Cet article fait partie de la rubrique intitulée «Dictionnaire du prêt-à-penser» de la revue Politique (Belgique). Le premier objectif de cette revue est: «d’être un lieu de réflexion critique et de confrontation collective pour tous ceux qui ne s’accommodent pas du désordre établi par la règle absolue du profit.» «L’augmentation du taux d’emploi» suite au vote du 9 février 2014, en Suisse, est un thème sans cesse repris par les milieux patronaux et les partis institiutionnels. (Rédaction A l’Encontre)
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L’augmentation du taux d’emploi est l’objectif principal des politiques de l’emploi. Lors du sommet de Lisbonne en 2000, l’ambition de faire de l’Europe «l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde» était conditionnée à l’exigence selon laquelle la proportion des personnes de 15 à 64 ans occupant un emploi devait s’élever à 70%.
La Belgique dont le taux d’emploi est en 2013 de 61,8% est en conséquence sommée de l’augmenter. L’emploi n’est-il pas un objectif prioritaire? Compte tenu du vieillissement de la population, l’augmentation du taux d’emploi est présentée comme seul impératif pour préserver le système des retraites. Dès lors, l’augmentation de la durée d’activité des groupes âgés pour améliorer le taux d’emploi sera érigée en priorité des priorités.
L’augmentation du taux d’emploi traduit-elle pour autant une amélioration de l’emploi? Les 6 pays de l’UE dont le taux d’emploi est le plus haut, à savoir dans l’ordre la Suède, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche et le Royaume-Uni, sont aussi ceux qui ont le pourcentage de travail à temps partiel le plus élevé. Par exemple, les Pays-Bas, cités en modèle en raison de leur taux d’emploi élevé (74,3%), ont un taux d’emploi en équivalent temps plein de 55,2%, inférieur à celui de la Belgique (55,4%) pointée pourtant parmi les mauvais élèves de l’Europe [1]. Le taux d’emploi mesure donc plus le poids du travail à temps partiel plutôt que l’emploi.
L’augmentation de l’âge de la pension, dénoncé comme scandaleusement bas en Belgique, est présentée comme le remède miracle pour augmenter le taux d’emploi des groupes âgés et sauver ainsi le système des retraites. Jusqu’ici, les mesures restrictives concernant les pré-retraites et les retraites anticipées ne se sont pourtant pas répercutées sur le taux d’emploi mais ont entraîné une augmentation des chômeurs âgés et des personnes invalides en incapacité de travail. L’augmentation des taux d’emploi des groupes âgés a résulté principalement de l’augmentation du travail des femmes, entrées dans les décennies précédentes dans la population recensée comme active et qui, à présent, bien que plus âgées, occupent un emploi [2].
Le taux d’emploi ne mesure donc pas l’emploi mais le travail à temps partiel. L’objectif d’augmenter le taux d’emploi n’a donc rien à voir avec la diminution du chômage, mais se confond avec la dérégulation du marché du travail.
La statistique devient ainsi le véhicule privilégié du prêt-à-penser. Il s’agit d’abord de réduire la réalité aux dimensions d’un indicateur. De choisir ensuite l’indicateur adéquat. D’interpréter enfin toute correspondance statistique en terme de causalité. L’absurde, à savoir « pour augmenter le taux d’emploi des jeunes il faut augmenter celui des vieux », se trouve alors érigé en évidence. Ainsi fera-t-on oublier que c’est lorsque le taux d’emploi est élevé que celui des jeunes comme celui des vieux le sera également et surtout, que pour travailler tous, il faut travailler moins.
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[1] Données Eurostat pour 2013. Signalons que la Suède qui présente un taux d’emploi (74,4%) et un pourcentage de travail à temps partiel élevés (24,7%) connaît également un taux d’emploi élevé en équivalent temps plein (67%).
[2] Philippe Defeyt, Retarder (encore) l’âge de départ à la retraite? ou racontez, racontez de (belles) histoires, il en restera toujours quelque chose, Institut pour un développement durable, août 2014.
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