Allemagne. «Thuringe: ce qu’il faut retenir de la défaite de l’AfD à Nordhausen»

Kai Buchmann, sans parti, s’est imposé au 2e tour, le 24 septembre 2023.

Par David Begrich

La défaite du candidat de l’AfD (Alternative für Deutschland) Jörg Prophet lors du second tour de l’élection pour le poste de maire de Nordhausen [40’000 habitants], en Thuringe, face au bourgmestre (maire) sans parti Kai Buchmann, est un bon signe – à savoir que l’AfD n’est pas invincible. Cela semble anodin, mais ce n’est pas le cas. [Au premier tour, le 10 septembre, les résultats électoraux étaient les suivants:Jörg Prophet, AfD, 42,1%; Andreas Trump, sans parti pour la CDU, 11,2%; le bourgmestre Kai Buchmann, sans parti, 23,7%; Alexandra Rieger, SPD, 18,6%. Le résultat du second tour doit être lu à la lumière de ces données.]

L’ascension de l’AfD s’est toujours nourrie de cet effet psychologique selon lequel rien n’est plus politiquement séduisant que le succès. L’AfD a réussi à faire croire qu’en tant qu’acteur politique, il pouvait garantir le succès, contre vents et marées, d’une politique ouvertement d’extrême droite, et que ce n’était qu’une question de sa détermination politique et de sa force. Nordhausen montre que ce n’est pas le cas.

Le rôle du Mémorial du camp de concentration de Mittelbau-Dora

Les élections municipales en particulier se déroulent dans un écosystème socioculturel complexe qui, contrairement à ce que pense l’AfD, ne peut pas être gagné uniquement avec des ressentiments anti-establishment et des campagnes sur les médias sociaux. Apparemment, l’AfD était très sûre de remporter le poste de bourgmestre de Nordhausen. Cela aurait trop bien cadré avec l’image de l’effet domino bleu [couleur de l’AFD]: une pièce en fait bouger une autre [voir l’article publié sur ce site le 26 juin 2023 à propos de la victoire de l’AfD dans le district de Sonneberg, en Thuringe].

Il est toutefois trop tôt pour parler d’un revers politique pour l’AfD. Il faudrait pour cela qu’il perde encore d’autres importants scrutins au second tour. Dans le cas de Nordhausen, le rôle de la dimension historique de la politique est important.

Comme on le sait, le Mémorial du camp de concentration de Mittelbau-Dora fait partie de la ville. Il a manifestement joué un rôle important dans le débat sur l’évaluation politique du candidat de l’AfD. Le directeur de la fondation, Jens-Christian Wagner, a réussi à communiquer clairement ce qu’un maire AfD à Nordhausen signifierait pour le fonctionnement du Mémorial, la réputation de la ville et le statut international du Land. Cela montre qu’une déclaration claire sur le caractère et les fondements idéologiques de l’AfD dans le contexte de l’histoire porte ses fruits. Désigner clairement l’AfD comme un acteur d’extrême droite permet de le reconnaître précisément là où, comme à Nordhausen, il veut l’éviter.

«Micro-récits» locaux en lieu et place de grands narratifs

Ces dernières années, l’AfD a profité de la normalisation des grands narratifs de droite et d’extrême droite, dans lesquels il se mettait en scène comme avocat de la population. Le travail de l’alliance «Nordhausen zusammen» (Nordhausen ensemble) montre qu’il vaut la peine de ne pas courir après l’agenda fixé par la droite et son apparente prééminance, mais de miser sur des «micro-récits» concrets ancrés dans la réalité régionale et sur la participation des personnes affectées et de leurs opinions. A Nordhausen, ce ne sont pas les partis qui ont déterminé le débat – mais la société civile, dans un processus de prise de conscience. Cela permet de sortir du sentiment d’impuissance politique et d’activer les potentiels démocratiques – même de ceux et celles qui ne se considèrent pas représentés par les partis.

A Nordhausen, une scène polyphonique, également controversée en ce qui concerne la question de l’affrontement avec l’AfD, est devenue perceptible. Elle était beaucoup de choses, mais pas un front uni contre l’AfD. C’est justement la polyphonie controversée sur la question de savoir à quoi doit ressembler une confrontation avec l’AfD et son électorat qui prouve qu’il n’existe pas de «cartel des vieux partis» qui s’oppose à l’AfD, sans orientation programmatique propre. L’importance d’une visibilité de la société civile contrastant avec la prétention de l’AfD à représenter seule le «peuple» est un facteur à discuter dans la perspective des prochaines élections dans les municipalités.

La force de l’AfD: la normalisation des discours de droite

La force de l’AfD réside dans la normalisation des discours de droite jusque dans l’espace pré-politique [hors des réseaux partisans] de la société. Cette normalisation ne se mesure pas seulement à l’aune des sondages, des résultats électoraux ou des études sociologiques. Elle est surtout reconnaissable à la normalisation des récits de droite dans la vie quotidienne et par des personnes jouissant d’un grand prestige social dans l’espace d’une commune. Mais la récente défaite de l’AfD à Nordhausen ne change rien au fait que le parti jouit d’un soutien non négligeable dans la ville [l’AfD a rassemblé quelque 45% des suffrages]. En d’autres termes, une hégémonie régionale de droite ne s’effondre pas à cause d’une seule défaite électorale locale, mais elle peut se fissurer à cause d’elle.

Les succès de l’AfD sont perçus, analysés et considérés en détail de tous côtés. Mais ce sont ses défaites qui sont instructives. Il faut donc tirer les leçons des défaites de l’AfD lors du second tour des élections à Seelow [son candidat Falk Janke a réuni un peu plus de 30%] ou dans le district d’Oder-Spree dans le Brandebourg et maintenant à Nordhausen.

Ici, des questions importantes se posent: quelles sont les erreurs directes et indirectes commises par l’AfD dans sa communication politique locale? Comment parvient-elle à atteindre les personnes qui ne se voient représentées par aucun parti politique? Quels sont les potentiels de la société civile locale qui ne sont pas dans la ligne de mire de la campagne électorale? Quel rôle joue l’ancrage des personnes dans les institutions locales de la société civile? Ce n’est que si l’on parvient à évaluer les défaites de l’AfD avec intelligence et prudence qu’elles pourront se reproduire.

Travailler à la base plutôt que de penser en termes de cycles électoraux

Que personne ne se laisse aveugler par le succès considérable de la société civile à Nordhausen. L’AfD et son écosystème social sont en mesure, du moins en Allemagne de l’Est, de dominer les discours et les perceptions de la politique, bref de s’autoproclamer au centre politique et de le déplacer ainsi vers l’extrême droite. Si l’on veut remporter des succès contre l’AfD dans les municipalités, il faut miser sur un travail de base sur la durée et large, qui ne fonctionne pas en s’adaptant au cycle des élections municipales, mais sur une mise en réseau à l’échelon local, sur l’auto-responsabilisation et la communication. Nordhausen a donné un signal important à cet égard. Pas plus que cela. Mais pas moins non plus. (Article publié dans l’hebdomadaire Der Freitag, le 25 septembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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