Etats-Unis: les grandes oreilles d’Obama tirées par Glenn Greenwald et Edward Snowden

Obama essae d'expliquer, il y a deux jours, les raisons  d'une surveillance des communications plus «approfondie»  que sous G. W.Bush, junior
Obama essaie d’expliquer, il y a deux jours, les raisons
d’une surveillance des communications plus «approfondie»
que sous G. W. Bush, junior

Par François Krug

Est-ce le nouveau Julian Assange? Cet avocat-journaliste multiplie les révélations sur l’espionnage d’Internet et des télécoms par les Etats-Unis.

Glenn Greenwald, 46 ans, est Américain, mais c’est le journal britannique The Guardian qui héberge sur son site ses articles sur la «sécurité et la liberté». Mercredi 5 juin 2013, premier «scoop»: la National Security Authority (NSA), le service chargé de surveiller les télécommunications aux Etats-Unis, bénéficie d’accès illimité aux données de Verizon, un des principaux opérateurs américains.

Internet mis sous surveillance

Le blogueur publie même la décision de justice confidentielle qui contraint Verizon à fournir ces «fadettes» [relevé des communications téléphoniques, mail, etc.] et à la NSA :«Ce document démontre pour la première fois que, sous l’administration Obama, les données de communication de millions de citoyens sont collectées sans distinction et en masse, qu’ils soient ou non suspects.»

Jeudi 6 juin 2013, nouveau «scoop», encore plus retentissant. Car cette fois-ci, ce ne sont plus seulement les citoyens et citoyennes américains qui sont concernés et ce sont les plus grands acteurs d’Internet qui sont, avec la NSA (National Security Agency), mis en accusation.

Google, Facebook, Microsoft, Apple, Yahoo, AOL, YouTube, Skype et PalTalk: les neuf sociétés permettraient à la NSA d’accéder directement aux données privées de leurs utilisateurs. Le programme, lancé en 2007, serait baptisé «Prism». Glenn Greenwald en révèle l’existence dans un article co-signé avec un journaliste du Guardian en même temps que Washington Post.

Document présentant le programme est «Prism»
Document présentant le programme «Prism»

Glenn Greenwald s’appuie sur un PowerPoint de 41 pages, un document confidentiel destiné à présenter Prism aux agents des services de renseignement américains.

Le scandale est mondial. Même si les sociétés concernées démentent. Comme le prévoit la loi – le «Federal Intelligence Surveillance Act» –, elles se contenteraient de répondre, au cas par cas et après avoir vérifié leur légalité, aux demandes d’informations. Le programme «Prism» servirait uniquement à simplifier la transmission de ces informations à la NSA, pas à lui offrir un accès illimité aux données.

Edward Snowden, le plus influent des «lanceurs d'alerte» concernant les informations classées selon The  Christian Science Monitor du 9 juin 2013
Edward Snowden, le plus influent des «lanceurs d’alerte» concernant les informations classées, selon The Christian Science Monitor du 9 juin 2013

Dimanche 9 juin 2013, Glenn Greenwald a finalement révélé sa source: le lanceur d’alerte est un Américain de 29 ans, Edward Snowden, qui travaillait pour un contracteur privé de la NSA à Hawaï, et qui a décidé de dénoncer ces pratiques à ses yeux inadmissibles. Greenwald a diffusé sur le site du Guardian un entretien vidéo du lanceur d’alerte, enregistrée à Hong Kong, qui sait qu’il ne pourra plus jamais vivre aux Etats-Unis.

Obama se défend tant bien que mal

Barack Obama a eu du mal à cacher son embarras lorsqu’il a dû se justifier devant la presse vendredi 7 juin 2013. Il a tenté de minimiser les révélations de Glenn Greenwald – en soulignant que le programme impliquant Verizon ne porterait que sur des données techniques, et que «Prism» ne concernerait pas les citoyens américains:

«Les programmes évoqués ces deux derniers jours dans la presse sont secrets au sens où ils sont classés “confidentiel défense”, mais ils ne sont pas secrets au sens où, en ce qui concerne les appels téléphoniques, chaque membre du Congrès en a été informé […].
Concernant les appels téléphoniques, personne n’écoute vos appels. Ce n’est pas ce en quoi consiste ce programme […].
Je pense qu’il est important de reconnaître que vous ne pouvez pas avoir 100% de sécurité mais aussi 100% de respect de la vie privée et zéro inconvénient. Vous savez, nous allons devoir faire des choix de société.»

Le même jour, Glenn Greenwald publie un nouveau scoop – et un nouveau document confidentiel. En octobre dernier, Barack Obama a demandé aux services de renseignement de dresser une liste de cibles potentielles pour des cyber-attaques. L’information avait déjà fuité, mais le blogueur apporte une preuve et de nouveaux détails en mettant en ligne la directive présidentielle [1] rédigée par la Maison Blanche.

Identifier la source

Samedi, enfin, quatrième révélation de la semaine: Glenn Greenwald et un journaliste du Guardian dévoilent l’existence du logiciel Boundless Informant utilisé par la NSA pour exploiter en temps réel les renseignements collectés. Un outil de travail lui aussi secret.

Des captures d’écran publiées par le Guardian témoignent des possibilités du système. En mars dernier, la NSA aurait eu en stock 97 milliards de données. Le logiciel permettrait notamment de les localiser – une carte présentant le niveau de surveillance de chaque pays, du vert (la France, par exemple) au rouge (I’Iran, notamment).

Samedi, la NSA a demandé au gouvernement américain d’ouvrir une enquête pour identifier la source ayant révélé au blogueur l’existence du programme «Prism». C’est «un de mes lecteurs», qui « connaît mes opinions et savait comment je présenterais ces informations», explique simplement Glenn Greenwald dans un portrait publié dans le New York Times.

Ce blogueur qui inquiète la Maison Blanche n’est ni un militant politique, ni un geek [en argot américain, il s’agit d’une personne très pointue]. Avocat, Glenn Greenwald a défendu de grandes entreprises privées. Après le 11 septembre, il pensait «que Bush faisait du bon travail». Et c’est un ami qui lui a expliqué comment protéger son ordinateur personnel: lui-même n’y connaissait rien.

«Un président devenu fou»

En 2005, Glenn Greenwald lance son blog, Unclaimed Territory, pour dénoncer les atteintes aux libertés garanties par la Constitution américaine. Son premier billet est consacré au droit à l’avortement. Le deuxième est consacré aux dérives de l’administration Bush [doubleyou] au nom de la lutte contre le terrorisme.

gop-congressman-on-glenn-greenwald-he-doesnt-have-a-clue-how-this-thing-worksEt c’est dans ce domaine que le blogueur va se faire un nom. En 2006, il sort ainsi un premier livre sur le sujet, au titre et au sous-titre provocateurs: Comment doit réagir un patriote. Défendre les valeurs américaines contre un président devenu fou. (How Would a Patriot Act? Working Assets Publishing, May 15, 2006)

Glenn Greenwald apprécie les formules-choc. Et son blog, transféré sur le site d’actualité Salon, n’épargnera pas plus les démocrates, accusés de n’avoir pas renié les méthodes de leurs prédécesseurs. Comme dans ce billet de février 2012: «Comment ces personnes peuvent se regarder dans le miroir, contempler cette malhonnêteté intellectuelle sans limites, et ne pas avoir envie de briser ce qu’ils voient, c’est vraiment un mystère pour moi.»

Glenn Greenwald est débauché en août 2012 par le site du Guardian. Et sur son nouveau blog, il continue à défendre farouchement la liberté d’information et d’opinion. En avril, après la mort de Magaret Thachter, il dénonçait ainsi les appels à la modération: «Il n’y a absolument rien de mal à détester Margaret Thatcher ou n’importe quelle autre personnalité ayant eu de l’influence politique et du pouvoir […]. Il est même encore plus nécessaire de rappeler leurs mauvaises actions après leur mort, comme un antidote contre une société réécrivant son histoire de manière mensongère et chauvine.»

Un combat contre le secret

Sans surprise, Glenn Greenwald avait aussi apporté son soutien à Bradley Maning, le militaire poursuivi pour avoir fourni à WikiLeaks des informations confidentielles sur le conflit irakien. C’est maintenant à son tour d’être pris pour cible par le gouvernement américain.

Entre deux scoops, vendredi, Glenn Greenwald a justement pris le temps de théoriser le débat. Dans un billet consacré aux «lanceurs d’alerte», il résume son engagement, opposant les décideurs du «service public» aux «individus privés»:

«La façon dont les choses sont censées fonctionner est la suivante. Nous sommes sensés à peu près tout savoir d’eux: c’est pour cela qu’on parle de service public. Eux sont censés à peu près ne rien savoir de ce que nous faisons: c’est pour cela qu’on nous appelle des individus privés.
Cette dynamique, la base d’une société saine et libre, a été inversée de manière radicale. Maintenant, ils savent tout de ce que nous faisons, et construisent sans cesse des systèmes pour en savoir plus. Pendant ce temps, nous en savons de moins en moins sur ce qu’ils font, puisqu’ils construisent des murs de sécurité derrière lesquels ils travaillent.
C’est ce déséquilibre qui doit prendre fin. Aucune démocratie ne peut être saine et efficace si les actions les plus importantes de ceux qui détiennent le pouvoir politique restent totalement inconnues de ceux auxquels ils sont censés rendre des comptes.»

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[1] La directive signée par la Maison Blanche : http://www.guardian.co.uk/world/interactive/2013/jun/07/obama-cyber-directive-full-text

Cet article a été publié le 10 juin sur le site Rue89.

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