Syrie: «Pour moi, il est naturel donc de soutenir la révolution»

Le Père Paolo Dall'Oglio
Le père Paolo Dall’Oglio

Entretien avec le père Paolo Dall’Oglio

Le père Paolo Dall’Oglio a la carrure d’un géant. Expulsé de Syrie en juin dernier après avoir dénoncé la torture, les exécutions de masse et les crimes contre l’humanité, ce jésuite italien de 57 ans ne prend pas le «non» pour une réponse. Depuis son départ forcé de Syrie, il sillonne le monde pour défendre la révolution. Plus encore, il vient de passer deux semaines en Syrie, protégé et guidé par les rebelles ainsi que par les membres du parti de l’Union démocratique kurde, proche du PKK. «Oui, le PKK, le parti terroriste kurde», dit-il, provocateur, lors d’une rencontre avec la presse à Beyrouth.

Le père Paolo Dall’Oglio ne mâche pas ses mots, peut-être même qu’il aime choquer ses interlocuteurs ou encore qu’il espère ainsi faire passer aux autres sa passion et son énergie contagieuses. [Il sera présent à Zurich pour une journée de réflexion sur les «soulèvements dans le monde arabe» et «la solidarité avec le peuple syrien en lutte», le samedi 13 avril 2013.]

Arrivé au Moyen-Orient durant les années soixante-dix, il prononce ses vœux au couvent jésuite de Bickfaya [Liban]. Au début des années quatre-vingt, il découvre le couvent syriaque de Mar Moussa en Syrie, vieux de plus de 1000 ans et abandonné durant plus de deux siècles. Il décide de le restaurer et de le faire revivre.

Il y passe trente ans, jusqu’à son expulsion l’été dernier. Durant plusieurs années, il organise des pèlerinages, destinés aux Occidentaux voulant retrouver les traces des premiers chrétiens, partant d’Ourfa (l’ancienne ville syriaque d’Edesse en Turquie), jusqu’à Hébron en Cisjordanie, en passant par Deir Mar Moussa [à quelque 90 kilomètres au nord de Damas]. Les portes de son couvent sont grandes ouvertes aussi bien aux musulmans qu’aux chrétiens. Il fait du dialogue interreligieux son cheval de bataille.

Accusé d’être un «prêtre islamiste», il ne fait pas les choses à moitié. Soutenir la révolution syrienne est «venu naturellement» à ce fils d’un résistant italien qui s’était battu contre le nazisme. «Je suis démocrate et révolutionnaire depuis mon enfance. Mon père disait tout le temps qu’il reprendrait les armes s’il y avait un coup d’Etat contre la démocratie en Italie», indique-t-il à L’Orient-Le Jour. «Pour moi, il est naturel donc de soutenir la révolution. Ce qui n’est pas naturel, c’était l’immense patience de mes trente ans passés en Syrie, c’était un vrai sacrifice pour moi de traiter avec le régime fasciste», ajoute-t-il.

Aujourd’hui, alors que la guerre bat son plein en Syrie, le père Dall’Oglio travaille pour la réconciliation, voulant que le pays demeure après la chute de Bachar el-Assad «un pays de mosaïque religieuse». Comme un journaliste engagé ou un porte-parole d’une révolution, il entame sa rencontre avec la presse par un compte rendu de la situation, décrivant la désolation des villes et des villages qu’il a visités au cours des quinze derniers jours: Malkié (Kurdistan irakien), Qamichli, Ras el-Aïn, Tell Abiad, jusqu’au fleuve Oronte.

«L’irresponsabilité terroriste de la communauté internationale »

Dressant un état des lieux, il indique que «le régime Assad est dans la logique du suicide. Sur le terrain, les révolutionnaires ont besoin d’arriver à Homs et Hama, et ils peuvent parvenir à Damas, et le régime a besoin de retourner à Alep ou du moins d’arrêter la révolution avant Hama. Homs est dans une situation désespérée car elle est bloquée aussi bien du côté syrien que du côté libanais; la Békaa n’est pas entièrement sous le contrôle des amis de la révolution syrienne, et des membres du Hezbollah se battent dans divers endroits de la Syrie.» «Le terme “guerre civile sectaire” que certains emploient pour désigner le conflit a été utilisé pour ne plus être solidaire du peuple syrien. C’est une façon de justifier le régime dans sa répression et de laisser le peuple syrien seul», note-t-il.

Appelant la communauté internationale à être consistante avec elle-même, il déclare: «Vous ne pouvez pas nous condamner à la non-violence quand vous n’agissez pas et quand vous ne protégez pas le peuple syrien. Si vous refusez le droit aux personnes de se défendre, nous tomberons inévitablement dans un enfer de violence.»

Dénonçant la politique des deux poids deux mesures, il estime que «le manque radical, voire terroriste, de responsabilité de la part de la communauté internationale a produit une justification de l’islamisation de la révolution».

Quand il évoque le peuple syrien qui lutte contre le régime Assad, le père Dall’Oglio utilise le pronom «nous». «Il m’est très difficile de rester loin de la Syrie; je défends le peuple syrien afin qu’il se défende. Je me sens responsable de la société syrienne, et mon désir est de réfléchir à des moyens de réconciliation», dit-il. «Il serait intéressant actuellement de demander aux salafistes quelle est la place qu’ils accordent aux alaouites ou encore aux séculaires. Nous devons tous apprendre à vivre ensemble dans une démocratie, et c’est pour cela qu’il faut des moyens pour sortir de la violence. La démocratie est un moyen de discuter sans s’entre-tuer. Devant l’irresponsabilité de la communauté internationale, les non-violents qui luttent pour défendre le droit du peuple syrien ont été mis de côté, éloignés. Certains d’entre eux ont quitté le pays. Des jihadistes étrangers ont intégré l’Armée syrienne libre», ajoute-t-il.

Malgré toute la violence qui sévit actuellement en Syrie, le père Dall’Oglio croit à la réconciliation. Il remarque aussi cela «auprès des islamistes qui se battent, mais qui en même temps œuvrent pour la tolérance et pour le respect de l’autre».

«Les non-violents ne constituent pas une alternative à la violence»

«Dès à présent, nous avons besoin du travail des non-violents ; si nous ne pensons pas à la réconciliation à partir d’aujourd’hui, nous ne nous remettrons jamais de la guerre. Les personnes qui prônent la non-violence ne doivent pas croire cependant qu’ils constituent une alternative à la violence. Ils ne sont pas une solution. On ne peut pas se débarrasser des dictateurs avec la non-violence», martèle-t-il. «La présence des non-violents est aussi nécessaire durant les combats. Ils humanisent les batailles et les empêchent de tomber dans la monstruosité. Après la guerre, ils pacifient les cœurs, en mettant notamment en place une éducation de la réconciliation», ajoute-t-il.

Le père Dall’Oglio reste optimiste pour «la mosaïque syrienne». Il réfléchit même aux formules qui pourraient être adoptées après le conflit. «Il faut penser à la Syrie comme une union de la République de la Syrie, pas celle imposée par le Baas, mais une union des communautés sans pour autant créer une fédération. Dans cette union syrienne, il y aura la démocratie, la décentralisation et l’autodétermination car il y aura des parties de ce territoire où les alaouites, les Kurdes, les druzes et les Bédouins seront majoritaires», dit-il.

«Le manque de culture démocratique des chrétiens du Moyen-Orient»

A la question de L’Orient-Le Jour de savoir comment peut-il être optimiste concernant la préservation de la «mosaïque syrienne» après la guerre, compte tenu de la situation actuelle sur le terrain, il indique: «L’espoir est une vertu, il y a l’espoir engagé, l’espoir dans le travail, l’espoir dans le combat. Je l’ai déjà répété à plusieurs reprises, non seulement avec le début du conflit en Syrie, mais aussi des années plus tôt: si les chrétiens soutiennent le régime parce qu’ils ont peur de l’islamisme, ils quitteront massivement le pays. C’est ce qui est arrivé en Irak, c’est ce qui arrive en Syrie, et si l’on ne trouve pas de solution, cela se produira également au Liban. Nous avons besoin d’une vision symbolique et cohérente où l’autre a sa place, l’autre a besoin d’un chez-soi chez moi.»

Et de lancer: «Les chrétiens du Moyen-Orient ne savent pas pourquoi Dieu les a maudits en les obligeant à rester avec les musulmans. Quand on n’a pas une réponse à cela, on part, on quitte le pays. Il leur faut une réponse spirituelle, pas uniquement sociale ou économique.»

Que peut-on donc faire pour rassurer les chrétiens du Moyen-Orient qui, pour la plupart, soutiennent ou ont soutenu des dictateurs afin qu’ils préservent leur place et qu’ils croient en la démocratie?

«En Syrie, il existe beaucoup de chrétiens qui sont persécutés, emprisonnés, torturés et tués par le régime Assad et qui se battent avec la révolution. Il y a nombre d’habitants de villages chrétiens enclavés dans des zones sunnites qui ne sont pas partis, ils savent qu’ils sont protégés par la majorité sunnite. Certains chrétiens, spécialement ceux qui habitent Damas, sont rentrés dans leurs villages d’origine à l’ouest de la Syrie. Ceux-là sont solidaires des alaouites

«Il existe en effet un manque de culture de la démocratie auprès des chrétiens de Syrie. Les chrétiens de la région n’ont pas appris la démocratie ni à l’école, ni dans leur famille, ni à l’église», poursuit-il, ne voulant «pas m’attarder sur la question, car la question chrétienne en Syrie et au Moyen-Orient est plus complexe que cela».

Et de souligner en conclusion: «Si la communauté internationale demeure islamophobe, les musulmans deviendront de plus en plus islamistes et le monde de plus en plus insupportable.»

En prenant congé de ses interlocuteurs, le père Dall’Oglio leur adresse une invitation: «Vous viendrez me rendre visite au couvent de Mar Moussa quand la Syrie retrouvera la paix, je vous attends.» En attendant son retour en Syrie, il a élu domicile non loin de là, dans le Kurdistan irakien.

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Cet entretien a été publié dans le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, en date du 7 mars 2013

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