Syrie. Témoignage d’Eman et de Kendan (II)

Des femmes syriennes dans un camp en Jordanie, novembre 2013
Des femmes syriennes dans un camp en Jordanie, novembre 2013

En date du 5 décembre 2015, nous mettions en ligne les premiers témoignages des femmes syriennes «brutalisées» sous des formes qui ne peuvent que susciter une profonde répulsion et, à la fois, une sorte de silence attentionné. Ce qui se ressentait dans la salle. Les deux témoignages reproduits ici ont été communiqués par médias électroniques, puisque les visas de ces femmes témoins leur avaient été refusés par les autorités suisses. Or, la réunion spéciale de l’ONU, le 25 novembre à Genève, portait sur «l’élimination de la violence à l’égard des femmes». Depuis cette date du 25 novembre, la presse informe (voir Le Temps, 6 décembre 2014) sur les délicats travaux d’approche que la diplomatie suisse opère en direction de Bachar el-Assad. Ce cheminement s’accompagne nécessairement de démentis. Encore à la tête de l’OSCE, le gouvernement suisse — en l’occurrence représenté par Didier Burkhalter — se doit de contester ces «hypothèses». Et, certainement, les autorités suisses vont revenir à Damas par la «fenêtre humanitaire», selon une tradition éprouvée. Au plus vite, une fois les «arrangements conclus», quelques résultats de ce type vont être présentés: «nous avons fait libérer des prisonniers, grâce à des discussions approfondies avec les autorités. Notre voie pragmatique paie». Celles et ceux exécutés et torturés dans les geôles de Damas, depuis des années, apprécieront. La conférence-témoignage du 25 novembre 2014 a été organisée par les FemmeS pour la démocratie /FSD), soutenue, entre autres, par le site A l’Encontre et le Cercle la Brèche. (Rédaction A l’Encontre)

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Temoignage d’Eman

Eman, ancienne détenue, de Homs, 30 ans. «Je me suis impliquée dans la révolution syrienne depuis son début [mars 2011], dans l’action civile et dans les manifestations pacifiques qui ont eu lieu dans le quartier d’al-Khaldia à Homs.?J’ai travaillé dans le domaine des soins médicaux et j’ai participé aux efforts d’aide à la population. J’ai participé à la distribution d’habits, de nourriture et d’argent aux déplacés, aux familles pauvres et aux familles de détenu·e·s et de martyrs.

J’ai été arrêtée une première fois le 24 juin 2012 pour une période de trois mois par les Chabbiha (miliciens mafieux, connus actuellement comme «armée de défense nationale»), qui sont en fait des groupes de mercenaires dont le rôle est de réprimer les manifestations civiles pacifiques.?On nous a emmenées vers des destinations et des maisons dédiées spécifiquement à l’emprisonnement des femmes. On ne nous a pas emprisonnées dans les prisons du régime ou dans les centres de détention des services secrets.

Violences atroces dans les centres de détention pour les femmes enlevées par les Chabbiha.
Violences atroces dans les centres de détention pour les femmes enlevées par les Chabbiha.

Les buts de notre détention étaient, comme les gardiens nous l’ont dit, de nous échanger contre une rançon, de nous échanger contre d’autres kidnappé·e·s, ou de nous violer. Pendant notre détention, nous avons été torturées physiquement et psychologiquement d’une manière inimaginable, que je n’avais jamais pensé pouvoir exister. Les gardiens utilisaient l’électricité, le harcèlement sexuel, ils nous brûlaient le corps avec des cigarettes et de l’eau bouillante. On nous frappait aussi avec des câbles électriques et des tuyaux. Ils ont coupé nos cheveux, ils nous ont violées collectivement et de manière répétée. Ils ont aussi tenté plusieurs fois de nous noyer dans l’eau. Par deux fois j’ai eu de forts saignements vaginaux. J’étais très effrayée par les voix et les cris des autres détenues qui étaient continuellement et violemment torturées.

Ils ont tué notre humanité, nous avons perdu la volonté de vivre, nous appelions la mort chaque jour. J’ai vu des femmes brutalement déshabillées et violées. Les gardiens les violaient devant nous et les battaient violemment, pour certaines jusqu’à la mort. On laissait alors leur corps dans la même cellule pendant un jour, avec pour conséquence que beaucoup d’entre nous ont tenté de se suicider.

Les gardiens étaient de vrais monstres assoiffés de sang, de revanche et de volonté de tuer. Ils nous donnaient juste assez de nourriture pour ne pas mourir dans la journée.?Des maladies sont apparues parmi les détenues à cause des infections et des blessures laissées sans soins, les poux et la saleté s’ajoutant à l’eau et aux aliments contaminés que nous consommions ont dégradé notre santé et provoqué de nombreuses entérites.?Lorsqu’on m’a relâchée on m’a mise dans un conteneur d’ordures.?J’ai été arrêtée pour la seconde fois le 3 février 2013 par des brigades armées sectaires non-syriennes, et détenue pendant 10 jours, au cours desquels on m’a volé toutes mes affaires, et l’on m’a battue et fouettée avec des câbles métalliques.»

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Témoignage de Kenda

Kenda, ancienne détenue, de Damas, 28 ans. Kenda est une activiste de la société civile et du mouvement de la paix. Elle a été arrêtée durant 2 mois suite à l’événement « les mariées de la liberté». Elle a été libérée dans le cadre de l’échange avec des détenus iraniens intervenus le 9 janvier 2013 [48 des prétendus pèlerins iraniens, caractérisés par l’opposition comme des Gardiens de la révolution, ont été échangés contre 2’135 personnes prisonnières dans les geôles d’Assad]

«C’est parce que nous chantions la paix que nous avons été conduites dans les cellules de l’obscurité. Notre crime : nous avons mis des robes blanches de jeunes mariées et nous avons eu l’audace de porter, dans le souk de Damas, des banderoles demandant l’arrêt des violences, de la tuerie, et des interventions militaires. Notre mariage s’est terminé dans un centre de détention, dans une pièce simple de 2×3 mètres où l’on a regroupé 24 femmes de différentes régions de Syrie. Chacune de ces femmes a une histoire qui témoigne de sa patience et résume l’inhumanité de ce régime répressif et rancunier .

Les «mariés de la liberté», Damas, novembre 2012
Les «mariés de la liberté», Damas, novembre 2012

Je vous raconte mon expérience dans le centre de détention. Dans ce lieu, la dignité, l’humanité et toutes les valeurs morales de l’être humain sont violées .

Je n’oublierai jamais les cris de Nawal de Homs, torturée pour qu’elle avoue un crime qu’elle n’a pas perpétré de ses mains. Je n’oublierai jamais les cris de Oum Ali et de Oum Ismail et de beaucoup d’autres femmes torturées.

J’ai passé dans ce centre de détention les jours les plus difficiles que j’ai pu vivre.

Dans ce lieu, ta patience et ta force sont mises à l’épreuve. J’aurai beaucoup à dire sur le comportement des geôliers et des interrogateurs, mais je vais vous le résumer: le traitement était très mauvais et sans aucune limite. L’unique mode de communication était la violence et la torture. J’ai vu de mes propres yeux beaucoup de femmes se faire torturer de différentes manières, telles que le câble électrique, le tuyau, la roue et bien d’autres méthodes, puisqu’ils en imaginaient continuellement de nouvelles; sans parler de leur langage fait d’insultes et de blasphèmes, utilisant les phrases les plus grossières.

Dans le centre de détention, tu oublies les fondements de ton humanité. Ce dont nous avons le plus souffert c’est d’entendre les voix des autres torturés, de voir le sang et des lambeaux de peau sur les murs, de sentir l’odeur du sang, de voir les restes des bâtons cassés (nommés par les geôliers “Al-Akhader BRAHIMI” parce que c’est un bâton en plastique de couleur verte et Akhdar signifie vert en arabe).

Souvent nous nous effondrions en pleurs, en entendant les cris de douleur derrière la porte de notre cellule. La pire des tortures c’est d’entendre les voix des autres torturés.

Nous avons passés des jours que je n’oublierai jamais. Nous avons souffert des poux sur la tête et sur le corps, qui se nichaient dans les habits, et nous avons souffert de différentes maladies telles que la grippe, la bronchite, l’empoisonnement, les infections urinaires , etc..

Nous étions affamées, nous attendions la nourriture avec impatience, jusqu’à recevoir un morceau de patate dur comme un caillou.

Nous avions besoin de serviettes hygiéniques pendant les menstruations, et les gardes ne nous les donnaient pas. Nous souffrions encore plus quand nous avions besoin de médicaments à cause des maladies contractées et ils nous privaient de médicaments comme punition supplémentaire.

Deux mois plus tard, nous avons appris que nous allions sortir à cause d’une amnistie ordonnée par Bachar al-Assad. Une fois sorties, nous avons été étonnées d’apprendre que nous avions été libérées suite à un échange [cf. Note ci-dessus]

Je crois que ce régime a montré au monde entier tous ses crimes et ses oppressions.

Nous les femmes Syriennes, nous méritons la paix et la liberté, et nous aspirons à ce que notre parole libre atteigne tout humain qui apprécie cette parole et sa signification.

Rendez justice à la femme syrienne qui subit les violences de ce régime, cette femme est le symbole de la patience et de la paix.» (25 novembre 2014)

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