Discours du 1er août des collectifs «Droit de rester»

Eiken: la Conseillère E. Widmer-Schlumpf s'oppose à la prise de parole des manifestants

La «fête nationale suisse» a été, comme chaque année, le théâtre des habituels discours patriotiques. La Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf – membre du Parti bourgeois démocratique (PBD) issu de l’UDC et responsable du Département fédéral de justice et police – avait choisi de se rendre à Eiken (canton d’Argovie), pour l’office patriotique. Ce village fêtait ses 850 ans d’existence sous le slogan: «Eiken pour toutes et tous».

A cette occasion, 150 manifestant·e·s – dont une majorité de sans-papiers engagés dans le mouvement «Droit de rester» – ont décidé d’interpeller la Conseillère fédérale sur la politique de l’exécutif fédéral en matière de migration et de droits des migrant·e·s. De plus, ils ont présenté leurs revendications, placées sous la devise: «Eiken pour toutes et tous. Droit de rester pour toutes et tous».

Les manifestant·e·s, lors de leur arrivée à Eiken, furent encerclé·e·s par le service d’ordre et soumis aux caméras inquisitrices de la police. Après négociations, la police leur permit de se rendre sur le lieu du discours, cela sans pratiquer des contrôles collectifs d’identité. Ils durent cependant se plier à deux préconditions: remettre leur mégaphone (ce qui faisait obstacle à une discussion large, chacun·e pouvant s’adresser à tous et à toutes) ; et interdiction de prendre la parole depuis la tribune officielle.

La conseillère fédérale E. Widmer-Schlumpf a accepté de recevoir une délégation de cinq personnes à l’issue de son discours. Ce qui servait à camoufler, en partie, le contrôle policier serré et l’interdiction d’une prise de parole. Toutefois, la Conseillère fédérale ne peut plus, dorénavant, faire semblant d’ignorer l’existence du mouvement et ses revendications. Elle n’a pas pu répéter cette attitude de dédain silencieux, comme ce fut le cas lors de l’occupation par des sans-papiers du parc de la «Kleine Schanze», à la fin du mois de juin dernier.

Nous publions ci-dessous le discours du 1er août des collectifs «Droit de rester» ainsi que le communiqué de presse qui a été diffusé le même soir. De plus, nous portons à la connaissance de nos lectrices et lecteurs la lettre qui a été adressée à E. Widmer-Schlumpf, en juin dernier. (Réd.)

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Chères habitantes, chers habitants de ce coin de terre qu’on appelle la Suisse,

«Eiken pour tous et toutes», d’après le slogan de la fête du 1er août à Eiken. Nous – êtres humains avec ou sans papiers, associés dans le mouvement pour le droit de rester – acceptons volontiers cette invitation. Puisque nous luttons pour le droit de rester, pour l’égalité des droits. Cela nous interpelle donc directement.

L’histoire fondatrice de la Suisse parle de gens courageux, déterminés à en finir avec la domination et l’arrogance des seigneurs pour choisir la liberté et la démocratie. Ce à quoi nous pouvons aisément nous identifier.

Nous aussi, nous luttons pour la liberté et la démocratie. Nous aussi, nous refusons de nous incliner. Nous ne sommes plus disposé·e·s à supporter en silence la politique migratoire de la Suisse, sa xénophobie et son mépris de la dignité humaine. C’est pour cela que nous avons occupé la Kleine Schanze en juin, à Berne, et c’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui.

Et pourtant, l’histoire fondatrice de la Suisse n’est guère plus qu’un mythe. Et les idéaux qu’elle propage ont bien du mal à trouver un écho dans la réalité.

Ce soir, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf tiendra un discours à l’occasion de cette fête. Elle qui reproduit énergiquement une politique faite de xénophobie et d’exclusion des étrangères et des étrangers. Mme Widmer-Schlumpf, et avec elle un nombre effarant de politiciens et de politiciennes de tous bords, de l’UDC jusqu’aux franges les plus à droite des Verts et du PS, veulent réserver la Suisse à une fraction infime de la population; ou, formulé autrement, à ceux et celles qui rapportent de l’argent. Ce n’est certes pas le sens que nous donnons à la liberté et à la démocratie.

Parmi celles et ceux qui constituent les forces de travail «rentables», une centaine de milliers, peut-être trois cent mille personnes dépourvues de permis de séjour, fournissent un travail sans lequel ménages, restaurants, usines et exploitations agricoles ne pourraient pas tourner.

Tout cela dans des conditions de travail épouvantables, sans protection sociale. Dans la peur constante d’être arrêtées. Déportées. Les cercles du pouvoir en Suisse jouent un double jeu écœurant d’hypocrisie, harcelant ces hommes et ces femmes dont ils ont tellement besoin. Ils les enferment pour une durée allant jusqu’à deux ans pour le seul délit d’avoir posé le pied sur cette terre.

Ces gens n’ont commis aucun crime. Tout ce qu’ils veulent, c’est une vie plus digne. Et la Suisse la leur refuse, elle qui affiche volontiers sa «tradition humanitaire».

La politique migratoire suisse réserve aussi quelques spécialités de son cru aux personnes dont la  demande d’asile a été rejetée: celles-ci vivent avec l’aide d’urgence dans sa forme la plus réduite, sans pouvoir travailler, sans aucune perspective d’avenir.

Pour la plupart, ces personnes déboutées doivent s’entasser dans des abris souterrains. Beaucoup d’entre elles ont fui la misère ou des problèmes politiques insurmontables. Pourtant, les autorités suisses rechignent à leur accorder le droit de rester.

Dans le courant de la semaine d’occupation sur la Kleine Schanze, nous avons écrit une lettre à la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf où nous exposions nos revendications.

Jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune réponse [voir la lettre ci-dessous]. Nous n’avons donc d’autre choix que de nous rappeler à son souvenir. C’est ce que nous faisons aujourd’hui à Eiken.

Nous voulons que Mme Widmer-Schlumpf prenne position sur nos revendications et agisse de manière concrète pour que les sans-papiers et les hommes et les femmes qui demandent l’asile puissent vivre en Suisse dans la dignité. Voici nos revendications :

  • régularisation collective des personnes sans

  • abolition de l’interdiction de travailler

  • abolition du régime de l’aide d’urgence

  • droit au mariage et au regroupement familial

  • droit à la formation

  • respect des droits syndicaux

  • respect de la primauté des Droits humains fondamentaux

Il faut en finir avec cette posture fondamentalement xénophobe qui contamine de larges pans de la justice et des autorités. C’est dans cette optique que nous vous souhaitons un joyeux 1er août, en espérant que cette fête sera riche en rencontres.

Les collectifs suisses Droit de rester

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Communiqué des collectifs Droit de rester de Zurich, Lausanne, Fribourg, Berne et Bâle

Eiken, le 1er août 2010

Le 1er août la Suisse se célèbre comme un pays où règnent la liberté et la démocratie. Le mouvement pour le droit de rester saisit cette occasion pour montrer que des centaines de milliers de personnes  sans-papiers et de requérant·e·s d’asile débouté·e·s se voient  privé·e·s de ces mêmes valeurs affichées.

Eiken: la Conseillère E. Widmer-Schlumpf s’oppose à la prise de parole des manifstant

Une action pour le droit de rester de tous et toutes a eu lieu aujourd’hui à Eiken à l’occasion du discours du 1er août de la  Conseillère fédérale Widmer-Schlumpf. «Eiken pour tous et toutes »  est la consigne des organisateurs/trices de cette fête. Quand les 150  activistes sont arrivé·e·s à Eiken un dispositif de police les attendaient et ils/elles ont été encerclé·e·s. Après de longues  négociations l’accès à la fête nous a été autorisé.

Plus de 100’000 personnes sans-papiers et requérant·e·s d’asile débouté·e·s de toute la Suisse ont accepté cette invitation et sont  venu·e·s à Eiken. Ce sont les mêmes personnes qui ont occupé la Kleine  Schanze à Berne entre le 26 juin et le 2 juillet. Dans le cadre de  cette occupation, la Conseillère fédérale Widmer-Schlumpf a reçu une  lettre avec des revendications (ci-jointe). Jusqu’à aujourd’hui nous  n’avons reçu aucune réponse.

En chantant et avec des banderoles nous sommes arrivé·e·s sur le terrain et nous avons écouté le discours de la Conseillère fédérale  sans l’interrompre. Notre demande de tenir notre propre discours a été  refusée. Nous critiquons le fait que lors d’une journée à l’occasion  de laquelle la liberté et la démocratie sont censées être célébrées,  les personnes sans papiers ne peuvent apparemment pas avoir de voix.

Suite au discours nous avons quitté le terrain pacifiquement.

Discussion avec Widmer-Schlumpf

Actuellement [cette discussion c’est tenue entre 20h00 et 21h00], une délégation de 5 personnes constituée de réfugié·e·s parle avec la Conseillère Widmer-Schlumpf. Nous tiendrons informés les  médias des résultats de cette discussion. Nous doutons par contre que  la Conseillère fédérale responsable de la politique migratoire en  Suisse change sont attitude inhumaine à l’égard des plus de 100’000  personnes sans-papiers.

Le but de l’action d’aujourd’hui était de rendre Madame Widmer-Schlumpf encore une fois attentive à la situation des personnes  sans-papiers et des requérant·e·s d’asile débouté·e·s qui vivent en Suisse et de la confronter directement avec les revendications d’une  régularisation collective et du droit au travail.

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Lettre adressée à E. Widmer-Schlumpf par les collectifs «Droit de rester» lors de l’occupation (26 juin – 2 juillet 2010) du parc de la Kleine Schanze à Berne

Madame la Conseillère Fédérale,

Nous, sans-papiers et sans-papières, requérant·e·s d’asile débouté·e·s, personnes de toute la Suisse avec ou sans permis de séjour, avons décidé de sortir de l’ombre et de revendiquer nos droits: les un·e·s le droit à un séjour légal, les autres le droit à la solidarité. Nous* n’avons pas choisi l’illégalité: elle nous a été imposée par les lois suisses et par un Etat qui ne garantit pas nos droits. Est-il normal de devoir passer par l’illégalité pour parvenir à la légalité?

En tant que requérant·e·s d’asile débouté·e·s, nous sommes soumis·es à un régime d’aide d’urgence indigne et anticonstitutionnel qui n’est qu’un outil de pression pour nous faire disparaître. En tant que travailleurs-euses sans statut légal, nous fournissons un travail indispensable dans les foyers, restaurants, usines et entreprises agricoles suisses, dans des conditions d’exploitation et sans protections sociales. A tout moment, nous sommes emprisonné·e·s et menacé·e·s d’expulsion alors que nous ne cherchons qu’à vivre une vie digne. Nous revendiquons le droit à la migration.

Sous prétexte d’une lutte contre les abus, l’Etat et les politiques dominantes créent un climat de suspicion, de racisme, de xénophobie et de division; ce climat nous criminalise et justifie un système inégalitaire. Comment pouvons-nous avoir encore confiance dans un Etat qui, par ses lois, bafoue toutes les conventions internationales de protection des êtres humains, alors que nous devrions attendre de cet Etat la protection des plus faibles?

Depuis le 26 juin, nous venons de toutes les régions de Suisse pour occuper le parc de la Kleine Schanze à Berne. Nous dénonçons une politique d’asile et de migration inhumaine, vous demandons avec fermeté de vous positionner par rapport aux points suivants et de nous répondre.

  • Régularisation collective des sans-papiers et sans-papières et des débouté·e·s de l’asile résident·e·s en Suisse

  • Acceptation de toutes les demandes d’asile en cours et à venir

  • Arrêt immédiat des expulsions

  • Abolition de l’interdiction de travailler

  • Abolition du régime d’exception de l’aide d’urgence

  • Droit au mariage et au regroupement familial

  • Droit à la formation

  • Respect des droits syndicaux

  • Respect de la primauté des Droits humains fondamentaux

Tant que ces revendications ne seront pas entendues, nous continuerons à nous mobiliser et utiliserons la désobéissance civile afin d’instaurer une véritable démocratie en mouvement pour toutes et tous.

Dans l’attente de votre réponse et en espérant de vous rencontrer bientôt, nous vous adressons, Madame la Conseillère Fédérale, nos meilleures salutations.

Les collectifs Droit de rester Suisse

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Pour ne pas nous laisser diviser, nous utilisons le «nous» pour des énoncés qui nous concernent à différents niveaux, selon notre statut.

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