Le monde s’approche d’une  «nouvelle frontière climatique». Or, dès 1988, James Hansen avertissait le Congrès des Etats-Unis

Par Oliver Milman

Selon James Hansen – le scientifique des Etats-Unis qui a alerté le monde sur l’effet de serre dans les années 1980 – le monde est en train de basculer vers un climat surchauffé jamais vu l’existence de l’homme, parce que «nous sommes de sacrés imbéciles» pour ne pas avoir réagi aux avertissements concernant la crise climatique.

James Hansen, dont le témoignage devant le Sénat américain en 1988 est considéré comme la première déclaration importante ayant trait au réchauffement de la planète, a averti dans un communiqué («The Climate Dice are Loaded. Now, a New Frontier?», 13 juillet), avec deux autres scientifiques, Makiko Sato et Reto Ruedy, que le monde se dirigeait vers une «nouvelle frontière climatique», avec des températures plus élevées que jamais au cours du dernier million d’années, entraînant des conséquences telles que des tempêtes plus violentes, des vagues de chaleur et des sécheresses.

La planète s’est déjà réchauffée d’environ 1,2 °C depuis l’industrialisation massive, ce qui fait que le risque de connaître le type de températures estivales extrêmes que l’on observe actuellement dans de nombreuses régions de l’hémisphère Nord s’élève à 20%, alors qu’il était de 1% il y a 50 ans, a déclaré James Hansen.

«Beaucoup plus s’annonce, à moins que nous ne réduisions les quantités de gaz à effet de serre», a déclaré James Hansen, âgé de 82 ans, au Guardian. «Ces super-tempêtes sont un avant-goût des tempêtes que connaîtront mes petits-enfants. Nous nous dirigeons sciemment vers cette nouvelle réalité – nous savions qu’elle allait arriver.»

James Hansen était un climatologue de la NASA lorsqu’il a mis en garde les élus contre l’augmentation du réchauffement de la planète. Depuis, il a participé à des manifestations aux côtés d’activistes pour dénoncer l’absence de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre au cours des décennies qui ont suivi.

Il a déclaré que les vagues de chaleur record qui ont frappé les Etats-Unis, l’Europe, la Chine et d’autres pays ces dernières semaines ont renforcé «le sentiment de déconvenue que nous, scientifiques, n’ayons pas communiqué plus clairement et que nous n’ayons pas élu des dirigeants capables d’offrir une réponse plus intelligente».

«Cela signifie que nous sommes de sacrés imbéciles», a déclaré James Hansen à propos de la lenteur de la réponse de l’humanité à la crise climatique. «Nous devons faire l’expérience pour y croire.»

Cette année devrait être la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial, l’été étant déjà marqué par le mois de juin le plus chaud et, peut-être, la semaine la plus chaude jamais mesurée de manière fiable. Néanmoins, l’année 2023 pourrait être considérée comme une année ordinaire, voire douce, au moment où les températures continuent de grimper. «Les choses vont empirer avant de s’améliorer», a déclaré James Hansen.

«Cela ne signifie pas que la chaleur extrême observée cette année à un endroit donné se reproduira et s’amplifiera chaque année. Les fluctuations météorologiques font bouger les choses. Mais la température moyenne mondiale va augmenter et les défis climatiques seront de plus en plus prononcés, avec notamment davantage d’événements extrêmes.»

Dans un nouveau document de recherche, qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen par les pairs, James Hansen a affirmé que le rythme du réchauffement planétaire s’accélère, même si l’on tient compte des variations naturelles, telles que l’actuel phénomène climatique El Niño qui fait périodiquement grimper les températures. Cette accélération est due à un déséquilibre «sans précédent» entre la quantité d’énergie solaire entrant dans la planète et l’énergie réfléchie par la Terre.

S’il ne fait aucun doute que les températures mondiales augmentent en raison de l’utilisation de combustibles fossiles, les scientifiques sont divisés sur la question de savoir si ce rythme s’accélère. «Nous ne voyons aucune preuve de ce que Jim affirme», a déclaré Michael Mann, climatologue à l’Université de Pennsylvanie, qui a ajouté que le réchauffement du système climatique avait été «remarquablement stable». D’autres ont déclaré que l’idée était plausible, bien qu’il faille davantage de données pour en être certain.

«Il est peut-être prématuré de dire que le réchauffement s’accélère, mais il est certain qu’il ne diminue pas. Nous avons encore le pied sur l’accélérateur», a déclaré Matthew Huber, expert en paléoclimatologie à l’Université de Purdue.

Les scientifiques ont estimé, grâce à des reconstitutions basées sur des preuves recueillies dans des carottes de glace, des cernes d’arbres et des dépôts de sédiments, que la poussée actuelle du réchauffement a déjà porté les températures mondiales à des niveaux jamais atteints sur Terre depuis environ 125 000 ans, avant la dernière période glaciaire.

«Il est fort possible que nous vivions déjà dans un climat qu’aucun être humain n’a connu auparavant et nous vivons certainement dans un climat qu’aucun être humain n’a connu avant la naissance de l’agriculture», a déclaré Bob Kopp, climatologue à l’Université Rutgers.

Si les températures mondiales augmentent encore de 1°C ou plus, ce qui devrait se produire d’ici la fin du siècle à moins d’une réduction drastique des émissions, Matthew Huber a déclaré que James Hansen avait «largement raison» de dire que le monde serait plongé dans une chaleur telle qu’il n’en a pas connu depuis 1 à 3 millions d’années, une période appelée Pliocène.

«Il s’agit d’un monde radicalement différent», a déclaré Matthew Huber à propos d’une époque où il faisait suffisamment chaud pour que des hêtres poussent près du pôle sud et où le niveau de la mer était environ 20 mètres plus élevé qu’aujourd’hui, ce qui noierait aujourd’hui la plupart des villes côtières.

«Nous poussons les températures jusqu’aux niveaux du Pliocène, ce qui est en dehors du domaine de l’expérience humaine; il s’agit d’un changement tellement massif que la plupart des organismes sur Terre n’ont pas eu à y faire face», a déclaré Matthew Huber. «Il s’agit en fait d’une expérience sur les humains et les écosystèmes pour voir comment ils réagissent. Or, rien n’est prévu pour cette situation.»

Les précédents changements climatiques, provoqués par les gaz à effet de serre ou les modifications de l’orbite terrestre, se sont déroulés sur des milliers d’années. Mais alors que les vagues de chaleur frappent des populations non habituées à des températures extrêmes, que les forêts brûlent et que la vie marine s’efforce de faire face à la montée en flèche de la chaleur des océans, la hausse actuelle se produit à un rythme jamais vu depuis l’extinction des dinosaures, il y a 65 millions d’années.

«Ce n’est pas seulement l’ampleur du changement, c’est aussi son rythme qui pose problème», a déclaré Ellen Thomas, une scientifique de l’Université de Yale qui étudie le climat à l’échelle des temps géologiques. «Nous avons des autoroutes et des voies ferrées qui sont en place, notre infrastructure ne peut pas bouger. Presque tous mes collègues ont dit qu’avec le recul, nous avons sous-estimé les conséquences. Les choses évoluent plus vite que nous ne le pensions, ce qui n’est pas très positif.»

Selon Matthew Huber, la chaleur torride de cet été a envoyé avec clarté au monde entier un message que James Hansen a tenté de transmettre il y a 35 ans et que les scientifiques se sont efforcés depuis de transmettre. «Cela fait des décennies que les scientifiques ont dû faire face à cette réalité, mais aujourd’hui le monde entier passe par le même processus, qui ressemble aux cinq étapes du deuil», a-t-il déclaré. «Il est éprouvant de voir les gens traverser cette épreuve… Mais nous ne pouvons pas nous contenter d’abandonner parce que la situation est désastreuse. Nous devons dire “Voici où nous devons investir, apporter des changements et innover” et ne pas baisser les bras. Nous ne pouvons pas faire une croix sur des milliards de personnes.» (Article publié dans The Guardian, le 19 juillet 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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