Syrie: la révolution orpheline et les différentes positions internationales

Dialogue avec Yassine Al Haj Saleh, Leyla Safadi pour Tleena Al Hourrieh

Il semble que les positions chinoises et russes clairement hostiles à la révolution syrienne aient détourné l’attention de la réelle position des Etats occidentaux et des Etats-Unis face à la révolution syrienne. Beaucoup voient dans ces positions (avec en arrière-plan celle d’Israël) une réalité plus hostile au peuple syrien qu’à son régime, qui pourtant revendique la résistance à Israël. Ces positions se réfugient derrière le double veto et se contentent d’émettre des positions verbales. Quel est votre regard sur la réalité de ces positions et celles escomptées?

Il me semble que la Russie et l’Iran en particulier, ainsi que la Chine, agissent concrètement contre la révolution syrienne à la faveur d’une alliance active avec le régime syrien. Les puissances occidentales n’entretiennent pas d’amitié active avec la révolution et le peuple syrien, mais elles n’agissent pas pour autant activement contre eux. Elles sont par contre des adversaires du régime syrien, mais ne luttent pas pour autant activement contre lui non plus…

Les Occidentaux n’ont pas d’intérêt à soutenir la révolution parce qu’ils ne savent pas où elle va… mais aussi parce que nous faisons partie d’un monde qui leur apparaît hostile culturellement, parce que leur politique est soumise aux nécessités de la sécurité d’Israël qui souhaite, lui, que le régime syrien reste en place ou que la situation se détériore suffisamment pour affaiblir durablement ce régime.

J’imagine que les questions que se posent les hommes politiques occidentaux sont: doit-on intervenir en Syrie? Et en tentant d’y répondre, ils ne trouvent pas d’intérêt évident pour leur pays. Et à la question: doit-on armer l’opposition syrienne?, il semble que la réponse soit elle aussi négative de peur, selon un point de vue occidental, de voir ces armes tomber entre les mauvaises mains. Et aussi parce que cela créerait, ici, une course à l’armement avec la Russie dans laquelle l’Occident n’a pas intérêt à se lancer.

Globalement, c’est parce qu’il n’y a pas de raison jugée valable d’armer une résistance syrienne qui n’a à l’égard des forces occidentales aucune loyauté, ou sentiment commun ou de confiance. La situation humanitaire actuelle en Syrie n’est pas un argument fort du point de vue de l’homme politique occidental pour appuyer une intervention étrangère…

Pendant que la Russie, l’Iran, et la Chine à sa façon, fournissent le régime en moyens pour tuer les Syriens et couvrir ses crimes internationalement.

Mais de cela nous ne pouvons accuser les forces occidentales.

Est-ce que nous devons leur en vouloir de ne pas nous protéger? De ne rien faire contre les tueries? De leur manque d’empathie envers les Syriens? De les voir nous observer pendant que le régime syrien et ses alliés sont en train de tuer notre peuple et détruire notre pays? De ne pas mériter notre confiance? De l’inconsistance de leur discours humanitaire? Tout cela leur est reprochable certes, mais cela n’égale pas l’engagement de l’Iran, de la Russie et de la Chine au côté du régime syrien.

Nous pouvons aussi blâmer les occidentaux sur la timidité de leur action humanitaire, et même par rapport aux sanctions infligées au régime, qui n’ont d’effet qu’à long terme, et laissent ainsi la tuerie syrienne se poursuivre et le pays s’effondrer. […]

En tout état de cause on ne peut mettre sur pied d’égalité la responsabilité de la Russie, de l’Iran et de la Chine et celle des occidentaux dans l’épreuve à laquelle fait face le peuple syrien en ce moment.

Certains pensent que le dénouement de la crise syrienne passe par Moscou et que face à l’appui inconditionnel de la Russie au régime il n’y a pas de volonté américaine ou européenne pour s’impliquer concrètement, ou simplement en soutenant les révolutionnaires dans leurs besoins essentiels. Malgré la position méprisable actuelle des Russes, ceux-ci ont peut-être à proposer une solution raisonnable en obtenant une représentation locale de leurs intérêts qui leur permettra de se passer du régime syrien. Quel est votre avis? Est-ce que la position de la majorité de l’opposition qui est proche de l’Occident et exècre la politique russe n’est pas un obstacle à la solution?

A mon avis, ce que pensent ces gens est idiot ou, pire, mal intentionné… Et dans les deux cas cela suppose l’humiliation du peuple syrien. Les Russes ont participé a la tuerie de dizaine de milliers d’entre nous et ont poussé à la destruction de notre pays. On ne doit pas récompenser Moscou pour cela.

Dire que «le dénouement de la crise syrienne est entre les mains de Moscou» renvoie à ce que disait Anouar Al Sadate en son temps: 99% des clefs de la solution du conflit arabo-israélien sont entre les mains des Américains. Je ne trouve pas assez de mots pour exprimer le dédain que j’éprouve pour cette «solution raisonnable» qui consisterait à devenir l’agent de Moscou, ou le «représentant local» de ses intérêts pour que la Russie se passe du régime syrien actuel. Je rappelle que Anouar Al Sadate a fait de la grande Egypte un agent de Washington et un petit gardien de sa paix avec Israël; cela sans bien sûr toucher au statut d’Israel et à ses priorités.

J’ai bien peur que Moscou cherche réellement deux représentants locaux de ses intérêts, non pas pour se passer du régime de Bachar el-Assad, mais plutôt comme solution de secours en cas de besoin, ou comme accessoire pour embellir le régime: un «New» Front National Progressiste dans le meilleur des cas…

Je pense également que la position des opposants syriens s’est forgée pendant la révolution. Elle n’était pas à la base proche de l’Occident (elle ne l’est toujours pas, malgré les dissensions avec les politiques des quelques opposants qui se tournent vers Moscou). Et elle n’était pas non plus hostile à la politique russe auparavant. Mais quoi de plus humain et de plus naturel que de lutter contre notre ennemi et de refuser de tendre la main a celui qui soutien notre assassin?

Vous savez bien sûr que l’opposition a tenté malgré tout de tendre la main à la Russie… mais cela n’a absolument abouti à rien. Par contre, si la position de Moscou évolue, alors «ahlan wa sahlan» [bienvenue]. En politique, il n’y a ni amitié éternelle, ni hostilité éternelle. Notre constante unique est l’intérêt de notre peuple et de notre pays; et notre intérêt aujourd’hui réside dans la victoire de la révolution et la chute de ce régime.

Etant donné l’impasse actuelle – l’engagement russe et iranien contre le peuple syrien qui se fait massacrer, le silence international aux niveaux des gouvernements et des peuples… – et en l’absence de tout frein au régime sanguinaire, comment voyez-vous l’avenir de la révolution syrienne?

Voilà une question difficile. La révolution s’étendait et diversifiait ses modes de résistance, et trouvait des solutions à chaque difficulté qu’elle rencontrait jusqu’au milieu de juillet 2012 au moment du début de l’affrontement direct [militaire] avec le régime. Celui-ci a lancé son aviation militaire et a adopté la stratégie de destruction de l’environnement local à ce moment-là par des bombardements et des exécutions sommaires, dans le but de creuser encore le fossé entre l’activisme civil et la résistance armée… Le chiffre moyen des victimes par jour a été multiplié par deux, voire plus, dépassant les 100 morts chaque jour, voir 200 certains autres.

L’Iran a alors déclaré que la bataille syrienne était sienne. Le régime a semblé plus sûr de lui et plus en confiance pour ce qui est de son immunité quelle que soit l’étendue de ses crimes.

Alors que les deux organisations, l’arabe [Ligue arabe] et l’internationale [ONU], restent totalement paralysées face à la situation à l’étape actuelle, il y a une extension des zones d’affrontement militaire initiée par la révolution vers les régions de Damas, Alep et Raqqa, alors que les affrontements se poursuivent dans d’autres régions telles que Daraa, Homs, Idleb et Deir Azzor. Mais cela ne semble pas suffisant pour faire face aux crimes du régime et au soutien militaire russe et iranien qu’il reçoit. Je crains que nous ne soyons engagés dans un long conflit difficile à trancher, avec une généralisation de la destruction sur toute la Syrie; ou que sa résolution dépende de conflits régionaux plus larges, comme le dossier du nucléaire iranien en particulier.

Je ne sais pas comment va évoluer la situation dans les semaines à venir mais je constate que nous n’avons pas de choix. Nous devons continuer l’affrontement et l’étendre dans le but de faire chuter le régime ou de lui imposer la négociation depuis une position de force. Tous les efforts de l’opposition doivent se concentrer sur cela, à mon avis. (Traduit de l’arabe pour A l’Encontre par Jihane Al Ali)

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Ce dialogue a été publié dans le Journal des Comités Locaux de Coordination, le mardi  25 septembre 2012. Le titre entier est le suivant: «A propos de la révolution orpheline et des différentes positions internationales qu’elle suscite, son avenir et son potentiel face à l’impasse de la situation actuelle».

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