Par Emilien Urbach
et Laurent Mouloud
Réfugié en France depuis huit mois, le jeune Moussa?D., 17 ans, a couché sur le papier le récit de son exil depuis la Guinée. Coups, emprisonnement, viols… Ce témoignage met en lumière le sort inhumain réservé aux migrants lors de leur passage par Tripoli.
Cela ressemble à une simple rédaction, couchée avec application sur une copie d’écolier. Cependant, derrière l’écriture déliée et les quelques ratures, pas de récit de vacances enfantines. Mais celui, violent et bouleversant, du chemin d’exil de Moussa D. En quatre pages manuscrites, ce jeune mineur isolé de 17 ans, originaire de Guinée-Conakry et réfugié dans le sud de la France, décrit avec une précision glaçante les sévices subis lors de son périple. Et notamment ces quelques mois d’enfer vécus en Libye. Emprisonné, battu, violé…
Des mots d’adolescent qui rejoignent ceux du haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein. Mardi, celui-ci a, en marge des révélations sur l’existence de trafics d’esclaves dans ce pays, appelé la communauté internationale à ne plus «fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurées par les migrants en Libye». Cette rédaction pourra peut-être y contribuer.
Ce témoignage, Moussa?D. ne l’a pas livré tout de suite. Arrivé en mars dernier en France, il se confie quelques mois plus tard auprès d’un professeur, dans le foyer où il est hébergé. «Il est venu me parler de ses problèmes d’érection, explique l’enseignant, qui préfère conserver l’anonymat. Il était inquiet de ne plus en avoir. Et puis, peu à peu, il a raconté son parcours, la Libye, les coups et le viol… » Le prof lui conseille de coucher sur le papier son récit. «Afin d’en faire un exutoire.» La copie, que le jeune fera finalement parvenir à notre journal, se révèle bouleversante et tristement éclairante sur le sort terrible des migrants qui passent par la Libye.
Moussa entame son récit par la vie qu’il mène chez son père, Mamadou, dans la région de Mamou, en République de Guinée. Un quotidien de violence et d’humiliation. «Les autres femmes de mon père et aussi mes autres grands frères me maltraitaient, écrit l’adolescent. Ma mère, elle était traitée comme un animal.» Lorsque son père lui demande de ne plus aller à l’école pour faire le marché, Moussa préfère tenter sa chance à Bamako, au Mali, dans la famille d’un de ses amis. Il n’y restera qu’un mois avant de gagner l’Algérie, où il travaillera dans la maçonnerie. Il se blesse avec une tronçonneuse, perd son boulot et consomme ses maigres économies. Avec son ami de Bamako, ils décident alors de prendre la route pour Tripoli.
«Entassés dans un pick-up sans eau ni nourriture»
«Aucun des enfants qui m’ont raconté leur histoire n’avait conscience de ce qu’ils allaient trouver en Libye, explique le professeur de Moussa. Ils partent en espérant faire quelque chose de leur vie. Au final, ils vivent l’enfer de l’esclavage et des violences sexuelles.» L’homme avoue n’avoir pas pu retenir ses larmes la première fois qu’il a été confronté aux récits de ces jeunes. «Tous me parlent de la traversée du désert. Du pick-up qui les a transportés entassés, sans eau ni nourriture. De leurs amis tombés du camion, abandonnés à leur sort. Puis de l’esclavage et de la prison, arrivés en Libye.»
C’est le sort que connaîtra Moussa. A Tripoli, après avoir travaillé deux mois comme soudeur, il se rend au petit matin sur la place où les patrons viennent faire leur marché de travailleurs migrants. «C’est à ce moment-là que des gens sont arrivés. Ils m’ont attrapé avec d’autres et mis en prison», raconte l’adolescent. Il restera enfermé, sans nourriture, avec 450 autres exilés, dans un hangar à 200 km de la capitale. «Ils voulaient nous vendre dans un marché aux esclaves!» lâche-t-il. Au bout d’une semaine, des bus arrivent pour les conduire dans une autre prison, où Moussa restera enfermé cinq mois. Cinq mois de calvaire.
Sabratha, l’étape ultime avant la traversée de la Méditerranée
A l’oral comme à l’écrit, l’adolescent évoque les coups au quotidien, la malnutrition, le travail forcé et les sévices sexuels. «Un jour, ils sont venus à quatre en nous disant qu’ils nous emmenaient travailler. Nous étions trois. Moi et deux Sénégalais, dont un qui avait le même âge que moi. Ils nous ont emmenés dans le désert. Ils nous ont tapés sous les pieds. Ils ont pris leur fusil, ont tiré en l’air et par terre. Puis ils nous ont déshabillés. Après, eux aussi se sont déshabillés et ils se sont jetés sur nous.» Le jeune Sénégalais de 15 ans a été violé à quatre reprises. Moussa et l’autre victime, deux fois.
En Libye, l’adolescent apprend également le décès de sa mère. Il n’a plus rien à perdre. Un soir, des compagnons de cellule rentrent du travail forcé. Ils ont réussi à voler des marteaux. Ils cassent les murs de la prison. Moussa en profite pour s’enfuir, rejoint la ville de Zinta puis les plages de Sabratha, étape ultime avant la traversée de la Méditerranée. «Tous les jeunes exilés que j’ai croisés me parlent du “Campo”, explique le professeur de Moussa. Ce moment d’attente avant d’être embarqué, assis sur la plage, un morceau de pain pour cinq personnes. Les pick-up des miliciens libyens enivrés qui viennent faire du rodéo, qui tirent dans tous les sens. Et l’enterrement dans le sable de celui qui s’est pris une balle perdue.»
A la mi-février 2017, Moussa monte dans un bateau pneumatique avec 137 compagnons d’infortune. Arrivés dans les eaux internationales, ils sont secourus par l’Aquarius, le navire de SOS Méditerranée, seule ONG à maintenir une présence en mer à cette période de l’année. A son arrivée en Italie, le jeune homme est hospitalisé pendant un mois à cause des séquelles des viols. «J’ai mal aux hanches, mais aussi (…) je crois que je ne suis plus un garçon, écrit-il. Normalement, le matin, un garçon quand il se réveille, il est dur. Moi non! Je n’arrive plus à être dur. J’ai peur et je n’ai rien dit à personne.»
A sa sortie de l’hôpital, il rejoint Vintimille, au nord du pays, et traverse la frontière à pied. Depuis le mois de mars, Moussa est en France, où il continue d’être soigné. Arrêté, il a été confié aux services de la protection de l’enfance. Depuis, il a décroché un contrat d’apprentissage dans une boulangerie. Et, de temps en temps, il parle à sa sœur restée au pays. «Je ne lui ai pas raconté pour les viols», dit-il, encore traumatisé par son séjour en enfer. (Article publié dans L’Humanité, en date du 17 novembre 2017)
*****
Soyez le premier à commenter