Par Hervé Kempf
Un an après l’accident nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011 au Japon, on peut penser aux quelque deux millions d’habitants toujours affectés par les conséquences de l’accident de Tchernobyl (Ukraine), le 26 avril 1986. Comme rien n’est plus ennuyeux qu’un drame qui n’en finit pas, les populations vivant dans les territoires contaminés de Biélorussie sont oubliées des médias. Cela n’empêche pas une grossesse sur deux de s’interrompre avant terme, les enfants de présenter des taux élevés de contamination, l’alimentation de devoir être contrôlée, les directeurs d’hôpitaux de s’inquiéter de la baisse de fécondité des hommes… Fukushima devrait reproduire cette histoire sinistre.
Mais, parce que Fukushima a répété l’impossible, il a fait entrer le nucléaire dans une nouvelle phase: désormais, un doute pernicieux pèse définitivement sur cette technologie. L’accident reste possible, se rappelle-t-on, mais surtout ses conséquences sont décidément intolérables: stériliser un territoire pour des décennies et en exiler des dizaines de milliers d’habitants est maintenant une perspective réaliste partout, en Chine, en Russie, aux Etats-Unis, comme… en France. La phase conquérante de l’énergie nucléaire est close.
Ce qui nous conduit à réfléchir au concept de «transition de phase». Les physiciens appellent «transition de phase» une transformation du système étudié qui est provoquée par la variation d’un paramètre extérieur. Quand celui-ci atteint un certain seuil, le système change de phase, ou d’état, et doit suivre des lois différentes de celles de l’état antérieur. Ainsi Fukushima marque une «transition de phase» en ce qui concerne l’énergie nucléaire.
Mais ce concept caractérise notre époque et se retrouve dans d’autres «systèmes». Ainsi le pic pétrolier marque-t-il une transition de phase: l’ère du pétrole et de l’énergie bon marché est passée. De même, le climat semble vivre une transition de phase: l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraîne celle-ci dans une situation tout à fait différente de celle qui prévalait depuis dix millénaires. Les grands écosystèmes terrestres, déséquilibrés par l’action humaine, de l’Amazonie aux océans, semblent aussi amorcer cette transition de phase. Ces phénomènes se traduisent peu à peu dans l’ordre économique. Les candidats qui sollicitent nos suffrages [en France, pour les présidentielles] en semblent peu conscients. Nous avons aussi besoin d’une transition de phase politique.
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Article paru dans Le Monde daté du dimanche 11 et lundi 12 mars 2012, en page 18. Hervé Kempf y tient la chronique «Ecologie». Il est l’auteur, entre autres, de Comment les riches détruisent la planète, Points, Essais, 2009 et Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil janvier 2099 (rééd. Points Essais, septembre 2011).
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