Allemagne. «Débureaucratiser l’Etat», version du FDP. De la formule à la réalité

Par Kathrin Gerlof

Le FDP (Parti libéral-démocrate) est le parti qui peut actuellement montrer le plus haut degré de perfection en matière de mise en scène. Christian Lindner l’incarne comme nul autre. L’homme qui s’est assis à un bureau dans une lumière tamisée confortable sur des affiches électorales, du papier empilé à côté de lui, pensif, presque absorbé. «Il n’y a jamais eu autant de choses à faire» (Nie gab es mehr zu tun).

Christian Lindner, né en 1979, comme Annalena Baerbock [vice-présidente des Verts] un enfant du néolibéralisme, a travaillé dur et beaucoup depuis 2013 pour positionner le nouveau FDP comme un parti d’avenir. «Il a, écrivait déjà Wolfgang Michal dans le magazine Blätter en 2017, transformé la scène de la campagne électorale en un défilé de mode.» C’est vrai. Et cela peut être fait, si vous êtes bon, sans beaucoup de contenu. Si les slogans sont justes. Le mouvement au lieu de la stagnation, la modernité au lieu de l’obsolescence, le numérique au lieu de l’analogique, toujours favorable à la croissance et toujours prêt à faire une proposition pour accélérer et faire progresser quelque chose immédiatement.

Mais le terme avec lequel le FDP a le plus joué est celui de bureaucratie. Ça a marché. Parfaitement. Parce que nous détestons la bureaucratie. Elle nous rend la vie difficile, nous empêche de faire ce pour quoi nous sommes réellement bons; elle nous ralentit. Nous réagissons à ce mot comme des enfants à l’appel parental «Brosse-toi les dents!», alors que vous étiez sur le point de casser le prochain œuf surprise.

L’Etat ennuie Lindner de toute façon

La bureaucratie est un gros mot. Christian Lindner n’est pas la première personne à essayer de nous faire entrer cette idée dans le crâne. Mais il a réussi, plus que quiconque, à suggérer que nous pensons à la même chose lorsque nous parlons de bureaucratie. C’est un mensonge. Et pas seulement parce que nos plaintes et nos malheurs sont en fait toujours liés à la bureaucratisation, et non à la bureaucratie en soi. La bureaucratie intègre les bureaux dans une hiérarchie fixe, leur attribue des tâches et des droits, suit des règles fixes, sépare les activités officielles des activités privées, documente ses actions de manière compréhensible, est protégée de la corruption par la rémunération des bureaucrates. Elle est basée sur la division du travail. Le bureaucratisme est kafkaïen et ses effets sont impersonnels, voire inhumains. Une caricature qui a toujours été inhérente à la bureaucratie.

Certes, le FDP retourne le couteau dans la plaie, certes, la pratique lui donne de nombreuses occasions pour cela. Des formulaires que vous trouvez sur Internet, mais que vous devez ensuite imprimer et envoyer au bureau par la poste. Des applications que personne ne comprend. Des boucles d’attente [pour faire patienter la personne qui appelle] et des «circuits fermés» où l’on aboutit toujours dans la même antichambre pour obtenir une décision négative. Dans sa lutte contre la bureaucratie, le FDP nous fait croire que c’est ce qu’il veut dire.

Mais ce n’est pas ce dont parle Lindner. Il ne s’agit pas pour lui de lutter contre la bureaucratie, ni contre l’action administrative bureaucratique. Celle-ci, du fait de diverses législations – Hartz IV [mis en place en 2005 sous la Chancellerie de Gerhard Schröder]; loi sur les prestations aux demandeurs d’asile; loi sur l’asile – est pratiquement obligée de violer la dignité humaine. Par exemple, des sanctions infligées aux bénéficiaires de l’ALG II [allocation aux chômeurs en fin de droits conditionnée par le contrat d’insertion, dispositif qui inclut les emplois à 1 euro dans le travail dit d’utilité publique], des lois visant à repousser les demandeurs d’asile. Dans les salles d’attente des services pour les demandeurs d’asile et dans les couloirs des agences pour l’emploi, la peur de la bureaucratie est palpable.

Mais les personnes qui y sont assises ne sont d’aucun intérêt pour le parti représentant les intérêts essentiellement économiques de ses partisans: le FDP. Ce dernier s’occupe d’autres questions. L’économie qui fait tout fonctionner, l’esprit d’entreprise libéré des entraves bureaucratiques, une économie de marché sans interférence de l’Etat. Le FDP veut un Etat maigre, et ça sonne bien. Lean c’est bien, l’Etat est ennuyeux de toute façon. Un Etat – comme le disait Christian Lindner avec un ton poétique digne d’un CD de campagne électorale – «qui nous laisse en paix dans la vie quotidienne, mais qui ne nous abandonne pas quand nous avons besoin de lui».

C’est exactement ce que veulent les entreprises. Etre laissées en paix. Mais avec des renflouements lorsqu’elles font face à un désastre. Mais de préférence un renflouement sans contrôle de leurs chaînes d’approvisionnement et de leurs normes de production sociales et écologiques. Elles veulent faire volontairement quelque chose pour le climat si cela correspond à leur profil d’entreprise et n’interfère pas avec leurs anticipations en matière de bénéfices. Elles veulent que l’Etat leur fournisse une infrastructure numérique parfaitement fonctionnelle sans leur demander ce qu’elles en font. Elles veulent payer peu d’impôts et ne pas être constamment harcelées par l’augmentation du salaire minimum. Le parti qui représente le mieux ces intérêts est le FDP.

«La réduction de la bureaucratie est une mesure de relance économique alternative rentable qui peut soulager efficacement l’économie allemande… Les entreprises, en particulier, souffrent d’une bureaucratie étatique excessive et gaspillent ainsi des ressources précieuses», peut-on lire dans une motion déposée par le groupe parlementaire FDP au Bundestag en juin 2021. Elle s’intitule «Bürokratie-Entfesselungspaket» (Paquet de déverrouillage de la bureaucratie), ce qui constitue un lapsus vraiment amusant. Du style: il faisait sombre, la lune brillait de mille feux.

Le document exploratoire des trois partis formant la coalition des feux tricolores (SPD-Grünen-FDP), qui a été présenté depuis lors, parle aussi habilement de l’«Etat apprenant» et «numérique», qui agit avec prévoyance pour ses citoyens. C’est général et ça sonne bien. La mesure plus concrète est l’annonce de la réduction de moitié de la durée des procédures administratives, de planification et d’approbation. Ce qui n’est pas très utile pour ceux qui sont principalement exposés à la bureaucratie de la législation sociale actuelle.

Le FDP et les Verts s’accordent pour incarner le «moderne». Cette partie du présent qui a un avenir. Ce faisant, ils travaillent avec les mêmes termes. Reste à savoir s’ils entendent la même chose par dé-bureaucratisation. Le risque qu’une offensive de débureaucratisation en Allemagne s’accompagne de quelque chose de similaire au niveau de l’UE – à savoir la dé-démocratisation – n’est pas mince. Du moins si le FDP est en charge.

Apprendre de l’UE et avoir tout faux

Au niveau de l’UE, l’économie a le dessus dans le processus de négociation des lois et des règlements. En effet, l’UE s’appuie sur la consultation la plus précoce possible de l’industrie et sur des «études d’impact» qui ne suivent pas un agenda politique, mais se concentrent sur la question d’une éventuelle charge pour l’économie. Ce ne sont pas les citoyens, ni les institutions démocratiques, mais l’industrie qui est consultée en premier lieu lorsqu’il s’agit de normes environnementales ou de transformation socio-écologique, par exemple. Et l’industrie est prompte à justifier par des études combien telle ou telle réglementation est ruineuse pour elle. Ce faisant est passé au second plan le fait que la bureaucratie européenne devrait avant tout permettre l’élaboration de politiques et garantir les droits des citoyens. L’impératif de l’évaluation économique va souvent à l’encontre des intérêts d’un environnement écologiquement intact. Peu importe combien de fois le FDP prétend que ce n’est pas du tout une contradiction.

Avec sa campagne pour un Etat «débureaucratisé», le FDP a trouvé un terrain presque vierge. Car il faut aussi le dire: l’Etat actuel a, à bien des égards, de quoi faire pleurer. Les membres de Die Linke trouvent la question plutôt négligeable. Ils n’ont aucun plan et pratiquement aucune idée sur l’aspect et le financement des services publics sous la supervision de l’Etat et sur la manière dont peut être mise en place une bureaucratie nécessaire et fonctionnelle.

Ceux qui laissent le terrain aux autres n’ont pas à se plaindre des fanfarons à la Lindner. Et ne pas se plaindre lorsqu’il présente des documents dont le titre est «Un Etat simple – réduction de la bureaucratie en 10 points». Des programmes en 10, 8 ou 7 points pour résoudre des problèmes complexes et contradictoires qui traversent tous les domaines de la société – voilà une chose que Die Linke maîtrise également. (Article publié sur le site de Der Freitag, le 9 novembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*