La Télévision suisse romande (TSR) n’a pas ménagé ses efforts, le samedi 3 décembre 2011, pour faire “élire” par quelque 20’000 téléspectateurs – exercice de “nov-démocratie en direct”, sorte de sous-produit du Concours Eurovision de la chanson – “le Romand du siècle”. 24 heures et la Tribune de Genève, le 5 décembre 2011, titraient: “Le général Guisan est ‘le Romand du siècle’”. La légende de la photo synthétisait le propos: “Le général Guisan a joué un rôle mobilisateur et réconfortant durant la Seconde Guerre mondiale.” Le gratuit 20 Minutes titrait: “Henri Guisan honoré”. Le parrain du “Romand du siècle” n’était autre que l’aviateur Christophe Keckeis, l’ancien premier chef de l’armée suisse en temps de paix. Un professionnel des honneurs. N’avait-il pas, en 2007, publié en son honneur et pour sa gloire un ouvrage rédigé, pour l’essentiel, par des collaborateurs du Département de la défense qu’il quittait: Christophe Keckeis. L’avenir de l’armée suisse, par Philippe Zahno et Anton Schaller (Ed. Orell Füssli)? La distribution de cet ouvrage aux cadres de l’armée, pour une somme de 100’000 francs à la charge du Département, a fait naufrage comme le P-16, prototype d’avion à réaction helvétique, en 1955 et en 1958. Le conseiller fédéral UDC de l’époque, Samuel Schmid, s’était opposé à cette subvention militarisée. Des fonds privés durent être rassemblés.
La remise en selle “historiographique” du général Henri Guisan est le produit d’une contre-offensive d’historiens et de propagandistes qui conduisent, avec obstination, leurs attaques. Ils visent aussi les travaux de la dite Commission Bergier. En effet, l’histoire officialiste et officialisée avait commencé à être déconstruite depuis les études de Hans Ulrich Jost (“Menace et repliement (1914-1945)”, in Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, Payot, 1983), de Willi Gautschi (General Henri Guisan. Die schweizerische Armeeführung im Zweiten Weltkrieg, Verlag Neue Zürcher Zeitung, 1989) et, antérieurement, la thèse de Jakob Tanner publiée en 1986 chez Limmat Verlag (Bundeshaushalt, Währung und Kriegswirtschaft. Eine finanzsoziologische Analyse der Schweiz zwischen 1938 und 1953). Ces études avaient été précédées par la thèse de Daniel Bourgeois (Le Troisième Reich et la Suisse, 1974) et ses articles, réunis tardivement dans l’ouvrage Business helvétique et IIIe Reich. Milieux d’affaires, politique étrangère et antisémitisme (Editions Page 2, 1998).
Le commentaire de Philippe Barraud, ancien chef rédacteur de la Gazette de Lausanne en 1975 et rédacteur en chef actuel de la feuille d’une droite réactionnaire ayant pour titre L’Atout – titre qui eut ses heures de gloire durant l’après-guerre et qui, dans sa version suisse alémanique, Trumpf-Buur, traduisait les prises de position de la droite “patriotique” –, synthétise le sens politique, pour les pourfendeurs d’une histoire non consacrée par le pouvoir, de ce repolissage de la statue du général: “Le Romand du siècle (passé) est donc le Général Guisan. Cette nouvelle me ravit, car cette immense figure s’imposait tout naturellement. Je me fais par ailleurs une joie intense d’imaginer la tête des historiens dits “critiques”, et donc d’extrême-gauche, à l’écoute de cette nouvelle. Drapeau en berne à l’Université de Lausanne! Comme quoi, lorsqu’on demande à la population, plutôt qu’aux coteries habituelles, de dire quels grands hommes ont marqué l’Histoire, on obtient des résultats très satisfaisants…” (sur le site commentaires.com). Pour rester dans la tonalité, P. Barraud n’a-t-il pas commis, le 30 novembre 2011, un article sous forme de question qui se voudrait pertinente: “La RSR est-elle noyautée par le GSsA?”
Pour des générations de citoyens helvétiques, ayant fait l’expérience de la “mobilisation” ou ayant baigné dans le culte autorisé du Réduit national et du Général sauveur de la patrie, honorer Henri Guisan relève d’une réitération des leçons apprises et d’une volonté de se rassurer face à un avenir économique, social et “géopolitique” incertain. Il ne s’agit pas de les accuser pour avoir été trompés longtemps par les gouvernants et leurs porte-plume sur ce que Guisan personnifie d’une période historique donnée. On peut retrouver, avec toutes les limites de l’analogie, des “réflexes” de ce type en Russie, où des couches de la population peuvent défiler, aujourd’hui, avec des portraits de Staline comme “héros national” et “sauveur de la patrie”. Le révisionnisme historique, relayé par des forces politiques de la droite dure, est activement à l’oeuvre en Italie (rôle de Mussolini), en Espagne (oeuvre de Franco) ou en Flandres (collaboration militaire avec les nazis). Pour faire exemple, ce révisionnisme historique, redonnant des lettres de noblesse à l’oeuvre restaurationniste, industriellement modernisatrice, réactionnaire et anti-ouvrière de Mussolini, a été facilité par une historiographie d’origine stalinienne sur le combat antifasciste”. Elle faisait l’impasse sur les accords passés en 1943 entre le PCI et le maréchal Pietro Badoglio qui commanda la guerre du régime fasciste en Ethiopie, en 1935-36, et fut chef de gouvernement avec le consentement du PCI en 1943-44. Elle faisait silence, symétriquement, sur la réalité socio-économique et la politique massivement répressive de la période stalinienne en URSS, jusqu’au milieu des années 1960.
Ce n’est donc pas un hasard si en Suisse ce sont des sociaux-démocrates tels que Paul Golay ou Paul Graber – pas particulièrement radicaux – qui, dès les années 1920 et 1930, caractérisent avec le plus de justesse à la fois le régime stalinien montant et installé et le pouvoir mussolinien.
A une échelle plus modeste et provinciale, la réécriture disculpante des élites dominantes de l’entre-deux-guerres se fait plus pressante aujourd’hui. Elle veut gommer les gains, en termes de connaissances étayées, de l’écart pris avec l’histoire autorisée. Une distance élaborée dès la seconde moitié des années 1970 et qui continua au cours des années 1980 et début 1990. Une illustration de l’opération, toujours en cours, est donnée par Jean-Christian Lambelet et Robert Olivier dans leur ouvrage intitulé: Des palmes académiques pour Benito Mussolini. Le doctorat honoris causa de l’Université de Lausanne décerné au Duce en 1937. Une interprétation (Ed. L’Age d’Homme, 2004). Cette publication est censée, selon une méthode éprouvée, apporter de “nouveaux documents”. Or, tous ceux “révélés” se trouvaient déjà dans l’étude publiée par François Wisard: L’université vaudoise, d’une guerre à l’autre, Payot, 1998. L’admiration de Guisan pour Mussolini et son oeuvre de restauration de l’ordre faisait partie d’un consensus au sein des “élites vaudoises”. Il leur apparut normal d’attribuer un doctorat honoris causa au Duce en 1937. C’est dans la même veine que les hauts officiers Guisan et De Diesbach, en 1934, faisaient montre de toute leur engouement pour la geste militaire de Mussolini. Nous l’avions décrit, sur la base d’un document pour la première fois publié, dans La Brèche puis présenté de manière plus détaillée dans le n° 1 de la revue d’histoire Les Annuelles (1990).
Sous une forme recyclée et avec les précautions d’usage encore nécessaires, cette attirance rétrospective ressort dans ce qu’écrit J.-C. Lambelet: “Si Mussolini n’avait pas commis l’erreur fatale d’entrer dans la guerre le 10 juin 1940, croyant que l’Allemagne nazie l’avait gagnée définitivement – ou, plus généralement, s’il avait davantage gardé ses distances par rapport au Reich –, le régime fasciste aurait pu se terminer tout autrement. L’Italie, comme l’Espagne, serait alors restée neutre ou en tout cas “non belligérante” et Mussolini, comme Franco, serait peut-être mort dans son lit. Avec un peu de chance, une transition relativement paisible vers la démocratie aurait pu se faire tôt ou tard après la guerre, comme ce fut le cas en Espagne.” (pp. 156-157) Les origines mêmes de la contre-révolution fasciste, anti-communiste et anti-socialiste, anti-ouvrière et anti-paysans pauvres et journaliers sont passées par pertes et profits. Or, ce fut cet ordre restauré qui explique l’adhésion de classe, parmi les élites vaudoises et helvétiques, aux traits forts du régime de Mussolini. Et, au même titre, à la répression massive qui continua après la victoire de Franco et qui est aujourd’hui au centre d’un débat historique et politique en Espagne.
Dans ce sens, indiquer la permanence d’une mission, incarnée par Guisan, contre la grève de novembre 1918 jusqu’au Réduit économique et à la construction de l’unité patriotique, n’est peut-être pas inutile aujourd’hui. D’où la republication de cette contribution.. L’enjeu ne se réduit pas aux affrontements dits mémoriels, mais il se conjugue au présent politique. (cau)
*****
Guisan 1918, 1934, 1940: les constantes d’une mission
Par Charles-André Udry
Dans cette fin de XXe siècle, l’entreprise Commémoration conduite par la Suisse officielle souffre de langueur. Les cérémonies doivent rappeler (à) l’ordre des souvenirs: ceux de l’entre-deux-guerres et de la Mob. Or, des documents, des «faits» plus têtus que les souvenances cultivées font surface et dérangent la mémoire comme la renommée.
«Il faut bonne mémoire après qu’on a menti» soufflait Pierre Corneille. Autrement dit, il faut pouvoir ressasser, sans controverse, le même plaidoyer, anniversaire après anniversaire, pour enfouir quelques évidences et faire triompher l’Explication. Mais, le succès n’est plus assuré, à l’heure où les «histoires officielles» se déboulonnent comme les statues. Profitant de la mise au jour des Archives fédérales, les éclairages pluriels, contrastés se multiplient ; ils illuminent le télescopage entre le mythe et la mystification. Irritation dans les rangs. A tel point que Georges-André Chevallaz, ancien conseiller fédéral et historien, dans son allocution prononcée dans le cadre de l’exposition Diamant à Lausanne, en septembre 1989, manifesta un sursaut révélateur: «Mais nous ne céderons pas pour autant aux sentiments de culpabilité où voudraient nous contraindre quelques plumes légères, jusque dans les agences officielles [lisez: l’ATS], évoquant une Suisse d’avant-guerre oscillant vers le fascisme, puis une “démocratie autoritaire”, le “retour en force d’un patriotisme étroit et exclusif” – je les cite – “d’où l’idéologie raciste du sang et de la terre (Blut und Boden) se trouva renforcée”, mettant en cause jusqu’aux champs de pommes de terre du plan Wahlen.»
Une polémique qui renvoie directement à celle que G.-A. Chevallaz mena, en 1983-1984, lors de la publication du chapitre sur la Suisse entre 1914-1945 – «Menace et repliement» – de Hans Ulrich Jost, dans La Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses [1]. En fin 1984, Oscar Gauye, actuel directeur des Archives fédérales, publiait son article «Au Rütli, 25 juillet 1940. Le discours du Général: nouveaux aspects», qui suggérait, avec les précautions d’usage en ces lieux et ce domaine, que «Guisan ne devait pas être totalement insensible à ce type d’organisation [corporatiste] que même les libéraux proposaient». Les réflexions faites par Henri Guisan et Roger de Diesbach, en 1934, sur Mussolini dans leur rapport «En Mission aux grandes manœuvres italiennes» – voir extraits ci-après – qui incitent à croire que ces chefs militaires n’étaient pas totalement indifférents au rôle du Chef.
En 1989, Diamant, taillé pour orner le joyau de l’histoire officielle de 1939-1945, a perdu quelques carats à trop vouloir exhiber ce qui ne gardait tout son brillant qu’à l’ombre de la fable. Ainsi, avant tout en Suisse alémanique [2], les débats et les articles créèrent une atmosphère de glasnost tempérée. Die Weltwoche, du 7 septembre 1989, publie sur deux pages – à plus de 120’000 exemplaires – un article de Pierre Heumann intitulé: «Les uns campaient à la frontière, les autres encaissaient». Les autres ? Le sous-titre les désigne: Brown Boveri, Von Roll, Ciba, Bührle. La première phrase est coupante: «Vers la fin de la guerre l’industrie commence à avoir peur de la paix.» [3]
«Contribuer indirectement au potentiel de guerre allemand»
Diverses études [4] récentes confortent la thèse selon laquelle, entre 1939 et 1945, la Suisse a été épargnée plus par sa politique économique de collaboration fort prolongée avec le Reich – qui suscitera une restructuration et une modernisation de l’appareil productif et du système bancaire helvétiques sous le fouet des exigences du «nouvel espace et ordre» européen – que par la seule force de dissuasion militaire helvétique ou le rôle d’un homme providentiel: Henri Guisan. A ce sujet, les observations du Conseiller fédéral Walter Stampfli, rapportés en 1989 par Willi Gautschi [5], sont fort instructives. Durant l’hiver 1942-1943, Guisan juge élevé le péril d’une intervention allemande. Stampfli, lors d’une rencontre entre une délégation du Conseil fédéral et la direction de l’armée, le 23 novembre 1942, remet les pendules à l’heure: «Pour commencer on peut certainement constater que l’Allemagne ne considère pas la Suisse comme hostile ; car sinon elle ne nous fournirait pas, comme elle ne le fait à aucun pays, du charbon, du fer et des substances importantes pour notre plan agricole. Dans le domaine économique, nous ne pouvons pas à ce jour nous plaindre d’une attitude hostile. Il est vrai que vont s’ouvrir de nouvelles négociations économiques qui nous montreront si l’attitude de l’Allemagne à l’égard de la Suisse est restée la même. Tout indique que l’Allemagne persiste dans son souhait de maintenir avec nous des relations économiques identiques à celles présentes, et qu’elle attend même que nos livraisons s’accroissent encore. L’Allemagne témoigne un grand intérêt à notre monnaie, qui est la seule qui jouisse encore sur le plan international d’une certaine liberté. Tout cela ne parle quand même pas dans le sens d’une attaque qu’on envisagerait aujourd’hui contre la Suisse.»
Un jugement sobre, énoncé par celui qui, devenu Conseiller fédéral en 1940 et chef du Département de l’économie, assista au côté du gotha industriel et politique, en octobre 1941, au 50e anniversaire de la firme Brown Boveri, qui, elle, savait combien le IIIe Reich était un débouché important permettant un nouvel essor des investissements dans les secteurs stratégiques de pointe.
Si Stampfli et Guisan pouvaient diverger sur la réalité des intentions belliqueuses des Allemands à l’encontre de la Suisse au printemps 1943, le Général semble avoir parfaitement saisi que le potentiel industriel de la Suisse pesait autant que le granit de tous les Saints… Gothard et Maurice. Après le débarquement allié en Afrique du Nord, à l’approche de celui d’Italie, Guisan envisage la possibilité d’une initiative militaire allemande en Suisse pour contrôler le front sud, celui vers l’Italie. En mars 1943, par l’intermédiaire de Roger Masson, qui est à la tête des Services de renseignement, il prendra contact, en Suisse, avec le général SS Schellenberg pour l’assurer que «la défense de notre neutralité [donc sur le front sud aussi…] est un engagement d’honneur auquel nous ne faillirons pas». [6] Cette initiative personnelle, que le Conseil fédéral désapprouvera, donnera lieu à une correspondance entre le ministre des affaires étrangères du Reich, Ribbentrop, et l’ambassadeur allemand en Suisse, O. Köcher. Ribbentrop relate pour son correspondant: «Le général Guisan a alors déclaré que la Suisse défendrait son front sud des Alpes contre toute attaque, en toutes circonstances et jusqu’à la dernière goutte de sang. Et qu’il en donnait au Führer sa parole d’officier, que la Suisse n’était d’aucune façon aux côtés des Alliés, en violation de sa stricte neutralité, mais bien au contraire fermement décidée à défendre le front sud contre eux jusqu’au bout. Si la Suisse pouvait espérer n’avoir à subir aucune attaque préventive de la part de l’Allemagne, contre laquelle elle aurait naturellement à se défendre, lui Général Guisan verrait même la possibilité de démobiliser des forces importantes de l’armée suisse, pour les transférer à l’économie et ainsi, tout en maintenant la neutralité suisse, contribuer indirectement au potentiel de guerre allemand.» [7]
Gautschi note qu’il n’y a pas de raison de mettre en doute la véracité des propos de Guisan ainsi rapportés. Le réduit productif, avec une armée réduite dans les Alpes, pour reprendre une image de J. Tanner.
Novembre 1918, la pierre de touche
Si la volonté de résistance de Guisan est reconnue, un contresens historique est encore communément commis, malgré les apports de divers historiens ces dernières années. Défense de la Suisse n’équivaut pas à défense de la démocratie parlementaire, encore moins d’une démocratie incluant les droits chèrement acquis – fragiles et limités – du mouvement ouvrier au cours du XIXe et début du XXe siècles. Résistance et défense nationale se nourrissent du mythe identitaire d’une Suisse immuable, préindustrielle, où aurait régné l’harmonie sociale, une Suisse tranchant avec celle marquée par les stigmates de la «lutte de classes», taillés avec malveillance par quelques mauvais esprits étrangers. La référence à ces valeurs archaïques entre en syntonie avec les idéaux de «l’ordre nouveau» en vogue (et en pratique) en Europe.
La mise au pas de «l’ennemi intérieur», pour assurer la concordance primitive, fait corps avec l’effort d’indépendance qui oblige ce «redressement moral» qui, lui, s’adapte aux exigences d’une nouvelle configuration européenne. Un continuum se dessine ici. L’ennemi intérieur, le mouvement socialiste, a sans cesse été marqué du signe de l’extériorité. Il sera souvent combattu au nom d’un archétype qui, d’une part, renvoie à la défense du patrimoine mythique d’une Suisse originelle et, d’autre part, fera écho avec les régimes réactionnaires en essor dans les années 1920 et 1930. Le trait d’union entre le combat contre la menace intérieure et extérieure était donc déjà posé.
C’est dès lors dans le combat mené au premier chef par la caste militaire contre la Grève générale de 1918 et sa hantise paranoïaque d’une «répétition» que s’enracine une part substantielle des élans patriotiques de cette «figure de notre histoire dont le nom et la légende sont dans toutes les mémoires», Henri Guisan.
Le parcours du combattant des deux envoyés «en Mission» en Italie, en 1934, Henri Guisan (Chef de Mission), colonel Cdt de corps (Cdt 1. C.A) et de son adjoint, le colonel Div. Roger de Diesbach (Cdt 2. Div) est, à ce propos, exemplaire.
Châtier les grévistes de 1918 et de 1919 servit de séminaire à nos deux missionnaires. Le lieutenant-colonel René-Henri Wüst, un ancien de l’Union Nationale, premier officier de renseignement d’un corps d’armée, dans un opuscule [8] consacré à la Grève générale de 1918, rappelle que: «L’état-major au sein duquel travaillait à l’époque avec le grade de lieutenant-colonel le futur Général Guisan qui nous a souvent parlé de cette période si instructive pour lui – avait mis au point des plans qui prévoyaient, en cas de coup d’Etat, la reconquête de nos grands centres urbains…»
En 1934, Henri Guisan expliquait: «Ceux qui haïssent l’armée, la haïssent surtout parce que c’est l’obstacle, le mur contre lequel se brisa la vague bolcheviste de 1918. Parce qu’aux rêves utopistes, l’armée oppose le sens de la réalité ; à la lutte des classes elle oppose sa fidélité, sa solidarité, son esprit de fraternité et sa force s’il le faut. Parce que, de tous les produits de notre sol, c’est celui qui a les racines les plus profondes. L’arracher serrait arracher la moitié de notre terre, tant la motte adhérerait aux racines.» [9]
Quatre ans plus tard, en décembre 1938, devant un parterre choisi, à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich, Guisan s’exclamera: «En 1870-1871, de 1914 à 1918, cette armée a fait son devoir, tout son devoir. Elle épargna au pays les horreurs de la guerre. Mieux encore, il y a 20 ans, en novembre 1918, face à Moscou, la Suisse fut sauvée grâce à l’énergie et à l’intransigeance de nos chefs militaires d’alors, grâce surtout à la discipline et au dévouement de ses soldats… L’armée n’oublie pas novembre 1918.» [10]
Willi Gautschi relève que dans l’édition de cette conférence: «manquent certains passages politiquement délicats, pour lesquels on avait probablement tenu compte de la mentalité de la “Zurich rouge”. Il est vrai que l’on parle encore de… “l’infiltration de l’esprit soviétique”, mais les autres incidentes anti-socialistes ont été éliminées et Jean-Marie Musy, dont l’image politique avait été ternie entre-temps, n’était plus mentionné expressément ; sa citation ne comparaissait plus dans le texte que comme celle “d’un ancien Conseiller fédéral, chef du Département des finances”» [11].
Restent néanmoins des passages tels que: «Durant l’après-guerre, enfin, l’armée a résisté à tous les coups qui lui furent portés par les mauvais bergers du désarmement, par les idéologues, les démagogues, les pacifistes de tout acabit, conscients ou non, par l’odieux bolchevisme destructeur. Elle a tenu. Le pays a eu l’armée qu’il méritait.» [12]
En 1953, interrogé par le major Raymond Gafner, «à l’intention des auditeurs de Radio-Lausanne», le général Guisan évoque le service – du 13 mai au 13 juin 1919 – accompli à Zurich par son régiment: «C’était comme vous le savez, la grève générale à Zurich. Il s’agissait d’y maintenir l’ordre, mais j’ai été, je dois dire, enchanté de l’esprit de la troupe. L’effectif était très fort. J’avais près de 3000 hommes au régiment. C’était la grosse solde, la solde du service d’ordre… Il s’est déroulé, à part quelques incidents, en général calmement. Il fallut toutefois à deux reprises intervenir énergiquement et disperser des réunions de grévistes, mais sans trop de difficultés, car nos hommes n’y allaient pas de main morte ! Ils étaient très montés contre les meneurs, en particulier, pour la plupart étrangers… Un service d’ordre n’est jamais une chose gaie. Mais j’avais prévenu mes soldats qu’ils n’auraient pas affaire en majorité à des Suisses, mais surtout à des meneurs étrangers dont le but était de provoquer des troubles chez nous. Nos braves Jurassiens l’ont parfaitement compris et les grévistes en furent pour leurs frais. La page est tournée, et le Comité d’Olten a pu méditer sur ses inconséquences et sur la fidélité de l’armée.» [13]
Suite à un 1er mai serein, le 20 mai 1919, les autorités cantonales zurichoises jugeaient la situation politique intérieure placée sous «le signe d’une détente considérable». Elles considéraient pouvoir proposer au Conseil fédéral «de lever peu à peu l’occupation de Zurich par des troupes affectées au maintien de l’ordre». Elles ajoutaient: «Nous sommes persuadés que la classe ouvrière organisée – si les réformes sociales procèdent à un rythme soutenu – ne songe pas à des actes de violences révolutionnaires.» [14] Et la grève ? Elle se déroula, durant 4 heures, le 26 mai, lorsque le Conseil d’Etat siégeait. Les grévistes: les traminots de la ville ; ils revendiquaient l’introduction de la semaine de 48 heures. Leur statut de fonctionnaire ne permettait pas «l’infiltration» de nombreux «meneurs étrangers» ! Dix jours plus tard une manifestation fut dispersée par l’armée. W. Gautschi cite le «Rapport sur le service d’ordre», rédigé le 18 juin 1919, par Henri Guisan: «La manifestation du 26 mai et celle des communistes du 7 juin ont heureusement confirmé la troupe dans l’idée que sa présence était nécessaire à Zurich.» [15] Quand se remémorer se mue en commémoration d’un triomphe, le moule dans lequel se versent les souvenirs reproduit mieux l’empreinte d’une pensée.
Novembre 1918 marque aussi d’une pierre blanche la carrière de Roger de Diesbach, l’adjoint de Guisan lors de la Mission en Italie. La famille de Diesbach avait accueilli Henri Guisan dans son domaine de la Schürra (Fribourg) «pour lui apprendre à travailler pratiquement», selon les paroles paternelles [16].
R. H. Wüst, qui craignait que l’opinion sous-estime la contribution des Romands au maintien de l’ordre en 1918, nous raconte au pas de charge ces hauts faits:
«Siégeant de nuit, le Conseil fédéral prend alors de nouvelles mesures de caractère militaire… La Suisse romande, cette nuit-là, n’est pas oubliée. Un jeune officier, qui se nomme Roger Masson [le futur chef des services de renseignement qui jouera d’entremetteur entre Guisan et Schellenberg], part en motocyclette en direction de Fribourg avec un pli secret destiné au lieutenant-colonel Roger de Diesbach. Son régiment doit entrer immédiatement en service et prendre la direction de Berne.»
De Diesbach, dans ses notes personnelles, relate: «La seule vue de cette estafette suffisait à révéler la gravité de la situation. Je lui posais quelques questions. Il ne s’agissait plus d’une simple grève. C’était bien la révolution que l’on redoutait.» Pour accomplir cette mission historique, de Diesbach organisera, avec son régiment, des «actions psychologiques» à la hauteur du péril révolutionnaire… dans une Berne calme: chants des «meilleurs chanteurs de Gruyère», fanfare du régiment, Cantique suisse entonné devant le Parlement, crieur public scandant le message du Lt Colonel: «Les Fribourgeois n’admettent pas qu’on puisse ignorer qu’ils ont toujours fait et feront toujours leur devoir de Suisses et de soldats.» [17]
L’initiative prise durant la crise nationale majeure, celle de novembre 1918, agit comme marqueur de l’appartenance à la famille de l’Ordre. Eloquente, à ce propos, est la valeur accordée, en 1940, par le ministre d’Allemagne à Berne, Otto Köcher, à la bravoure du Conseiller fédéral Pilet-Golaz: «Lui-même, Pilet-Golaz, en tant que jeune capitaine, en novembre 1918, a coopéré pour briser la grève générale. Une situation similaire pourrait très facilement se reproduire…» [18].
Le passé au présent
Pour Guisan et ses pairs, durant cet entre-deux-guerres, l’armée permet, «car seule elle a continué immuablement sa mission, en conformité avec l’histoire», de faire vivre «la vieille Suisse [entendez: celle d’avant 1798] dans la Suisse démocratique d’aujourd’hui. L’esprit d’autrefois se maintient, en quelque sorte, grâce à l’armée.» Dans cette double perspective, d’une part, l’armée sauve la patrie contre le socialisme et cherche à l’éradiquer comme toutes les «influences étrangères, si contraires à notre esprit national» [19] et, d’autre part, elle trace un lien de continuité avec l’Ancien Régime qui peut servir de matrice de référence pour un «nouvel ordre» corporatiste. La réédition de l’ouvrage de P. de Vallière, consacré au service étranger, éclairé par les avant-propos du Colonel commandant de corps Guisan et d’Ulrich Wille, participe de cette application à diffuser un message résumé de la sorte, dans sa préface, par Gonzague de Reynold: «N’oublions jamais que toute véritable tradition est rénovatrice, j’allais presque écrire révolutionnaire.» Guisan, lui, renoue avec le thème au plan militaire: «L’esprit de notre armée, sa cohésion, sa volonté morale, dépendent non seulement de sa préparation technique mais aussi de la continuité des grandes traditions qui mettent au cœur de l’homme la fierté nationale…» [20]
Le leitmotiv d’une «reconstitution» des institutions de la Confédération sur la base du «pays réel» ou «pays vivant» – opposé au «pays légal fondé sur la fiction du peuple suisse et du prétendu suffrage universel» – est largement repris en terre vaudoise depuis le début des années trente. Le «pays réel» doit réunir «des constantes qui sont nôtres en vertu de notre appartenance au complexe civilisé de l’Europe occidentale, et qui, pour quelques-unes, ne sont que nôtres… la famille, la religion, les hautes écoles ;… les communes et les cantons ;… la terre et les métiers», pour former un ordre corporatiste helvétique, comme l’expose [21], en 1936, Robert Moulin, colonel et président de la Société vaudoise des officiers de 1929 à 1933, puis président central de la Société suisse des officiers de 1937 à sa mort en 1942.
A l’élégante revue animée par Robert Moulin, Vie, collaborera Gonzague de Reynold. Max Huber, simultanément président du CICR et de l’AIAG (SA pour l’industrie de l’Aluminium, Neuhausen), attribuera à l’homme de lettres fribourgeois le surnom expressif «de chef d’état-moral de l’armée» [22]. Gonzague de Reynold, qui coopérera avec le lieutenant-colonel Henri Guisan en 1919 pour la présentation d’un spectacle d’épopées militaires animé par les soldats jurassiens de son régiment, exerce un ascendant politico-culturel certain sur une fraction significative du corps des officiers suisses romands. Henri Guisan n’y échappait pas ; son inclination pour les idées du beau-père de Carl J. Burckhardt était reconnue [23]. De Reynold avait énoncé, en 1929, dans son ouvrage La Démocratie et la Suisse les linéaments d’une révolution conservatrice. Neuf ans plus tard, il publie une série d’articles, à la requête de Georges Rigassi, rédacteur en chef de la Gazette de Lausanne qui donneront naissance à une œuvre, publiée en 1938, Conscience de la Suisse. Elle imprégnera, alors, plus d’une âme. On peut y lire: «Point de défense nationale possible si, derrière les bétonnages de la couverture, le pays est livré à la démagogie parlementaire, aux compromis et aux combinaisons de partis. Point de défense nationale si le pays légal continue d’épuiser le pays vivant» ou «est divisé par la lutte de classes». Il proposait le retour à une «institution, tirée avec sagesse d’une tradition incontestablement nôtre…: le landamann de la Suisse. Elu à long terme par les représentants des cantons, il choisirait ses ministres, responsables devant lui qui serait responsable devant la Confédération. Et je lui dirais: “Gouvernez”.» [24]
Les connexions ne sont pas strictement spirituelles ; elles ont leur versant matériel. Georges Rigassi, dont la Gazette bénéficiait des écrits de Gonzague de Reynold, siégeait aux côtés du colonel divisionnaire Henri Guisan à la vice-présidence de l’Association patriotique vaudoise (APV), fondée en 1932. Le président de l’APV, le conseiller national Henry Vallotton, se distingua, entre autres, par une vigoureuse illustration et défense de la tuerie du 9 novembre 1932 à Genève [25]. L’APV mènera campagne pour la «Loi fédérale sur la protection de l’ordre public», loi visant à «renforcer la sécurité de l’Etat selon un modèle autoritaire» [26]. En 1935, l’APV publiera deux discours de Henri Guisan, sous le titre Notre défense nationale. Le colonel divisionnaire analysant le referendum sur «La loi réorganisant l’instruction militaire» de 1934 avertit qu’il «n’est pas le fait des ouvriers: c’est l’œuvre de Moscou» [27].
L’APV était une section de la Fédération patriotique Suisse (FPS). Or, un proche de H. Guisan, le colonel de Diesbach, en décembre 1926, lors d’une séance de la direction de la FPS, soutenait que le Conseil national «avec sa mentalité actuelle était encore toujours un danger présent pour le Pays». Il insistait sur l’écart entre le «pays réel» et l’assemblée législative et la nécessité d’imposer «un autre point de vue à ce Conseil». «Par nos efforts, nous voulons une renaissance de la Nation. Celui qui ne pratique pas une politique pour la Nation doit être dénoncé publiquement.» [28] Willi Gautschi, qui rapporte ces méditations, les commente de la sorte: «Etaient visées avec la “mentalité” incriminée certainement les conceptions de la politique sociale des nombreux conseillers nationaux de la social-démocratie et des milieux bourgeois de gauche ; par “autre point de vue”, il fallait entendre le vœu de créer un Etat corporatiste semblable à celui déjà réalisé par l’Italie fasciste: l’introduction d’un régime basé sur les corporations, voulant éliminer la démocratie classique et voulant refonder l’Etat moyennant la représentation des organisations professionnelles des employeurs et des employés, séparés selon les branches.» [29]
Replacées sur cette toile de fond, les «impressions» de Henri Guisan et de Roger de Diesbach, suite à leur Mission de 1934 en Italie, ne détonnent pas. La conclusion du Rapport – signé par Guisan, mais dont l’essentiel de la rédaction est attribuée par W. Gautschi à de Diesbach – tombe bien: «Le miracle mussolinien prouve à l’évidence que l’esprit public d’un pays dépend essentiellement de la mentalité de ceux ou de celui qui le gouvernent.» Le rôle du chef, du Landamann selon Gonzague de Reynold, des élites, y trouve aux yeux des deux militaires des mérites pour le façonnage du «pays réel» qui ne peuvent être attribués à la démocratie parlementaire. Tout en tenant compte du contexte particulier, des idées-forces sur cette «rénovation nationale», autopropulsée, se retrouvent dans les notes préparatoires au discours du Général Guisan au Rütli, en juillet 1940 [30].
L’aura d’un chef
Gonzague de Reynold, qui affectionne être reçu en audience par le Duce, relate que le 19 novembre 1932: «Mussolini me posa aussi des questions sur un début d’émeute qui s’était passé à Fribourg… et que Roger de Diesbach avait dominé par sa voix de commandement.» Mussolini savait identifier les chefs. En effet, l’arrestation de deux soldats éméchés, que quelques dizaines de personnes voulaient faire libérer en manifestant devant un poste de police fribourgeois, en 1932, offrit un champ de bataille rêvé pour exercer les talents de sommation de Roger de Diesbach.
Le Duce voulait de même s’entretenir avec Gonzague de Reynold de la situation à Genève. L’homme d’entregent lui indiqua qu’il jugeait la situation: «Avec optimisme, parce que la tentative révolutionnaire de Genève, mal préparée a piteusement échoué, et que cette tentative a provoqué une vigoureuse réaction nationale. Pessimisme, parce que l’affaire de Plainpalais était le signe d’un mécontentement causé par la crise et le chômage, mécontentement exploité par les communistes.»
Pour des motifs intéressés, Mussolini met en garde de Reynold contre la préparation «pour le 1er mai prochain de la revanche de Genève», «un coup de force préparé à Moscou» et qui devrait se dérouler à Zurich «où la police est entre les mains des socialistes» [31].
Au-delà du caractère peu fiable de ces «informations», les obsessions de cercles d’officiers suisses romands face à d’hypothétiques «coups de force» de la gauche sont, elles, bien réelles. Ainsi, en mai 1934, Henri Guisan et la FPS expriment des inquiétudes sur l’avenir de l’ordre à Genève. Le Commandant de Corps Guisan fait parvenir une note au Chef du Département militaire, Rudolf Minger, relevant que: «L’arsenal est exposé. L’Union civique a aidé à plusieurs reprises à le garder. Sous le gouvernement actuel [Conseil d’Etat présidé par Léon Nicole, à majorité socialiste, élu en novembre 1933] ce n’est plus possible.» Guisan propose ses bons offices pour tenter de surmonter les obstacles constitutionnels cantonaux à l’accomplissement par l’Union genevoise de sa tâche de salut national. [32]
Si de nombreux cercles d’officiers traduisent une attirance pour le Chef Mussolini, c’est d’abord pour celui qui avait chassé avec succès le «monstre» aperçu, en Suisse, en novembre 1918 et dont le spectre menaçait, selon eux, de ressurgir dans cette crise des années trente. Mais l’attrait s’exerce aussi pour celui qui personnifie la possibilité de remplacement d’un système institutionnel jugé en déclin historique. En tout cas, les entrevues avec Mussolini, lors de la Mission en août 1934, ont manifestement impressionné H. Guisan. Il y fera plusieurs fois allusion. Selon des témoins, «le futur général Guisan, qui fréquentait presque chaque abbaye de Mézières, parlait souvent de sa participation aux manœuvres militaires italiennes et de ses rencontres avec le chef du gouvernement fasciste» [33]. Des commentaires de Guisan et de Diesbach ressort une «excellente impression», à un double titre. D’abord, pour la «préparation au combat d’une armée» basée «avant tout sur la formation militaire du soldat et l’aiguisage des réflexes». «Les Bersaglieri, les Alpini, et les artilleurs à cheval» sont «près de réaliser l’idéal… Les Bersaglieri proviennent à dire vrai d’une sélection sévère ; au sens esthétique du mot, ils forment déjà une troupe superbe. Le 50 % d’entre eux pourraient poser [sic] des Raphaëls.» [34] Ensuite, pour «l’homme génial qui préside aux destinées» de l’Italie, Guisan ajoute dans une note manuscrite: «En lui, deux hommes, chef dur d’une franchise brutale, d’autre part le charmeur, dans son sourire, sa conversation… Prestige d’un demi-dieu. Homme sorti du peuple.» [35] Comme de Reynold, les deux envoyés s’émerveillent devant le «Chef», mais pensent que ce génie de commandement doit se mêler aux génies de l’helvétisme, pour bâtir, au besoin, le «renouveau national».
«La capacité à discipliner toutes les forces de la nation ; de les avoir réunies en un seul courant», estimée si positivement dans le Rapport de Mission, ne peut être détachée de l’engagement de Guisan, durant ces années, en faveur d’une pré-instruction militaire des jeunes de 16 à 20 ans. Dans la Commission de défense nationale, il déclare que le renoncement à cette pratique est considéré «dans de larges milieux» comme «un compromis avec les socialistes et les anti-militaristes» [36]. En 1934, le futur général explique: «Dans le peuple et dans l’armée doit régner le même esprit et la même volonté de défense du pays. Il y aurait beaucoup à apprendre de l’exemple de l’Italie et de l’Allemagne, où la jeunesse pratique avec constance des exercices sportifs et une instruction prémilitaire et est éduquée à la fierté de l’uniforme.» [37]
En août 1935, l’éblouissement n’a pas épargné la délégation de quatre hauts officiers, Lardelli, Marcuard, Bandi, Mocetti, qui assisteront aux grandes manœuvres italiennes. Les trois premiers occuperont des fonctions de premier rang entre 1939-45. Ils narrent ainsi leurs sentiments dans le chapitre de leur rapport consacré à Mussolini:
«Il parle presque doucement et ici on trouve la méthode d’éducation de la troupe – tout se concentre sur le chef. Aujourd’hui on a l’impression que la troupe lui est plus proche que les chemises noires. Il est sûr d’elle, l’aime et veut toujours être au contact avec elle, selon sa devise “On doit se connaître pour s’aimer”. On sent que cet homme est issu du peuple et veut rester proche de lui pour réaliser ses idées ; ses dehors sympathiques, dépourvus de toute pose, la confiance avec laquelle il s’approche de la foule, la manière dont il parle avec les petites gens, contribuent beaucoup à son prestige personnel. Mais, en même temps, nous pûmes constater ses manières extrêmement distinguées dans ses relations avec le Roi, ce qui nous fit une impression fort sympathique… Dans les rapports personnels, l’expression énergique et volontaire de son visage se transforme, les yeux brillent et la bouche sourit aimablement et d’une manière très humaine.» [38]
De l’expression de telles «impressions», il serait erroné d’en déduire qu’un Guisan adhère à l’idéologie fasciste mussolinienne. Tout d’abord, peut être invoqué le rôle de l’Italie dans la conjoncture internationale où sont en jeu les rapports entre l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche. Le ravissement de plus d’un haut officier suisse, à la vue des grandes manœuvres italiennes ou allemandes, traduit de même un enthousiasme envieux, éveillé par le retard de la préparation technico-militaire en Suisse. Ensuite, en harmonie avec les tendances de fond à l’œuvre dans la droite suisse, Guisan voit le régime italien s’ériger en barrage face au danger capital: le socialisme, le bolchevisme. Enfin, Mussolini, comme Chef, fonctionne comme une figure emblématique qui peut renvoyer non pas au fascisme italien, mais à une conception spécifique, helvétique – enracinée dans une histoire du pays véhiculée par la droite conservatrice – des rapports armée-nation-chef-troupe. Il ne s’agit pas d’un simple trait d’esprit, faisant référence à la relation entre un catholicisme non-universalisé et le fascisme, lorsque Gonzague de Reynold lance, en 1935, au Duce: «“Savez-vous ce que j’aime en vous ? C’est que vous n’êtes pas fasciste”… “Vous êtes mussolinien, ce n’est pas du tout la même chose.” C’était la vérité vraie.» [39] De plus, Mussolini, «demi-dieu, homme sorti du peuple», évoque pour un Guisan la faculté de fusionner armée et nation et de modifier, en cela, le sens-image de l’armée de milice tel qu’il s’était imposé en 1914-1918.
Durant ces années trente, nombreux dans les cercles militaires en Suisse romande sont ceux qui puisent leurs idées dans un fonds politico-culturel qui confère à l’esprit de 1848 la mission de fourrier du socialisme. Pour certains, une accentuation du fédéralisme, réduisant le rôle de la chambre basse, permettrait mieux aux candidats naturels pour le pouvoir, souvent reconnus depuis longtemps comme chefs dans une armée-nation, d’insuffler une nouvelle vie au «pays réel», adossé à un exécutif fort.
Un dégradé subtil de positions – relayées par des hommes charnières tel de Reynold – s’étale donc depuis l’officialité politique et militaire jusqu’aux frontistes. Un simple manque d’informations n’explique pas que, lors d’une discussion au sein de la Commission de défense nationale, Henri Guisan minimise la présence d’éléments frontistes dans son Corps d’armée [40]. Les nuances dans les adhésions de ses officiers n’étaient pas toujours aisées à saisir pour quelqu’un immergé dans l’environnement politico-culturel vaudois de l’époque ; sans compter qu’au sein de l’institution militaire la consonance des idéaux des officiers était forte.
La référence Pétain
Chantal de Riedmatten, dans une étude sur le Général, où s’expriment des affinités électives, écrit à juste titre: «Guisan n’est pas un chef coupé de la tradition des officiers suisses alémaniques. Comme Wille, il voit dans l’officier un éducateur, qui doit gagner la confiance de ses hommes. Pourtant dans les formes, les influences de Guisan sont françaises… Il ne s’adresse pas [dans ses discours] à une élite, mais à tous… C’est la composante latine d’un officier ayant fait ses écoles de guerre en France qui trace la voie à une lignée d’instructeurs d’un autre type: les Gonard, les Montmollin, les Monfort, tous aussi élitaires mais dans des modalités différentes.» [41]
Cette tradition de la droite française musclée, maurrassienne, on la retrouve évidemment chez Guisan et son entourage. L’invitation faite par Guisan, en 1934, au général français Clément-Grandcourt – qui faisait partie depuis deux ans du cadre de réserve, écrivait dans L’Action française et était un collaborateur régulier de la Revue Militaire Suisse (RMS) dirigée alors par le major R. Masson – d’assister aux manœuvres de la 1ère division en est une démonstration. C’est cette inclination politique qui conduisait un socialiste modéré comme Paul Golay à écrire dans Le Droit du Peuple, quotidien socialiste vaudois: «Il est aisé de constater que, hier comme aujourd’hui, les chefs de notre armée sont à la fois des adversaires des libertés populaires, surtout lorsque les travailleurs manuels les utilisent, et que, d’autre part, leurs tendances et leurs affinités les poussent vers les éléments internationaux les plus hostiles à notre esprit public. Ce sont, en Suisse allemande, les Wille et consorts se courbaturant devant l’hitlérisme. Ce sont les Guisan et Cie recherchant le contact avec des ennemis avérés de la République voisine [France], éléments essentiels des Croix de feu et autres formations réactionnaires… Nous nous trouvons en face de rapprochements d’ordre affectif, déterminés par des mentalités semblables, par le mépris commun du peuple et de ses droits.» [42]
Golay ne visait pas trop à côté de la cible. Dans la «Chronique française» de la RMS en juillet 1934, le Général X, «collaborateur régulier», écrivait: «La presse suisse s’est parfaitement rendu compte de la véritable révolution, non seulement politique, qui a débuté à Paris, le 6 février 1934.» [43] Dans cette «révolution nationale» qui commence, le rôle de Pétain, à la tête de l’armée, est mis en relief par le chroniqueur de la RMS.
Guisan voue une admiration profonde pour Pétain. En 1937, le Maréchal assista aux manœuvres du 1er Corps d’armée dirigé par le futur général. A cette occasion, Guisan s’est entretenu longtemps avec celui qui avait résolu «la crise morale et militaire de 1917», soit les mutineries de 1917. En avril 1935, le maréchal Pétain y avait consacré un long exposé devant l’«Académie des Sciences morales et politiques», à Paris, afin d’en tirer des leçons générales. Il évoque les mesures de répression «immédiate des principaux coupables», la «surveillance à exercer sur l’état d’esprit du pays et l’orientation à donner à la grande presse», le manque de détermination du pouvoir civil, la lutte «contre la contagion par l’intérieur» [les organisations pacifistes, socialistes…], l’expulsion des ressortissants «neutres suspects», le rôle des meneurs. [44] Il insiste de plus sur l’importance de «rendre aux cadres une confiance», sur «leur état moral», sur la relation entre supérieur et subordonné, sur l’attention à apporter aux besoins matériels de la troupe et sur la nécessité d’avoir: «des entretiens fréquents, familiers, exempts de contraintes protocolaires. Le général en chef, prêchant l’exemple, se rend quotidiennement sur le front… Après les avoir inspectés, il réunit autour de lui les officiers, les sous-officiers et une sélection d’hommes de troupe pour leur parler à cœur ouvert et les yeux dans les yeux, les invitant à desserrer un instant les contraintes de la subordination.» [45]
Cet exposé ne peut qu’évoquer la politique et la pratique de Guisan, qui certainement s’en est inspiré. [46] Dans l’imaginaire collectif, cultivé par une iconographie abondante et sélectionnée, s’est imposée la figure de celui qui dit: «Quand je passe devant le front d’une unité, j’aime à regarder chaque homme dans les yeux, à l’entendre dire à haute voix son nom, son domicile, sa profession…» [47] Il y a, là, une rupture avec «la mobilisation de 1914 à 1918, [où] on ne parla pas assez à nos soldats…» [48]. Cet écart avec le passé permet de colorer un paternalisme sobre et sévère des couleurs de la démocratie, a posteriori.
Au même titre que les illustrations «interdites de publication» par la division Presse et Radio de l’armée, le verso de l’orientation socio-politique de Guisan est resté dans l’ombre, pour commencer à ressortir presqu’en même temps que les expositions des photos censurées durant la Seconde Guerre mondiale. Pétain comme référence peut se retrouver dans le projet «d’ordre du jour éventuel», préparé par Guisan en mai-juin 1940, où ses notes manuscrites reproduisent les préceptes du Maréchal, tels que: «L’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifices» ; «On a revendiqué plus qu’on a servi» ; «On a voulu épargner l’effort». [49] L’histoire agence des coïncidences dont l’ironie ne se révèle que plus tard. Mais la déférence du général pour Pétain se prolonge bien au-delà de juin 1940, à l’unisson d’une grande partie de la presse romande. En avril 1941, il lui fait parvenir une lettre où son action est non seulement considérée «un bienfait pour l’Etat français et le peuple de France», mais «un exemple édifiant» [50]. En 1944, encore, après avoir reçu l’ouvrage de Pétain, La France nouvelle, il manifeste son respect pour l’effort de «renouveau» du Maréchal. [51] En filigrane se déchiffre la proximité des sensibilités sur l’Ordre et la Tradition ainsi que l’organisation corporatiste de la société.
Dès lors, mis en perspective, les penchants de Guisan allaient moins dans le sens d’une adaptation à l’ordre nouveau européen comme monnaie d’échange pour assurer l’indépendance du pays, qu’ils ne s’inscrivaient dans une tendance à envisager cette indépendance et cette sécurité comme résultant, entre autres, d’une certaine transformation du régime. Cette «conversion» avait pour fonction de faire face, simultanément, au danger extérieur et à ce qui, à ses yeux, le parachevait: le danger intérieur (avec sa connotation d’extériorité), c’est-à-dire «l’abus de démocratie», gros des périls entrevus en 1918. Le lieutenant-colonel Edouard Chapuisat est transparent à ce sujet: «Il faut le dire: le Réduit national ne fut pas seulement un réduit stratégique… Il devait marquer la solidarité, substituer la communauté nationale aux intérêts particuliers ou à une haïssable lutte de classes.» [52] Guisan exigea un contrôle de la presse, une politique face aux immigrés en Suisse, aux réfugiés, aux communistes et à certains socialistes encore plus dure que celle adoptée par le Conseil fédéral. [53]
Dans cette optique, l’opposition montée en épingle entre Pilet-Golaz et Guisan ouvre sur une fausse fenêtre. Que deux points de vue opposés se rejoignent, à leur manière, sur une telle appréciation est rassurant. P. Muret dans La Nation s’exclame: «Guisan avait une mission militaire simple, claire et sans nuances. Pilet avait une mission diplomatique toute de finesse et d’équilibre. Ces deux grands vaudois ont réussi, chacun à son poste ; à quoi bon les opposer alors qu’ils se complétaient ?»
L’historien Jean-Claude Favez souligne: «Mais l’opposition est plus dans l’expression que sur le fond, ce qui toutefois n’est pas mince dans un moment où fléchissaient les volontés. Car les deux hommes [Pilet-Golaz et Guisan] n’étaient mus que par leur volonté de sauvegarder l’existence et l’indépendance du pays. Et tous deux, comme de nombreux compatriotes, voyaient dans la fortune des armes se confirmer la nécessité d’un redressement…» [54]
En dernière instance, ce fut le cours du conflit mondial qui influença fortement l’évolution des tendances à l’œuvre (et en opposition) dans les institutions et dans la société civile. Astuce de l’histoire: le portrait de H. Guisan légué à la postérité doit quelques-uns de ses traits à Stalingrad… L’intégration d’un secteur du mouvement ouvrier organisé dans le gouvernement se superposera aussi à l’effort national de défense. L’image de H. Guisan, à la sortie de la guerre, en profitera, car seront gommées son opposition virulente à la gauche et la substance de ses inclinations politiques. S’il représente une «premanence du pays profond», selon une formule redondante, il serait utile d’étudier en détail les soubassements socio-économiques, les filiations culturelles et les réseaux familiaux des acteurs de cette représentation.
*****
Le Duce selon Guisan et de Diesbach
En mission. Aux grandes manœuvres italiennes de l’Apennin Toscan-Emilien, août 1934. Chef de mission: Colonel Cdt. Corps Guisan, Cdt. 1. C.A. Adjoint: Colonel Div. de Diesbach, Cdt. 2. Div.
Guisan-de Diesbach dans leur rapport passent en revue les diverses délégations d’officiers qui assistent aux grandes manœuvres. Ils notent: «Les Allemands, avec le Général de division List comme chef de mission, étaient cinq également, dont trois généraux. Tenus d’abord assez à l’écart, sauf par nous, ils se montrèrent si simplement camarades – ce qui fut reconnu même des Français – qu’on ne leur tint pas longtemps rigueur.» (p. 7) Puis, dans le chapitre III de leur rapport, ils commentent la tenue des troupes italiennes: «Mais c’est en considérant les résultats obtenus en service intérieur, dans une armée qui, autrefois, ne brillait pas de ce côté-là, qu’on peut mesurer le mieux le miracle opéré par le nouveau régime. Des chevaux et des mulets au poil brillant et en parfait état ; des cuirs astiqués et des chaussures cirées le matin ; des armes automatiques paquetées, comme des bijoux, dans des fourres rembourrées […]. C’est d’ailleurs ainsi (en nouvelle tenue) que nous fut présenté le bataillon d’Ecole de Civita-Vecchia, dans une forme impeccable, qui montre clairement le but que s’est assigné l’armée italienne. Troupe superbe, drillée jusqu’aux dents, et parvenue à un degré d’appel individuel et collectif qui n’est guère surpassable.» (p. 15)
Dans le chapitre V consacré aux «Silhouettes entrevues de personnalités militaires et politiques», Guisan-de Diesbach expriment leur jugement sur le Duce: «Le Duce: c’est à lui et non pas au fascisme que l’Italie doit sa transformation complète, totale, et qui tient du prodige.
Une énergie, une volonté de fer, brisant tous les obstacles, d’avance, sans pitié ! Avec lui les étoiles qui se lèvent sont condamnées bien vite à disparaître. Il n’admet à ses côtés aucune gloire, aucune popularité rivale. Il est le maître: il Duce. L’Italie accepte sa puissance qu’elle ne pourrait plus discuter d’ailleurs aujourd’hui. Elle sait ce qu’elle lui doit. Elle supporte la main de fer qui a fait des miracles et qui, il n’est pas douteux, en fera encore.
Le mérite de cet homme, de ce génie, c’est d’avoir su discipliner toutes les forces de la nation ; de les avoir réunies en un seul courant et d’exploiter ce courant exclusivement pour la grandeur de son pays.
Il est évident que le geste fanatise le peuple italien et c’est pourquoi Mussolini a adopté cette attitude inspirée et quelque peu théâtrale qui l’électrise.
Mais parodier cet appareil extérieur ne suffit pas pour ressembler à l’homme qui s’en sert et moins encore à l’égaler. Le monde ne produit pas en série les génies de sa trempe. C’est pourquoi les nations qui se livrent, pieds et poings liés, au premier imitateur venu sont singulièrement imprudentes, pour ne pas dire démentes. Elles sacrifient leur liberté, sans espoir, très probablement, d’en retrouver jamais la contre-valeur.
Ce que nous pouvons dire de Mussolini, c’est qu’il est respecté jusqu’à la crainte. Son arrivée la première fois, au milieu de ses officiers, généraux ou sous-lieutenants, les émotionna visiblement tous et quelques-uns même au point de leur faire perdre leur sang-froid. Un regard dur du maître les affole, un sourire les comble de joie. A la campagne, par contre, son prestige est celui d’un demi-dieu. Les populations spontanément l’attendent partout où il doit passer et se jettent à sa rencontre en criant simplement: Duce ! Duce ! Les vieilles gens pleurent et se signent.
Mussolini, par sa tenue, volontairement dépourvue de toute distinction, veut prouver au peuple qu’il en sort: une casquette de chauffeur à fond blanc ; des culottes de cheval, un veston gris, des bottes sans éperon, pas de canne, pas de gants. […]
Ce qu’est le Duce quand on le rencontre comme nous l’avons rencontré nous-mêmes: un homme très simple et infiniment séduisant.
Sa conversation avec nous n’est pas restée longtemps dans le cadre de la banalité. Après avoir parlé de Lausanne, évoqué par le domicile du Colonel Cdt de Corps Guisan, il forme le souhait qu’on ne démolisse pas toutes les vieilles maisons, souvenirs du passé, et il ajoute bien vite: “Je ne devrais pas dire cela, moi qui ai manié la truelle dans votre pays.”
Mais il passe bientôt à des sujets plus sérieux: “La Conférence du désarmement est morte, il s’agit simplement de savoir avec quelles fleurs on veut l’ensevelir.” Et il termine cet entretien qu’il conduit avec une aisance charmante en nous faisant cette déclaration: “Aujourd’hui, la situation politique et militaire de la Suisse est de tout premier ordre. Elle la doit entièrement à sa volonté de se défendre elle-même et par ses propres moyens. Aussi longtemps qu’elle sera dans ces dispositions, elle n’aura rien à redouter des puissances qui l’entourent.”
Mussolini donne l’impression d’une absolue franchise. Se faisant présenter la mission de la Reichswehr, il dit au Général de Division List qui se félicitait des résultats du plébiscite allemand: “Dans un pays de dictature, un plébiscite n’a aucune signification !” (Plébiscite approuvant le cumul par Hitler de la fonction de Président et de Chancelier).
Et cette manière d’être donnait une valeur tout à fait spéciale aux attentions qu’il eut pour notre pays. Il ne nous connaissait pas ; nos personnes n’entraient donc pas en ligne de compte. Or, la première fois qu’il se rencontra avec les officiers étrangers, vers San Michele, il vint droit à la mission suisse, perdue au milieu de toutes les autres, et eut avec elle l’entretien que nous venons de relater.
Bien plus ! Le lendemain, alors que le Colonel Cdt de corps Guisan arrivait, au milieu d’une foule d’officiers, sur le point où se trouvait déjà le Duce, Mussolini fond sur lui et lui tend un journal en lui disant: “Voilà notre photographie !” Et deux jours plus tard, à Pietramala, il lui remet une nouvelle feuille en ajoutant: “En voilà une autre !”» (p. 28-30)
Après avoir indiqué que «nos troupes… supportent en définitive assez avantageusement la comparaison avec celles que nous avons pu admirer au cours de ces manœuvres. Notre armée est moins bien outillée, c’est entendu. Mais il ne faut rien exagérer même sous ce rapport… c’est plutôt notre aviation qu’il faut à tout prix et très sérieusement renforcer», ils concluent ainsi leur rapport, daté Lausanne 15 octobre 1934 et signé «Le chef de mission: Guisan»: «Pour terminer, disons que ce n’est ni son régime politique, ni son armée qu’on doit envier à l’Italie, mais l’homme génial qui préside à ses destinées.
Le miracle mussolinien prouve à l’évidence que l’esprit public d’un pays dépend essentiellement de la mentalité de ceux ou de celui qui le gouverne.» (p. 32)
_______
Notes
1. Hans Ulrich Jost, «Menace et repliement (1914-1945)», in Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, Payot, 1983 ; «Au Rütli, 25 juillet 1940», par Oscar Gauye, Etudes et sources, N° 10, Archives fédérales Suisses, Berne, 1984.
Nous avons publié et commenté de larges extraits du rapport intitulé «En Mission. Aux grandes manœuvres italiennes de l’Apennin Toscan-Emilien, août 1939», signé par le Colonel Cdt Corps Henri Guisan, en septembre 1989 (La Brèche, N°436, 22 septembre 1989). Depuis lors, l’essentiel du chapitre V et des conclusions de ce rapport de mission (AF / E: 27, Archiv-Nr.: 12405 / 2) ont été publiés dans les Documents diplomatiques suisses, volume 11 (1934-1936), préparé par Mauro Cerruti, Jean-Claude Favez et Michèle Fleury-Seemueller, Bentli Verlag, Berne, 1989, pp. 236-240. En outre, est aussi paru l’ouvrage exhaustif de Willi Gautschi, General Henri Guisan. Die schweizerische Armeeführung im Zweiten Weltkrieg, Verlag Neue Zürcher Zeitung, 1989, 912 p. Nous y avons puisé de précieux renseignements complémentaires. Die Weltwoche, en date du 20 juillet 1989, avait initié la publication des bonnes feuilles de son livre à paraître.
2. On peut regretter que la presse Suisse française soit aussi blafarde comparée à celle de Suisse alémanique. Il faut, néanmoins, souligner l’article de Marc Perrenoud dans L’Illustré, N°34, 1989, et le débat entre Hans Ulrich Jost et André Lasserre dans L’Hebdo, N° 30, 27 juillet 1990.
3. Voir la seconde partie de sa contribution: «Für die Arbeiter lauert der Feind auch Innern» – Schweizer Wirtschaft im 2. Weltkrieg: Nicht einmal die Gewerkschaften kümmern sich um die Lohnabhängigen», Die Weltwoche, 14 septembre 1989.
4. Voir Markus Heiniger, Dreizehn Gründe, warum die Schweiz im Zweiten Weltkrieg nicht erobert wurde, Limmat Verlag, Zürich, 1989, 265 p. ; Jakob Tanner, «Hand in Hand mit den Nazis», in Bilanz, pp. 346-352, octobre 1989 (version française dans Bilan, N°12, décembre 1989) et l’étude du même auteur, publiée dans le recueil: «Or & Granit. La défense nationale et les liens économiques entre la Suisse et le Troisième Reich durant la Seconde Guerre mondiale» ; Hans Ulrich Jost, Tages-Anzeiger, 4 août 1989 et réplique de Hans Senn, Tages-Anzeiger, 3 octobre 1989 ; Marc Perrenoud, «Banques et diplomaties suisses à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Politique de neutralité et relations financières internationales», Etudes et sources, N°13, 1987 et 14, 1988, Archives Fédérales Suisses, Berne, 1988, pp.7-127.
5. Die Weltwoche, 31 août 1989 et Willi Gautschi, General Henri Guisan, op. cit. p. 443.
6. Note manuscrite de Guisan citée par Willi Gautschi, «Der Kontakt General Guisans mit SS-Standartenführer Schellenberg», in Revue d’Histoire Suisse, 1989, p. 161.
8. Le titre est évocateur: «Menace de guerre civile en Suisse, novembre 1918», Cahiers d’histoire et de prospective militaires, N°1, 1969, p. 15, publié par le Centre d’histoire et de prospective militaires, Château de Coppet. R. H. Wüst étant dans les années 1960 rédacteur au quotidien La Suisse. Pour un bilan de l’historiographie de la Grève générale, voir Hans Ulrich Jost, «Der historische Stellenwert des Landesstreiks», in Willi Gautschi, Der Landesstreik 1918, Chronos Verlag, Zurich, 1988, pp. I-XIII.
9. Cité par Yves Delay, La Grande Chance de la Suisse. Le général Guisan ou l’art de gagner la paix. Préface de Paul Chaudet. Editions Yves Delay, Echallens, 1974, p. 26. A propos de terre et de grève, il n’est pas inutile de rapporter les propos de Gilbert Vaney, président de 1949 à 1960 de la Fédération vaudoise des Jeunesses campagnardes: «Les Jeunesses campagnardes furent quelques fois sollicitées dans les années 30, par exemple, elles étaient prêtes à intervenir avec chars et chevaux, dans la capitale, afin de parer à une menace de grève des employés des tramways» (Construire, N° 26, 27 juin 1990). En 1932, M. Bron, le Président de la Fédération des Jeunesses campagnardes, était membre du Comité directeur de l’Association Patriotique Vaudoise dont le colonel divisionnaire Henri Guisan était l’un des vice-présidents.
10. H. Guisan, Commandant du 1er Corps d’armée, Notre Peuple et son Armée, Ed. Polygraphiques SA, Zurich, 1939, p. 31 (chapitre: «L’âme de l’armée»). L’épopée de la mobilisation contre la grève de novembre 1918, dite pilotée de Moscou, agrémente toutes les plaquettes commémoratives des régiments ou bataillons vaudois ou romands. Ainsi, le Major Raymond Buxcel, en 1937, conte: «Le 10 novembre 1918, sur ordre de Moscou, la révolution devait éclater en Suisse. Le Comité d’Olten, en liaison avec la délégation des soviets à Berne, a son plan bien établi… Le 11 novembre, la mobilisation accélérée de la 1ère division est décidée. Le tocsin retentit. Le régiment se rassemble à Morges… Et les bataillons, encore une fois, remontent le Jorat. Partout les troupes sont acclamées et chaleureusement accueillies… Le deuxième jour, les premiers trains circulent. Les troupes embarquent. Toutes les portières sont gardées par des soldats armés. Lentement, on arrive. A Granges et Olten, les compagnies occupent les gares, les bâtiments publics, les banques. Les voies ferrées sont surveillées. La révolution est étouffée énergiquement.» In Le Régiment d’infanterie 1 – Notice historique, 1874-1937, Lausanne, 1937, pp. 33-34. Dans la plaquette consacrée au «Cent ans bat fus mont 8, 1875-1975» est reproduit un extrait du journal de la cp. III / 8 tenu par le major Stauffer: «Grève générale, 11-23 novembre. Devant la menace révolutionnaire, les trp. retrouvent l’enthousiasme et l’élan d’août 1914. La population civile acclame les soldats: “De Vevey à Lausanne, ce n’est plus qu’une grande ovation ! Des fleurs, des fleurs, sans oublier les distributions de cigarettes et de chocolat. Ce n’est plus comme en 15 et 16 ; il y en a aussi pour les soldats suisses. Les hommes sont gais, l’on sent que quelque chose de nouveau coule dans leurs veines” .» (Lausanne, 1975, p. 19). Deux élans: août 1914 et novembre 1918…
11. Willi Gautschi, General Henri Guisan, op. cit, p. 50. Jean-Marie Musy, conseiller fédéral de 1919 à 1934, puis conseiller national de 1935 à 1939. En 1934, son «Schützenfestrede», radiodiffusé, s’inspirait d’idées fascistes. Il militait en faveur d’une fédération européenne, dont la Suisse devait faire partie, pour un ordre fasciste contre le socialisme et le communisme. Voir La Suisse devant son destin, recueil de textes, Montreux, 1941.
12. H. Guisan, op. cit., pp. 31-32.
13. Général Henri Guisan, Entretiens, Ed. Payot, Lausanne 1953, pp. 38-39.
14. Cité des minutes du Conseil d’Etat de Zurich par Willi Gautschi, General Guisan, op. cit., p. 38.
16. Général Henri Guisan, Entretiens, op. cit., p. 21.
17. R. H. Wuest, op. cit., pp. 29-30 et Pierre Barras, Novembre 1918, Ed. Saint-Paul, 1969. P. Barras était alors rédacteur en chef du quotidient fribourgeois La liberté.
18. Cité par Daniel Bourgeois in «L’image allemande de Pilet-Golaz, 1940-1944», Etudes et sources, N°4, 1978, Archives Fédérales Suisses, Berne, p. 82.
19. H. Guisan, Notre peuple et son armée, op. cit., p. 30.
20. P. de Vallière, Honneur et fidélité. Histoire des Suisses au service étranger. Avant-propos de H. Guisan et U. Wille et préface de Gonzague de Reynold, Les Editions d’Art Suisse Ancien, Lausanne, 1940, p. 15 et p. 6.
21. Robert Moulin, série d’articles publiée sous le titre «Réforme» dans la revue Vie, N° 2, 3 et 4, 1936. Vie, dirigée par R. Moulin, profite des insertions publicitaires de l’essentiel des «bonnes maisons» lausannoises. Des Pages choisies, de Robert Moulin, Recueillies et préfacées par Gonzague de Reynold, paraîtront en 1942 (Librairie Roth, Lausanne). Gonzague de Reynold clôt sa préface, datée du 6 décembre 1942, ainsi: «Et maintenant que reste-t-il à souhaiter, sinon que Robert Moulin soit enfin entendu et compris comme il méritait de l’être, c’est-à-dire comme un maître et comme un chef.» L’article «Réforme» est publié dans la troisième section du livre intitulée par de Reynold «Du temps présent à l’avenir».
22. Yves Delay, La Grande Chance de la Suisse, op. cit., p. 59.
23. Carl J. Burkhardt, membre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) depuis 1933, fut proposé avec insistance, en août 1940 et en novembre 1940, par le Général Guisan au Conseiller fédéral Minger pour «inaugurer une politique de prestige et de propagande suisses, qui viserait, en premier lieu, à s’exercer en Allemagne». Le général soulignait: «Par sa formation et sa culture, essentiellement germaniques, M. Burckhardt se trouve à même de comprendre les hommes, les idées et le courant de civilisation qui s’affirment aujourd’hui, à travers le IIIe Reich, comme une des manifestations les plus caractéristiques de la civilisation et de la puissance germaniques. Grâce aux relations personnelles qu’il a nouées, au cours de ces dernières années, avec les dirigeants du IIIe Reich – avec le Führer, avec M. von Weizäcker, avec le Maréchal Goering, etc. – M. Burckhardt pourrait avoir aujourd’hui avec eux de nouveaux entretiens qui se dérouleraient en dehors du cadre des chancelleries. Par l’activité qu’il a déployée en faveur du Comité International de la Croix-Rouge, institution estimée du Chancelier Hitler, M. Burckhardt se présenterait sous un drapeau incontesté» (lettre du 14 août 1940, citée par Oscar Gauye, in «Le Général Guisan et la diplomatie suisse 1940-1941», Etudes et sources, N°4, 1978, Archives Fédérales Suisses, Berne, p. 11). Sur cette initiative de Guisan, W. Gautschi dans la Neue Zürcher Zeitung, écrit: «Par après, il faut constater qu’à tous égards ce fut une aubaine – aussi pour la réputation posthume du Général – que le Conseil fédéral n’ait pas épousé cette proposition et que cette entreprise douteuse n’ait pu être menée à bien.» (21-22 juillet 1990)
24. Gonzague de Reynold, Conscience de la Suisse, Ed. de la Baconnière, Neuchâtel, 1938, pp. 12 et 290-291.
25. Henry Vallotton, L’émeute de Genève et les incidents de Lausanne, 9-13 décembre 1932, dans Publications de l’Association patriotique vaudoise, fasicule N° 2, Imprimerie Centrale, Lausanne.
26. H. U. Jost, «Menace et repliement», op. cit., p. 147.
27. Publications de l’Association patriotique vaudoise, fascicule N°6, Imprimerie centrale, Lausanne, p. 23. Dans un second discours, consacré à l’emprunt de défense nationale, H. Guisan insiste sur la nécessité de «mettre hors d’état de nuire les traîtres de tout poil, qui prennent leurs ordres à Moscou, qui à l’intérieur du pays s’efforcent de saboter notre défense nationale… Dans le domaine de la défense nationale, il n’y a ni parti, ni classe. Il n’y a qu’une défense nationale et qu’une armée, celle du pays. Elle n’est ni capitaliste, ni prolétarienne, elle est suisse, simplement ! Celle du peuple suisse.» Guisan prend la parole à la suite du colonel divisionnaire Guillaume Favre, «qui vient d’exposer magistralement la situation géographique et politique de notre pays en face de la tourmente qui se prépare». G. Favre est membre de la «Ligue Aubert», à tonalité frontiste, violemment antisocialiste et anticommuniste (cf. Publications de l’Association patriotique vaudoise, fascicule N°7, Imprimerie centrale, Lausanne, p. 23 et 34). Guisan, en 1933, s’était montré favorable à ce que Favre prenne la présidence de la Fédération Patriotique Suisse.
28. Willi Gautschi, General Henri Guisan, op. cit., p. 54. Gautschi cite les minutes d’une séance de la direction du FPS du 18.12.1926.
29. Willi Gautschi, ibid., p. 43.
30. «Nous devons évoluer pour nous adapter aux conditions de l’Europe nouvelle. Mais cette évolution doit se faire par nous-mêmes et sans copier l’étranger [double idée que l’on peut déjà entrevoir dans le rapport de mission de 1934]. Je suis convaincu que le sens des anciens partis a vécu… Il ne s’agit plus de se disputer un fauteuil ; seul l’intérêt supérieur du pays entre en ligne de compte. Rester fidèles à nous-mêmes. Pour cela il faut une rénovation nationale. Elle peut être conforme à nos traditions. La Suisse veut vivre sa propre vie. Mais nous sommes en présence de deux dangers qu’il faut éviter: l’intervention étrangère et les troubles sociaux. Il faut empêcher l’un et l’autre.» Cité par O. Gauye, «Au Rütli, 25 juillet 1940», op. cit., pp. 17-18.
31. Gonzague de Reynold, Mes Mémoires, Ed. Générales, Genève, 1963, p. 536.
32. Willi Gautschi, General Henri Guisan, op. cit., pp. 55-56. Cette intervention de Guisan informe sur le sens d’une formulation d’un texte diffusé par l’APV lors de la votation de la loi sur «La protection de l’ordre public»: «Si en cas de danger imminent, de révolte ou de grève, un groupement se propose de seconder les autorités, il doit s’y faire autoriser par le Conseil fédéral ou le gouvernement cantonal» (Association patriotique vaudoise, fasicule N°5, Imprimerie vaudoise, Lausanne, 1934, p. 9). Claude Cantini, dans une lettre du 2.10.1989, nous a signalé que «selon un témoignage de Werner Lier, recueilli par Roger Joseph de La Chaux-de-Fonds, Henri Guisan aurait fourni des armes et autre matériel militaire à Arnold de Müller, secrétaire général de l’Union nationale genevoise, qui s’organisait afin de contrer, après la défaite électorale de L. Nicole en novembre 1936, un éventuel coup d’Etat de la gauche».
33. Claude Cantini, Le Colonel fasciste, Arthur Fonjallaz, Ed. M. Favre, 1983, p. 194. En 1953, dans ses entretiens avec Raymond Gafner, Guisan note: «Ce que j’ai vu en Italie est très intéressant, surtout étant donné les entretiens que j’eus avec le duce, Mussolini. Il a été très aimable à mon égard, je dirais plus particulièrement à l’égard de la Suisse. Cette amitié est-elle restée toute la guerre ? Je ne sais pas. On a dit qu’il a cherché à ménager notre pays. Je n’en sais rien officiellement ; peut-être le saurons-nous un jour» (op. cit., p. 41).
34. «En Mission…», op. cit., pp. 15-16 ; cf. note 1.
35. Cité par W. Gautschi, General Henri Guisan, op. cit., p. 45.
36. Cité par W. Gautschi, ibid. p. 34.
37. H. Guisan, Die Seele unserer Armee und die soziale Rolle des Offiziers, tiré à part, Neue Schweizer Rundschau, 1935, p. 27. Sur ce point, et quelques autres, malgré les différences affirmées entre les deux hommes, il est étonnant de noter l’analogie entre les formules utilisées par H. Guisan et celles ciselées par le Colonel fasciste Arthur Fonjallaz, dans son livre Energie et Volonté. Un chef: Mussolini, Editions de la Revue Mondiale, Paris, 1933, p. 46 et ss. En 1934, Fonjallaz dérangeait les autorités suisses en stimulant l’organisation de «fascisti svizzeri» dans la colonie helvétique en Italie. Le Conseiller fédéral G. Motta, à l’occasion de la nomination, en août 1934, d’un Consul général de carrière suisse à Milan – dont une des tâches consiste à «contrecarrer les intrigues du Colonel Fonjallaz» – insiste auprès du Ministre de Suisse à Rome, G. Wagnière: «Il ne s’agit nullement, d’autre part, d’exercer une répression contre les Suisses qui se sont laissé séduire par la caricature du fascisme inventée par le Colonel Fonjallaz, mais d’empêcher que les autorités italiennes se trompent aux apparences et voient dans les “fascisti svizzeri” des Suisses plus dignes d’intérêt que ceux qui se sont tenus à l’écart de ce mouvement.» (Documents diplomatiques suisses, vol. 11, op. cit., p. 252)
38. Bericht über die Abkommandierung zu den italienischen Manövern, vom 24-31 August 1935, AF, E.27, Archiv-Nr 12406, 2, pp. 42-43.
39. Gonzague de Reynold, Mes Mémoires, op. cit., p. 556.
40. Willi Gautschi, General Henri Guisan, op. cit., p. 57.
41. Chantal de Riedmatten, Général Henri Guisan. Autorité et démocratie, Fribourg, 1983, pp. 18-19. La Gazette de Lausanne – qui publie à l’époque les polémiques antidémocratiques du colonel zurichois Hans Frick, chef de section de l’état-major de l’armée – saisissait aussi certaines correspondances spirituelles entre les composantes suisses alémaniques et suisses romandes du corps des officiers.
42. Le Droit du Peuple, 10 août 1935.
43. Revue Militaire Suisse, N°7, juillet 1934, p. 359.
44. «Certains officiers ou gradés se retranchent, pour ne pas accomplir leur devoir, derrière ce fait que, les mouvements ayant un caractère collectif, il leur est difficile de démasquer les meneurs. Une pareille raison n’est pas valable. Il est toujours possible, en effet, de transformer un acte collectif en acte individuel. Il suffit de donner à quelques hommes, en commençant par les mauvaises têtes, l’ordre d’exécution. En cas de refus, ces hommes sont arrêtés immédiatement et remis entre les mains de la justice qui devra suivre son cours le plus rapide», déclare Philippe Pétain, in Actes et écrits, ch. «Crise morale et militaire de 1917», Ed. Flammarion, Paris, 1974, p. 156.
45. P. Pétain, op. cit., p. 160.
46. Voir Yves Delay, op. cit., p. 149.
47. Cité par Benjamin Vallotton, in Cœur à cœur. Le peuple suisse et son Général, Ed. de l’Eglise nationale vaudoise, Lausanne, 1950, p. 95.
49. Document reproduit par W. Gautschi, General Henri Guisan, op. cit., p. 185.
50. «Monsieur le Maréchal,
La vigueur morale, intellectuelle et physique qui vous est conservée au seuil de votre quatre-vingt-sixième année, n’est pas seulement un bienfait pour l’Etat et pour le peuple de France. Elle offre aussi à tous ceux qui, au près et au loin, pendant un quart de siècle, depuis les grands jours de Verdun, suivent et admirent vos efforts, un spectacle réconfortant et un exemple édifiant.
Les marques de l’intérêt fidèle que vous avez témoigné à mon pays et à son armée, en honorant de votre présence nos manœuvres de 1937, sont toujours dans ma mémoire: j’en conserve un vivant et précieux souvenir.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Maréchal, mes vœux les plus déférents et cordiaux pour vous-même et pour l’avenir du pays auquel vous avez fait le don de votre personne.» [signée: Général Guisan], citée par Oscar Gauye in Etudes et Sources, N° 10, Archives Fédérales suisses, Berne, 1984, p. 49, note 100. Pour saisir l’ampleur et la rigueur de la politique antisémite de Pétain durant la guerre, les lecteurs peuvent se reporter au tout récent ouvrage de Paul Webster, Petain’s Crime: The Full Story Of French Collaboration In The Holocaust, Macmillan, 1990.
51. W. Gautschi, General Henri Guisan, op. cité, p. 49.
52. Edouard Chapuisat, Le Général Guisan, Librairie Payot, Lausanne, 1949, pp. 135-136.
53. Dans un rapport adressé au Conseiller fédéral Minger, en date du 4 mai 1940, en faveur de «mesures préventives et de sécurité», Guisan indique: «Il semblerait que les organisations de jeunesse du Parti socialiste rejoignent peu à peu le camp communiste. Le regain d’activité de Nicole qui est prêt à tout [souligné dans l’original] aura avec le temps des effets dangereux… La question reste ouverte dans quelle mesure aujourd’hui une partie des socialistes, qui selon leur comportement donnent à croire qu’ils ont eux-mêmes inventé la démocratie suisse, se manifesteront directement ou indirectement des ennemis de l’Etat» (p.5). Quant aux réfugiés juifs: «On peut retirer des rapports anglais et hollandais que ce sont en grande partie des émigrés juifs, à qui on avait accordé le droit d’asile, qui se sont révélés être une source de danger non négligeable. On ne saurait sous-estimer cette catégorie d’étrangers, si l’on s’appuie sur les expériences faites en Scandinavie, en Angleterre et en Hollande. La compassion et l’indulgence ne sont pas, dans la situation actuelle de la Suisse, à l’ordre du jour, seule la dureté s’impose [souligné dans l’original]» , p. 4. Guisan refusera aussi le statut de soldats aux réfugiés républicains espagnols, internés en France, qui se sont présentés, par exemple le 18 juin 1940, sans succès à la frontière (voir l’article de Jürg Stadelmann, Auf der Flucht vor deutschen Panzern», in Neue Zürcher Zeitung, 16-17 juin 1940).
54. La Nation, 9 septembre 1989 et Bulletin du Crédit Suisse, 8-9, 1989, pp.38-40.
Soyez le premier à commenter