pour les courants politiques qui tentent de changer la société par la mobilisation et dans les intérêts du mouvement de la classe laborieuse. La première chose à dire est donc que la Grèce nous a donné de nombreux exemples de la puissance de la classe laborieuse, dans ses diverses composantes. Ils sont importants à propos des débats portant sur le fait de savoir si un nouveau mouvement est nécessaire et si d’autres «mouvements» sont susceptibles, en tant que tels, d’acquérir la même centralité.

Le second élément est que cette résistance s’est étendue à l’ensemble de la société grecque. Nous disons que nous protégeons l’espace public en Grèce. Cela signifie que, par exemple, chaque hôpital public est devenu une forteresse pour la résistance. Non seulement en raison de la manière dont les travailleurs au sein de l’hôpital – les médecins, les infirmières – mais aussi les personnes qui sont dans les hôpitaux, leurs amis et leurs parents sont impliqués. Tout le monde travaille ensemble pour protéger et sauver les hôpitaux.

Autour des hôpitaux, il y a les quartiers. Des chaînes de solidarités sont construites en leurs seins et entre eux. La même chose est valable au sujet des écoles publiques, des jardins d’enfants – qui sont d’une importance cruciale pour les familles de la classe laborieuse. Mais pas seulement autour de ces endroits, c’est aussi vrai pour ce qui touche aux parcs et à d’autres installations publiques.

C’est l’espace public que nous protégeons contre les privatisations, contre les spéculateurs et contre l’austérité.

Le troisième élément dont je voudrais parler est que, dans ces circonstances, l’organisation de la population s’accroît et se répand. Je ne parle pas seulement des organisations politiques.

La gauche a créé des comités de base au commencement de la lutte. Ceux qui ont rencontré le plus de succès ont été les comités Je ne payerai pas!. Des comités de personnes qui dirent qu’elles ne paieraient pas les impôts (sur l’immobilier liés à la facture d’électricité), les péages d’une autoroute entre Athènes et Thessalonique. Cela a été une campagne très réussie. D’autres chaînes de solidarités se sont construites autour de ces comités.

Ce n’était toutefois que le début. Après la montée du mouvement d’occupation de ce que j’ai appelé les espaces publics au cours de l’année dernière, nous avons créé ce que nous appelons des «assemblées populaires», lesquelles se réunissent dans les quartiers. C’est une chose très importante. Ne s’y retrouvaient au début que SYRIZA, ANTARSYA et certains anarchistes. Ces assemblées sont désormais réelles. Cela signifie qu’une fois par semaine, dans les quartiers, des gens se réunissent et discutent au sujet de ce qui doit être fait, ou de ce qui est nécessaire pour le quartier ou encore comment affronter les fascistes (les néonazis d’Aube dorée qui attaquent très brutablement des immigrants) entre autres questions.

D’importants développements sont en cours au sein des syndicats. Lors de chaque élection syndicale dans une fédération, les sociaux-démocrate (PASOK) et la droite (Nouvelle Démocratie) perdent des positions alors que la gauche en gagne. Ce n’est cependant pas suffisant. De nombreux comités de coordination composés de militants sont donc mis en place autour des structures syndicales, pour élargir leur audience et les faire sortir de leur fonctionnement traditionnel. Tout cela est très important, mais même cela n’est pas suffisant pour affronter les tâches auxquelles nous devrons nous affronter.

Mon dernier point au sujet des résistances est que la politique est devenue de plus en plus importante pour les gens. La question du pouvoir (sous une forme intermédiaire, de type gouvernemental) est apparue comme la seule méthode à notre disposition pour sauver nos droits sociaux et de travailleurs élémentaires.

Les gens ont commencé à comprendre que même s’ils ont un contrat de travail dans lequel il est établi que «si vous travaillez huit heures vous obtiendrez tel salaire», afin de vraiment les obtenir vous devez renverser le gouvernement de droite. Pourquoi? Parce que les employeurs disent: «Oui, je veux vous les donner, mais le gouvernement dit NON, les deux mémorandums disent NON.» Il est par conséquent nécessaire de renverser le gouvernement ou les mémorandums. Cela ne peut se faire que tous ensemble.

Cette tendance est apparue électoralement. SYRIZA a posé lors des élections la question du pouvoir: la question de qui contrôle le gouvernement. Cela ne signifie pas le contrôle de l’Etat, de l’ensemble de l’économie ou de la société en général. C’est toutefois les premiers pas dans la politisation du peuple.

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J’aimerais ajouter quelques points au sujet du programme de SYRIZA.

La question d’importance est quelles sont les priorités que SYRIZA fait ressortir et les discussions publiques qui s’engagent à leur sujet, lesquelles suscitent l’intérêt des gens pour cette coalition de la gauche radicale. Voici les priorités les plus importantes qui font consensus pratiquement au sein de l’essentiel de SYRIZA.

La première des priorités est que nous devons annuler le Mémorandum. De nombreux autres partis de la gauche ont discuté du programme d’ensemble de SYRIZA. Ils ont de nombreuses idées au sujet de tel ou tel point. La chose la plus importante toutefois pour nous est de rester concentrer sur la nécessité d’annuler le Mémorandum, avec ses deux composantes.

C’est sur cette question que la pression de nos ennemis a été la plus forte. En outre, au sein de SYRIZA certains appelaient à une approche «réaliste». Ce n’étaient pas des traîtres. Ils disaient que SYRIZA devait œuvrer pour disposer de marge de manœuvre plus ample. Ainsi, affirmaient-ils : disons «non» au Mémorandum et non pas que nous l’annulerons ; disons que nous y sommes opposés afin de gagner du temps pour nous rendre à Bruxelles et discuter la chose avec Angela Merkel puis revenir et décider (en cas de majorité électorale et d’un gouvernement de SYRIZA).

Or, jusqu’à la fin, jusqu’au 17 juin, la Coalition SYRIZA est restée rivée à la position de l’annulation du Mémorandum. Trois jours avant les élections, le leader de la coalition, Alexis Tsipras – pas moi – parlait devant un grand rassemblement de SYRIZA. Il a alors déclaré ouvertement: «Si SYRIZA remporte les élections dimanche, lundi le Mémorandum sera mort.» Cette déclaration se trouvait le lendemain dans tous les journaux.

La seconde priorité est que nous voulons mettre un terme à l’austérité. Nous ne disons toutefois pas de mensonges aux gens. Il est facile, dans ces circonstances, de dire que les salaires seront, en un seul jour, meilleurs uniquement parce que nous voulons qu’ils le soient. La position de SYRIZA était que le lendemain de notre entrée en fonction, nous ferons en sorte que le salaire minimum et les retraites minimales retrouveront le niveau qui était le leur auparavant. Que nous essayerons ainsi, peu à peu, d’étendre ces augmentations à l’ensemble des allocations de retraite et à tous les salaires, de sorte qu’ils atteignent ce qu’ils étaient avant et afin de les améliorer.

Vous devez comprendre que pendant deux mois le programme de SYRIZA a été discuté à la télévision, à la radio et dans les journaux de six heures le matin à minuit. La question qui nous a été sans cesse posée était la suivante: «Mais où allez-vous trouver l’argent pour faire tout cela?» La réponse est simple: «Nous trouverons l’argent là où il se trouve» [ce qui implique non seulement politique fiscale mais une récupération des sommes gigantesques ayant échappé au fisc de multiples façons]. La troisième priorité de SYRIZA est donc que nous voulons imposer – fortement imposer – les bénéfices et les riches.

De nombreux points importants sont liés au précédent. La nationalisation des banques, tout d’abord. Cet objectif n’entend pas seulement répondre à l’exigence de trouver de l’argent. Il s’agit également de protéger la société parce que les banques deviennent très grandes et très dangereuses. Tous ces nouveaux produits financiers qu’elles ont créés, tels que les credit default swaps [les CDS, couverture contre les défaillances en français, constituent un «contrat d’assurance» par lequel, contre une prime annuelle, un spéculateur se «protège» contre une faillite ou une perte de valeur d’un emprunteur; les CDS donnent lieu à un marché spéculatif et obscur], impliquent que sur un euro de dette, les banques fabriquent des montants bien plus importants de dette. A la fin de la journée, personne ne comprend ce qui se passe.

Nous affirmons que ce cirque doit cesser par la nationalisation du système bancaire, placé sous un contrôle public, démocratique et des salarié·e·s qui doivent débattre de la fonction pour une société d’un système bancaire (épargne, crédit, centralisation, mutualisation, etc.).

Ce n’est pas par hasard ou parce qu’il s’agit d’une priorité secondaire que le contrôle des travailleurs figure en troisième position de la liste. Nous sommes actuellement confrontés au fait qu’après vingt ans de politiques néolibérales, les syndicats dans les banques ont été détruits. Nous devons donc créer la force qui permettra d’imposer le contrôle des salarié·e·s. Leur contrôle ne peut être décrété par le gouvernement. Nous devons en réalité organiser l’ensemble des salariés pour qu’ils puissent prendre ce contrôle, dans ses diverses dimensions.

L’autre point lié aux priorités de SYRIZA est qu’une nationalisation identique – sous contrôle public, démocratique et des travailleurs – a été promise au sujet de toutes les grandes entreprises publiques qui ont été privatisées ou qui sont sous la menace de l’être, ce qui se confirme dans les projets du nouveau gouvernement.

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Je voudrais maintenant dire quelques mots à propos de deux sujets cruciaux en Grèce.

Le premier concerne la dette de la Grèce. Il y a eu d’importants débats au sein de SYRIZA sur cette question. Des membres de la Gauche ouvrière internationaliste [DEA] – mais pas seulement, avec de nombreux autres, dont des membres de Synaspismos – ont soutenu la position que nous devions affirmer que nous annulerions immédiatement la dette. Au terme de ces débats, nous sommes arrivés à un compromis acceptable.

Le compromis était le suivant: la première étape d’un gouvernement de la gauche devra être le contrôle de la dette. La seconde sera l’annulation des parties de cette dette qui sont illégales (illégitimes) ou le produit de spéculations financières – selon nos estimations, cela constitue la plus grande part de l’ensemble de la dette. Nous exigerons pour le solde un mémorandum assorti de conditions au sujet de son paiement. Et si les créanciers n’acceptent pas ce mémorandum, nous procéderons alors à un arrêt unilatéral de tous les paiements aux créanciers. Cette position était un peu souple, mais il s’agissait d’un compromis permettant de conserver l’unité de notre importante coalition.

Le deuxième sujet concerne l’euro. J’ai parlé tout à l’heure des craintes émises par les gens concernant une banqueroute désordonnée et le retour à la drachme. Notre position était que nous ne soutiendrons aucune sortie de l’euro de notre propre initiative. C’est le premier point. Le deuxième était que nous n’accepterions aucun sacrifice pour l’euro. Le troisième est que nous soutiendrons toute initiative prise par la gauche et le mouvement de la classe laborieuse européenne pour un combat européen visant à mettre un terme à la violente austérité instaurée par les classes dominantes et leurs gouvernements au nom de la «défense de la zone euro» et de sa «compétitivité».

Une fois que vous aurez considéré l’ensemble de ce programme, et à l’instar d’autres organisations de la gauche en Grèce et ailleurs, vous pourrez dire qu’il s’agit là de «réformisme de gauche». C’est toutefois une abstraction. Dans les circonstances qui sont celles de la Grèce aujourd’hui, il s’agit à mon avis d’un programme transitoire.

J’aimerais me concentrer sur cette question. Qu’est-ce qu’un programme transitoire? Il y a souvent une compétition parmi les organisations de la gauche révolutionnaire pour revendiquer quelque chose de plus avancé en direction du socialisme comme faisant partie d’un programme de transition. Cela n’est cependant pas une transition. Si de telles demandes doivent faire partie d’un programme de transition, j’ai alors la solution: «tout le pouvoir aux conseils des travailleurs». Et je suis convaincu que quelqu’un d’autre trouvera une solution encore plus radicale.

Un programme transitoire implique que vous partez de la réalité existante; que vous avez des revendications faisant consensus parmi une partie importante de la population qui est disposée à se battre pour ces revendications. Puis, à travers les expériences de lutte, ces mêmes personnes pourront aller plus loin, vers des revendications plus avancées et, dans le même temps, vers un affrontement plus important avec les véritables ennemis.

Mon dernier point concerne les autres organisations de la gauche.

Une conviction partagée existe selon laquelle le Parti communiste de Grèce [KKE] se situe à la gauche de SYRIZA. Ce n’est pas la vérité. La vérité est que le KKE a d’importantes forces organisées au sein du mouvement des travailleurs du secteur privé. La vérité est aussi que le KKE est quelque chose de semblable au Parti communiste français au début des années 1960: un parti stalinien dur, un parti réformiste dur et un parti très conservateur.

Je vais vous donner deux exemples à l’appui de ma troisième affirmation illustrant à quel point le KKE est conservateur.

Une révolte des jeunes s’est déroulée en Grèce en 2008 après l’assassinat d’un jeune étudiant par la police à Athènes. Chaque nuit, durant un mois, les banques brûlaient à Athènes. Chaque jour, des manifestations pacifiques massives de jeunes étudiants du secondaire et de l’univesité défendaient les «protestations de la nuit». Ces deux dimensions caractérisaient la dynamique et l’ampleur de la mobilisation étudiante. Le KKE a, dès le début, accusé SYRIZA de protéger le Black Block, puis a accusé la police de ne pas intervenir à temps pour arrêter les incendies. Une attitude classique de radicalisme verbal et de «conformisme» institutionnel.

Le second exemple s’est passé lors des dernières élections. Le KKE disait aux gens de ne pas nous croire, qu’il était impossible d’avoir un gouvernement de la gauche, qu’il était impossible d’annuler le Mémorandum, que SYRIZA racontait des mensonges et qu’il ne fallait pas y croire.

Lors des élections du 6 mai 2012, le KKE a réuni sous son nom environ 8% des voix. Le parti a ensuite décidé que son appel pour les élections de juin serait de demander à la classe laborieuse de ne pas voter pour SYRIZA, de changer son vote en lui disant: «vous avez voté pour SYRIZA, vous êtes irresponsable, changez votre vote et soutenez le parti.» «Changez votre vote» était le seul slogan du KKE à devenir réalité: il a perdu la moitié de sa force, gagnant seulement 4% des sièges au Parlement.

C’était pour le KKE une sanction pronncée par la classe laborieuse. De nombreux développements se déroulent au sein du parti. Nous verrons s’ils aboutissent à des changements, car l’appareil du KKE a l’expérience de gérer des crises internes et d’y faure face en resserrant les rangs autour de la thématique : «tout le monde à gauche à droite attaque notre forteresse». De plus, la direction est en train d’exclure des membres.

La dernière chose que j’ai à dire concerne ANTARSYA (coalition anticapitaliste). Les camarades de cette coalition ont fait une erreur sectaire absolument manifeste. A la suite des élections du 6 mai, SYRIZA a fait une proposition très généreuse: celle de figurer avec nous dans un front électoral commun lors des prochaines élections du 17 juin. Nous leur garantissions leur visibilité, leur complète indépendance et trois sièges au Parlement, ce qui correspondait précisément au nombre de sièges qu’ils auraient obtenus le 6 mai s’il n’y avait pas de quorum [fixé à 3%] pour entrer au Parlement. Ils ont refusé.

Sur quatre électeurs qu’ils avaient aux élections du 6 mai, ils en perdirent trois lors de celles du 17 juin (ils ont réuni 0,33% des suffrages). C’était aussi une sanction.

Voici, de manière synthétique, quelle est la situation en Grèce. C’est dans ce contexte que nous essayons de construire une vraie force de la gauche radicale aujourd’hui. (5 juillet 2012, traduction A l’Encontre)

 

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