Les troupes d’occupation accusées d’importer le choléra

Par Ansel Herz

Les Etats-Unis – par l’intermédiaire de l’ambassadeur en Haiti, Kenneth Merten – font pression pour que les élections se tiennent le 28 novembre 2010. Toutefois, l’épidémie de choléra continue à se développer. Officiellement, plus de 1344 personnes ont succombé à cette maladie en date du 23 novembre.

Stefano Zanini, chef de mission pour Médecins Sans Frontières en Haïti rapporte dans un entretien : «Le choléra est une maladie presque inconnue dans ce pays où les derniers cas ont été recensés il y a 60 ans. Le fait que la maladie soit inconnue implique que le personnel médical local n’était pas préparé à y faire face, tout comme la population qui n’en connaît pas les dangers, à un tel point que le choléra était considéré comme un mythe».

Carleene Dei, qui est directrice de la mission en Haïti de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a dit à la station WAMU qu’il avait été difficile de diagnostiquer la maladie au début de l’épidémie : «Quand le foyer a éclaté, les gens ne savaient pas de quoi il s’agissait. Il n’y avait pas eu de cas de choléra en Haïti depuis 50 ou 60 ans. Alors, il était quelque peu difficile de le diagnostiquer. Et beaucoup de gens ont péri parce qu’ils ne savaient pas qu’ils étaient très malades ou de quoi ils souffraient. Et le choléra peut tuer en deux heures».

Ces indications ne peuvent pas être ignorées alors que ce pays est occupé par la Minustah qui dispose de moyens militaires énormes pour Haïti, un pays dévasté par la colonisation, le duvaliérisme et ses suites; à quoi s’ajoute la surveillance permanente des Etats-Unis. Ils craignent, aujourd’hui, une vague de migrant·e·s.

Un seul fait : quatre Haïtiens sur cinq n’ont pas accès aux services d’assainissement. Dans l’Artibonite, où la crise de choléra a éclaté, le taux de couverture d’évacuation des excréta n’est que de 14.9% [1]. La réapparition du choléra et cette situation laissent envisager le pire des scénarios et un pic de l’épidémie qui est loin d’être atteint. (Réd.)

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«Les gens apporteront le cadavre à la Minustah [la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti] pour qu’elle voie ce qu’elle a fait», a déclaré par téléphone Jean-Luc Surfin, un jeune homme de 24 ans interrogé par [l’agence] IPS sur le motif des manifestations et attaques contre ladite Mission.

Lundi 15 novembre 2010, la colère populaire contre la Minustah a dégénéré en émeutes dans la ville septentrionale de Cap-Haïtien, où, à quelques pâtés de maisons de la sienne, Surfin a vu mourir un jeune homme sur lequel on a tiré en pleine rue.

Les gens attroupés autour de lui ont accusé les soldats de la Minustah d’avoir tiré sur lui.

Des troupes haïtiennes ont confirmé à la presse la mort d’au moins deux manifestants, l’un des deux ayant été tué par une balle tirée dans le dos.

De leur côté, les «forces de paix» ont prétendu qu’elles avaient agi en situation de légitime défense.

«Les gens sont frustrés et pour cette raison ils descendent dans la rue. Ils disent qu’ils vont lutter contre la mort», a dit Surfin à IPS.

Les manifestants ont dressé des barricades dans la rue et ont lancé des pierres et des bouteilles contre les troupes de la Minustah. Toujours selon le jeune homme, deux commissariats auraient été incendiés.

Il y a aussi eu des protestations dans les villes de Hinche [l’une des plus anciennes villes d’Haïti située à la frontière de la République dominicaine] et de Gonaïves, ville du centre du pays, dévasté par le choléra.

Selon Stanley Stacos, sur le réseau social de Twitter, les manifestants auraient tenté de laisser le cercueil contenant le cadavre d’un homme mort de cette maladie en face d’une base népalaise des «forces de paix» à Hinche.

La population haïtienne accuse les «forces de paix» d’avoir apporté le choléra en Haïti.

Le Centre de Prévention et de Contrôle des Maladies des Etats-Unis a signalé que la souche de la bactérie responsable de l’épidémie de choléra actuelle en Haïti coïncide avec la variété endémique en Asie méridionale.

On estime que 200’000 personnes pourraient mourir avant que l’on puisse contrôler l’épidémie, ce qui pourrait bien durer encore six mois.

A deux semaines des élections [présidentielles], les autorités se sont efforcées de contenir l’avancée de la maladie qui a déjà tué plus de 900 personnes.

«La violence préélectorale est traditionnelle en Haïti», a déclaré à IPS le porte-parole de la Minustah, Vincenzo Pugliese. «Les gens sont perdus, apeurés et il est facile de les manipuler dans un sens ou dans un autre», a-t-il ajouté.

«Le fait est que la Minustah et le choléra se sont invités dans la politique et que celle-ci est en train de les exploiter», s’est lamenté Pugliese, tout en refusant de mentionner une personne ou une organisation.

«Quelqu’un se cache derrière tout cela. Les gens n’ont pas les moyens de communiquer entre eux et d’organiser des choses telles que celles auxquelles nous assistons. Il y a quelqu’un qui les manipule. C’est clair, cela fait partie d’un plan», a assuré Pugliese.

La colère contre les troupes de la Minustah a fermenté peu à peu. Elle s’était exprimée plusieurs fois lors de manifestations pacifiques organisées après que l’adolescent Gérard Jean Gilles avait été retrouvé pendu à un arbre à la fin du mois d’août dans une base des forces de paix à Cap-Haïtien.

Mais quelques jours plus tard, une patrouille de la Minustah avait répondu par l’usage de gaz lacrymogènes à des jets de pierres qui, selon une information interne de la Mission, avaient blessé un soldat.

Dix-sept organisations de la société civile ont alors écrit une lettre ouverte au chef de la Minustah sollicitant une enquête indépendante et elles ont condamné ce qu’elles ont appelé «sa décision de faire obstruction à la justice haïtienne».

Pugliese a déclaré que l’enquête interne avait conclu au suicide de Gilles.

Le lundi 15 novembre, une rue proche du Champ de Mars, la plus grande place de Port-au-Prince, a été envahie par une odeur de caoutchouc brûlé émanant des restes carbonisés de deux pneumatiques incendiés par des étudiants de la Faculté d’Ethnologie. Ceux-ci ont voulu dresser une barricade en solidarité avec les manifestants et ont jeté des pierres contre des véhicules de la Minustah.

En mai, les forces de paix avaient répondu à des manifestations par des tirs de dissuasion, des balles de caoutchouc et des gaz lacrymogènes, qui avaient fait plusieurs blessés dans le campement de la place.

Mais cette fois ils sont partis, selon les étudiants. Pugliese n’a pu ni confirmer ni démentir cela.

Les étudiants ont indiqué que des mobilisations contre la Minustah étaient prévues.

«Nous protestons pour la même raison que celle pour laquelle les gens manifestent à Cap-Haïtien et à Hinche. La Minustah nous a apporté le choléra. Le gouvernement est irresponsable», a déclaré Lucien Joseph à IPS.

«Beaucoup de gens sont morts et aucune réponse sérieuse n’est donnée. Tout le pays se soulèvera pour réclamer le départ de la Minustah», a ajouté le jeune homme. (Traduction A l’encontre)

* Ansel Herz est correspondant à Port-au-Prince pour Inter Press Service (IPS)

1. Paulo Texeira «Données sur le secteur de l’eau potable et de l’assainissement», dans Actes de la Conférence-Débats Agir ensemble pour une gestion plus efficace de l’eau potable et l’assainissement en Haïti, Organisation Panaméricaine de la Santé, Bureau Régional de l’Organisation Mondiale de la Santé (OPS/OMS), Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC), Port-au-Prince, Haïti, 9 novembre 2005, p. 14.

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