Par Paolo Bernasconi
Mai 2021
I. Une loi liberticide
1. La nouvelle loi prévoit que la police peut espionner internet, les téléphones portables, la correspondance électronique, WhatsApp, etc., de toutes les citoyennes et tous les citoyens suisses.
Le Conseil fédéral écrit qu’il «suffit d’un soupçon concret et actuel». Il s’agit d’une intrusion sans précédent dans notre vie privée de la part de l’Etat.
2. Le Conseil fédéral écrit qu’il suffit d’un «like» (Message du Conseil fédéral, p. 3949) d’approbation à une communication radicale et fondamentaliste. Même de la part d’un adolescent curieux et étourdi.
3. La définition du terrorisme est générale et vague: «propager la peur et la crainte». Le ministre tessinois de la police, Norman Gobbi, dans son article du 15 mai 2021 dans le Corriere del Ticino, a cité les exemples de groupes d’antispécistes. Bientôt seront visés les groupes d’environnementalistes, d’écologistes et puis les activités pour la défense des droits humains [1].
4. La police appliquera son modèle de contrôle généralisé, déjà expérimenté pendant la pandémie («les personnes âgées passent en léthargie», Matteo Cocchi, commandant de la police tessinoise). La nouvelle loi confirme et cristallise le régime de la pandémie. Citoyennes et citoyens de Suisse sous tutelle permanente. Depuis février 2020, toutes et tous nous sommes traités comme des «suspectés d’infection». A partir du 13 juin, nous deviendrons des «suspectés de terrorisme».
5. La nouvelle loi peut être définie comme une «loi d’érosion», autrement dit l’érosion des droits et de la liberté des citoyennes et citoyens suisses. La faculté de la police de mettre aux arrêts domiciliaires des enfants à partir de 15 ans est contraire aux conventions internationales sur la protection des enfants.
6. Les citoyennes et citoyens de nationalité suisse seront fichés pour des soupçons, mais aussi seulement pour leurs opinions, dans des données internationales d’algorithmes. Ainsi, à leur total insu, et sans avoir commis quoi que ce soit d’illégal, ils pourront se voir arrêtés en Chine, en Russie, en Turquie ou dans d’autres pays dictatoriaux, pour avoir seulement manifesté des préoccupations démocratiques à la maison en Suisse
II. Une loi inutile
7. L’Italie a défait les Brigades Rouges et le terrorisme armé des années de plomb sans ces pouvoirs de la police. L’Allemagne a défait le terrorisme armé de la Rote Armee Fraktion sans ces pouvoirs extraordinaires accordés à la police. Et il s’agissait de centaines de personnes armées, militarisées, organisées et soutenues par des milliers de partisans. Très différemment, les terroristes fondamentalistes islamistes agissent généralement en solitaires.
8. La gestion des nouveaux pouvoirs de police sera remise aux mains des services secrets suisses. A la différence des autres secteurs de la police, des responsables et agents des services secrets, en Suisse aussi, ont été condamnés ou licenciés. Ainsi, on peut citer les cas Bellasi, Bachmann, l’organisation secrète P26, l’accord secret avec les services secrets d’Afrique du Sud et l’accord qui vient d’être découvert avec les services secrets du Parti communiste chinois. De plus, le chef actuel des services secrets suisses a dû récemment démissionner en relation avec un espionnage non autorisé, par l’intermédiaire de la Société CRYPTO à Zoug, ce qui a humilié et délégitimé la neutralité de la Suisse dans le monde entier.
9. Les nouvelles mesures de police se fondent sur les fichiers établis par les services secrets fédéraux (soumis à une autorité de contrôle) et par des services cantonaux (qui ne sont soumis à aucune autorité de contrôle). Malgré les contrôles, on a découvert en 1985 que 900’000 personnes étaient fichées [2]; en 2010, on a découvert qu’il y avait encore 200’000 personnes fichées; et, en 2014, le chef des services secrets suisses, Markus Seiler, a déclaré à la NZZ [14.11.2020] que 65’000 personnes supplémentaires étaient fichées. Donc, à l’avenir, le nombre minimum des personnes fichées et espionnées augmentera de manière vertigineuse.
10. Les porte-parole de la police ont gonflé les petits et rares cas découverts en Suisse en relation avec le terrorisme de caractère islamiste. Il suffit de rappeler:
a) La conférence de presse du commandant Matteo Cocchi à l’occasion d’une agression de la part d’une femme psychiquement atteinte, dans un grand magasin de Lugano;
b) Le coup de filet colossal, à Lugano, avec 100 policiers, le 22 février 2017, qui s’est terminé en une insignifiante «poignée de mouches [3]».
11. Dans son article du 15 juin dans le Corriere del Ticino, le Ministre de la police, Norman Gobbi, a promis de respecter le principe de proportionnalité.
Une émission récente de «Faló» (sur la RSI), fondée sur les déclarations de dizaines d’avocats et mandataires tessinois, a démontré que continuent au domicile de centaines d’honnêtes travailleurs étrangers au Tessin les perquisitions dans les frigidaires, les corbeilles à papier, les tiroirs de lingerie intime, par des dizaines d’agents des polices cantonales et communales, dans le seul but de découvrir qu’ils ne respectent pas l’obligation de rester 180 jours par année dans le canton. Des centaines de perquisitions sans aucun mandat, sans base légale, en violation de la loi fédérale sur la protection des données, en violation du domicile et du principe de proportionnalité.
III. Une loi viciée au plan juridique
12. Toute la loi se fonde sur la phrase suivante du Conseil fédéral: «Aujourd’hui, la Police ne peut en principe intervenir que si une infraction a déjà été commise».
Cette phrase est fausse; elle ignore en fait les normes suivantes du Code pénal :
a) l’art. 260 ter CP qui punit n’importe quelle forme, même mineure, de participation à une organisation criminelle;
b) la loi fédérale du 12 décembre 2014, qui interdit et punit les groupes «Al Quaïda» et «Etat islamique» ainsi que leurs organisations associées;
c) l’art. 259 CP, qui punit l’instigation publique à un crime;
d) l’art. 260 quinquies CP qui punit le financement du terrorisme;
e) l’art. 260 bis CP, qui punit les actes préparatoires des infractions graves typiques du terrorisme;
f) l’art. 22 CP, qui punit toutes les tentatives possibles de délits, y compris ceux d’importance mineure [4].
13. Comment peut-on donner carte blanche à qui promeut une loi en trompant le Parlement et l’électorat?
14. De nombreux exemples démontrent que, dans les années passées, la police et le Ministère public, dans des cas de tentatives d’infractions et même d’actes préparatoires d’infractions graves, sont intervenus avec des drones, des pastilles électroniques, la surveillance des téléphones et d’internet et aussi avec perquisitions, séquestres, échanges d’informations avec des polices d’autres pays et même avec détentions préventives. Cela est même advenu, pendant des années, dans les mosquées de Genève et Winterthour.
15. La nouvelle loi prévoit que les traités de collaboration avec la police d’autres pays seront conclus par le seul Conseil fédéral. La ratification par l’Assemblée fédérale ne sera plus nécessaire. Il sera ainsi possible à la police d’échanger des informations avec les services secrets des pires dictatures comme la Chine, la Russie, la Turquie, la Birmanie, la Syrie et tant d’autres régimes qui deviennent toujours plus nombreux et qui utilisent ces informations pour réprimer les protestations contre la dictature et le génocide. Là encore, la séparation des pouvoirs a été défaite en faveur du gouvernement et au préjudice du Parlement. (Traduction de l’italien par Nils de Dardel, avocat)
Paolo Bernasconi (Prof. Dr. hc) a enseigné, entre autres, auprès des universités de Zurich, de Genève, de Bocconi/Milan. De 1986 – 2013: Member of the Directory Board of the International Committee of the Red Cross (ICRC) in Geneva; as from 2014 designated as honorary member.
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[1] Dans les conventions internationales antiterroristes sont prévues des définitions du terrorisme (Counter-Terrorism Strategies in a Fragmented International Legal Order, Van den Herik/Schrijver, Cambridge, 2013, p. 666). Pourtant, en Suisse, il est prévu une définition autonome à la section I art. 23e MPT. Une spécialité suisse.
[2] Rapport Kreis sur le fichage politique, 11.6.1993 ; rapport Bacher sur le fichage politique, 2.5.1996.
[3] Expression italienne.
[4] Une recherche de l’Université de Lausanne évoque les 21 condamnations prononcées par le Tribunal pénal fédéral depuis 2004 pour actes de soutien au terrorisme, dont 9 condamnations basées seulement sur des messages électroniques (résumé dans Daniel Ryser, «Ist unser Rechtsstaat Wehrlos gegen Terrorismus. Ein Blick auf die Urteile», Republick, 17.5.2021).
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