Syrie. Bachar al-Assad et la stratégie «de diabolisation de la révolution»

Par Hala Kodmani

Il est le seul de tous les dictateurs contestés en 2011 à être encore en place. Il devrait même se représenter pour un quatrième septennat dans quelques mois. La survie de Bachar al-Assad à la tête de son pays paraît phénoménale compte tenu des mutations du conflit en Syrie et de l’état dans lequel se trouve aujourd’hui le pays. Les trois quarts de son territoire sont dévastés, des villes entières détruites et vidées de leurs habitants, les morts se comptent par centaines de milliers. Avec six millions de réfugiés hors du pays et autant de déplacés à l’intérieur, près de la moitié de la population a perdu son domicile. Des armées et milices étrangères contrôlent des pans entiers du territoire et de ce qu’il reste de ses richesses. Les sanctions internationales étranglent le pouvoir comme la population. Mais c’est le prix que le régime était prêt à payer pour rester en place. «Al-Assad ou on brûle le pays!» scandaient ses sbires face aux protestataires de 2011. Dix ans plus tard, le «et» a remplacé le «ou»: Al-Assad est bien là, et le pays est en cendres.

Répression

Défendre son pouvoir a toujours été l’objectif du président syrien et la clé de sa survie. Il pouvait compter sur l’Etat sécuritaire hérité de son père, méthodiquement construit depuis quarante ans dans le but de protéger son clan au pouvoir. Dans la famille soudée autour de lui, son frère cadet Maher tient les troupes d’élite de l’armée. Plusieurs de ses cousins sont en charge des services de répression. Le plus proche de lui, l’homme d’affaires Rami Makhlouf, qui vampirise l’économie syrienne depuis l’accession de Bachar au pouvoir, gère le nerf de la guerre. Déterminés à préserver le régime sans rien céder face à la révolte populaire, tous s’engagent dans une répression implacable, qui ira crescendo. Après les tirs à balles réelles contre les premiers manifestants pacifiques, l’artillerie pilonne les quartiers révoltés, puis, dès fin 2012, l’aviation écrase des villes entières sous les bombes. En 2013, même les armes chimiques sont utilisées contre les civils. Les troupes qui mènent la répression contre leur propre peuple sont parfaitement encadrées par des officiers «loyalistes». Car le clan au pouvoir mobilise la communauté alaouite minoritaire, dont la famille Al-Assad est issue, en lui faisant croire que sa survie dépend de celle du régime.

Quand tout ça ne suffit plus à défendre son pouvoir et son territoire, Al-Assad s’en remet à ses alliés extérieurs. L’Iran mobilise à son côté de puissantes milices, à commencer par le Hezbollah libanais, mais aussi des dizaines de milliers de combattants chiites iraniens, irakiens et même afghans. Le dictateur syrien leur cède sans sourciller les prérogatives de son Etat et de son armée, dès lors qu’ils se battent pour lui. Il abandonnera encore plus de souveraineté quand la Russie viendra le sauver en 2015, alors qu’il a perdu le contrôle de 80% du territoire. Moscou, qui l’a protégé politiquement et diplomatiquement par des vetos à l’ONU, intervient militairement pour lui assurer une reconquête décisive. Les Russes gagnent une ouverture royale sur la Méditerranée avec, en plus de leur base navale de Tartous, une base aérienne dans la région de Lattaquié et des concessions prioritaires sur les ports comme sur le phosphate syrien.

Terrorisme

Mais la stratégie la plus réussie d’Al-Assad aura sans doute été de jouer la carte du terrorisme islamiste. Ou la «diabolisation de la révolution», selon l’expression des opposants syriens. Dénonçant dès les premiers jours un «complot», le récit officiel qualifie les manifestants d’«infiltrés» et évoque «des salafistes armés venus de l’étranger». Prophétie autoréalisatrice ou plan d’action réfléchi?

La menace brandie s’accompagne en tout cas de décisions concrètes, dont la libération de centaines de jihadistes, dont d’illustres chefs islamistes qui se dirigent vers le nord de la Syrie. Par la suite, les raids aériens sur les territoires rebelles ciblent plus souvent la population civile que les combattants extrémistes. Cela devient remarquable en 2014, quand l’Etat islamique installe son «califat» à cheval sur l’Irak et la Syrie. Sa capitale, Raqqa, n’a jamais été autant bombardée par l’aviation syrienne et russe qu’Alep ou Idlib. Les frappes sur Raqqa reviendront à la coalition internationale, qui lance la guerre contre la centrale jihadiste. Mobilisés contre une menace supérieure qui s’étend jusqu’à leurs sociétés, les pays occidentaux ont renoncé à s’opposer au régime syrien. «Al-Assad n’est pas notre ennemi», dira même Macron au lendemain de son élection, pour faire valoir que «l’ennemi de la France en Syrie, c’est Daech». Al-Assad peut considérer qu’il a gagné son pari, dès lors qu’il s’est présenté comme l’alternative au chaos terroriste. Sauf qu’après avoir gagné sa guerre, il semble n’avoir aucun plan pour reconstruire une Syrie pacifiée. (Article publié dans le quotidien Libération le 29 janvier 2021)

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