Par Oscar-René Vargas
1.- Depuis le 18 avril jusqu’au 13 juin 2018, le Nicaragua a connu 58 journées de protestations citoyennes, au cours desquelles le peuple a demandé la destitution immédiate d’Ortega-Murillo. Ces manifestations ont été réprimées par l’Etat, faisant au moins 168 morts.
2.- La police, sous le commandement de Daniel Ortega, a mené une offensive contre l’insurrection citoyenne, une répression conduite en particulier par des mercenaires, des tueurs à gages et des forces de choc qui ont imposé la terreur au sein de la population nicaraguayenne. Cette stratégie s’explique par le fait que la rébellion civique dans différentes régions du pays excède par son ampleur le nombre d’agents enrôlés dans l’institution policière. Cela explique pourquoi la stratégie officielle consiste à attaquer une ville différente chaque jour. Les forces policières sont descendues dans les rues aux côtés des tueurs à gages afin d’intimider la population, de détruire les barricades que les citoyens et citoyennes ont construites pour leur sécurité, à l’entrée de leur quartier et/ou de leur ville.
3.- Ces actions policières démontrent que le gouvernement Ortega-Murillo n’a pas la capacité de gérer l’ensemble de la situation au niveau national. Selon le rapport annuel de la Police nationale en 2016, le plus récent publié, le pouvoir étatique disposait alors 15’139 agents pour couvrir 121’428 kilomètres carrés, soit une moyenne de 24 policiers pour dix mille habitants en 2016, chiffre qui n’a pas changé en avril 2018, selon le budget général de la République, en 2018.
4.- La répression gouvernementale dans plusieurs villes du pays renvoie à une «stratégie de terreur» face à l’incapacité de la police et des tueurs à gages de mettre fin aux défilés massifs et aux manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays. Malgré la force brutale utilisée par ces groupes paramilitaires, cette stratégie visant à instiller la frayeur n’a pas donné les résultats attendus par Ortega.
5.- Ortega-Murillo a créé, en deux mois, une organisation criminelle, parce qu’en faisant de ces secteurs lumpens des gangs, en les organisant, en les armant et en leur donnant la protection de l’impunité, il les transforme en future institution du crime organisé du pays, en futures «maras» du Nicaragua [gangs de jeunes dont les «activités» vont du cambriolage, au proxénétisme, en passant par le racket et le trafic de la drogue, très présents au Salvador, au Guatemala, au Honduras].
6.- Il doit être clair que les Ortega-Murillo ne sont pas de gauche, comme le pensent de nombreux secteurs progressistes à l’échelle internationale. L’ortéguisme est un régime décomposé, corrompu et rétrograde qui discrédite les secteurs de la gauche et progressistes du monde.
7.– L’armée au minimum a manifesté une complicité passive. Il y a plusieurs indices qui indiquent que l’armée est partiellement impliquée dans la mise à disposition de soldats et dans un appui militaire technique. Selon la Constitution politique du Nicaragua, l’armée est la seule institution autorisée à avoir le monopole de la violence et des armes, de sorte qu’en ne désarmant pas les groupes paramilitaires, les tueurs à gages et les truands elle se place, de facto, du côté de Daniel Ortega.
8.- Le mercredi 13 juin 2018, des paramilitaires ortéguistes ont attaqué durant la nuit des habitants qui surveillent des barricades dans diverses parties de la ville de Léon (la deuxième ville du pays).
Masatepe (ville du département de Masaya) a été attaquée par les paramilitaires et la police antiémeute, faisant au moins quatre morts.
A Managua, les habitants de différents quartiers ont signalé des fusillades durant la nuit du 13 au 14 juin. En outre, les agents de la police nationale ont arrêté tous les citoyens circulant la nuit.
Dans la ville de Diriamba (département de Carazo), une quarantaine de policiers qui se trouvaient dans leurs locaux ont enlevé leurs vêtements et se sont enfuis lorsqu’ils ont vu la population insurgée entourer leur caserne.
9.- Le jeudi 14 juin, l’ensemble du Nicaragua s’est réveillé au milieu d’une grève nationale aux effets paralysants, avec des barrages routiers, des rues désertes et des magasins fermés. Les barrages routiers ne laissent la possibilité d’aucun passage dans divers départements du pays. Les rues des quartiers de Managua, la capitale, à l’aube, étaient bloquées par les barricades, toujours en place. A El Carmen, où se trouve la résidence de Daniel Ortega et des institutions du régime, le périmètre de sécurité a été élargi depuis plusieurs jours.
Les sept barrages routiers situés dans le département de Boaco (capitale du même nom) sont maintenus et ne permettent pas la circulation des véhicules pendant la grève nationale de 24 heures de ce 14 juin.
A Ciudad Sandino (département de Managua), les commerçants se sont joints à la grève nationale. Le marché et les commerces situés sur la rue Centrale n’ont pas ouvert leurs portes. Cependant, dans cette zone, il y a des travailleurs de la municipalité [l’appel à la grève a aussi été adressé aux salariés de la fonction publique] qui nettoient les rues.
Les quartiers de León, dans lesquels se construisent des barrages depuis des semaines, se sont réveillés avec les rues totalement bloquées.
Dans le département Rivas (capitale du même nom), située à la frontière du Costa Rica, la grève nationale a commencé au milieu du bruit des casseroles et de détonations des mortiers artisanaux, cela dans différentes parties du département.
A l’échelle nationale, des entreprises comme des restaurants, des bars, les pharmacies et les coopératives laitières sont fermées. Les marchés, les stations-service, les banques, entre autres, n’ont pas ouvert pour se joindre à la grève nationale. C’est-à-dire que le Nicaragua dit clairement et avec force à Ortega-Murillo de s’en aller.
10.– Dans une déclaration officielle de l’ONU, datant du 14 juin, les experts en droits de l’homme ont appelé à mettre fin immédiatement à la violence et à la répression au Nicaragua, afin qu’un terme soit mis à une crise nationale de deux mois, marquée par les «troubles sociaux et politiques».
11.– Un groupe bipartisan étasunien, composé de quatre sénateurs de la Commission des relations étrangères, a présenté un projet de loi visant à imposer des sanctions aux fonctionnaires du gouvernement nicaraguayen qui auraient été impliqués dans des activités répressives pendant les massacres d’avril, de mai et juin, ainsi que dans des violations des droits de l’homme et des actes de corruption.
12.– Les évêques de la Conférence épiscopale ont annoncé que le dialogue national reprendra le vendredi 15 juin au Séminaire national de Fatima (Managua). La décision a été prise après qu’Ortega a répondu à la lettre que les évêques lui ont présentée le jeudi 7 juin comme étant une proposition pour la démocratisation du Nicaragua. La lettre d’Ortega propose le scénario 2 que nous avons analysé dans l’article précédent, datant du 12 juin (point 37).
13.– La proposition (d’Ortega) a été présentée aux évêques de la Conférence épiscopale nicaraguayenne (CEN) et à l’Alliance civique qui participent à la table du dialogue national par l’ambassadrice américaine Laura Dogu et Caleb McCarry, un représentant de la Commission sénatoriale des relations étrangères qui est arrivée au Nicaragua le week-end dernier.
14.- Daniel Ortega aurait informé le gouvernement états-unien de sa volonté d’avancer la date les élections au Nicaragua au premier semestre 2019, afin de résoudre la crise affectant le pays. En d’autres termes, Ortega resterait au pouvoir jusqu’à cette date, contrairement au tollé populaire qui exige son départ immédiat de la présidence.
15.– Ortega propose des changements au sein du Conseil électoral suprême, de la Cour suprême et de certaines institutions étatiques.
16.- La proposition d’Ortega-Murillo est similaire à ce que l’OEA (Organisation des Etat américains) avait promu dans les coulisses. Autrement dit, il s’agit d’élections anticipées, dites transparentes et supervisées; certaines institutions devraient être nettoyées, mais Ortega reste au pouvoir, ce qui lui permettrait d’utiliser l’argent détourné et de jouir de l’impunité.
17.- Tout indique que le grand capital est d’accord avec la proposition d’Ortega. En d’autres termes, les acteurs suivants sont d’accord: les Etats-Unis, l’OEA, Ortega, le grand capital, l’armée et peut-être une majorité des évêques.
18.- Le grand capital s’est joint à la grève nationale avec l’objectif de récupérer une légitimité sociale, appelant à une grève [de 24 heures, le 14 juin], dans une perspective plus symbolique que réelle, dans le but de pouvoir influencer le cours de la situation sociale et politique. Et, de la sorte, répondre au besoin de se laver les mains afin de faire oublier que le grand capital [entre autres, le COSEP – Conseil supérieur de l’entreprise privée, avec comme président José Adan Aguerri] a été, depuis onze ans, le principal allié du régime.
19- Ortega «cède» en utilisant le calendrier électoral qui a été négocié avec les Etats-Unis, avec l’aide de Luis Almagro [secrétaire de l’OEA, diplomate uruguayen], qui précise ainsi le rôle de l’OEA entre la date actuelle et celle des élections anticipées.
20.- Cet accord sera vendu à la population comme le triomphe du dialogue national: le couple Ortega-Murillo [président et vide-présidente] partira; il ne sera pas candidat aux prochaines élections. Les évêques, le COSEP et Carlos Pellas (le premier milliardaire du Nicaragua et un pilier de la Chambre commerciale Etats-Unis-Nicaragua) et Luis Almagro sortent sur des chevaux blancs.
21.- Il sera dit aux étudiant·e·s et à la population insurgée qu’ils ont triomphé, qu’Ortega s’en va, que la paix revient. Et on leur demandera de démanteler les barricades.
22.- Trois questions principales découlent de ce scénario de départ d’Ortega-Murillo. La première: les 1,5 million de personnes qui se sont mobilisées activement dans tout le pays pour exiger un départ immédiat vont-elles accepter le maintien d’Ortega jusqu’en 2019?
23.- La deuxième: celle de la justice pour les morts. Les voyous, les tueurs à gages, les assassins – responsables de la mort d’au moins 168 personnes et de plus de 1500 blessés ainsi que de centaines de disparus – resteront-ils impunis?
24.- La troisième: la police a perdu toute crédibilité, et les commandants de ce corps répressif resteront-ils aussi impunis?
25.– Le grand problème pour la réalisation concrète de ce scénario est qu’il y a un divorce complet entre les revendications élémentaires de la population qui occupent la rue et les arrangements au sommet que les acteurs mentionnés veulent promouvoir. Il appartiendra à la rue, aux barrages et aux mobilisations des habitants des quartiers et des paysans d’empêcher ce pacte passé au sommet, que ses promoteurs veulent imposer comme solution à la crise présente. (Managua, 14 juin 2018; traduction A l’Encontre)
Source: mapsopensource.com
Entretien avec Oscar-René Vargas sur le programme «Esta Noche» de Confidencial Nicaragua: premier bilan de la grève du 14 juin (en langue espagnole)
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