«En face de nous, il y a cette école juste à côté de la mosquée, vous la voyez? C’est là que les combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) se trouvent.» Nous sommes à 10 km au nord de Manbij, sur la ligne de front, et en face de nous il y a ces positions tenues par l’ASL, supplétive de l’armée turque. A combien de kilomètres sommes-nous? «Ils sont à moins d’un kilomètre, 700 mètres au maximum.» Il y a des impacts de balles un peu partout autour de nous, il y a des tirs, il y a des affrontements parfois? «Oui, cela arrive souvent. Hier soir, par exemple, il était environ 22 heures, il faisait nuit. Les combattants de l’ASL se sont mis à tirer, ce sont les traces que vous voyez. Les Américains nous demandent de ne pas ripostent. Ils viennent régulièrement nous rendre visite, tous les deux ou trois jours, pour voir si tout va bien. Ils nous disent de ne pas céder aux provocations. Les ordres sont de ne tirer que s’ils avancent vers nous.»
L’anxiété est visible sur le visage de Mustapha, originaire de Kobané. Car, ici, la situation est à l’image de la guerre en Syrie, complexe. D’un côté, les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les Etats-Unis, majoritairement kurdes, mais également arabes. C’est cette coalition qui a chassé Daech de Manbij à l’été 2016. De l’autre, la Turquie qui a lancé l’opération «Bouclier de l’Euphrate», officiellement pour combattre les djihadistes, mais en réalité Ankara veut limiter l’influence des Kurdes.
Ahmed ne cesse de scruter l’horizon à l’aide de ses jumelles. «Je suis Arabe, je viens de la ville d’Hassaké [nord-est de la Syrie]. Ici, il y a des combattants kurdes, arabes, il n’y a pas de différence. Nous combattons le même ennemi. Nous sommes les enfants de cette terre, nous allons la défendre. En face de nous, ce ne sont que des mercenaires. Ils se réclament de l’ASL, mais en fait ils ont été achetés par la Turquie.»
Plus au sud, c’est la ville de Manbij, multiethnique, où règne une coexistence pacifique. Un conseil militaire a été formé pour défendre la cité. Il est dirigé par Abu Adel: «Le conseil militaire de Manbij a été créé en 2016, juste avant la libération. Actuellement nous disposons de 5000 combattants. Nous sommes prêts à défendre Manbij avec ou sans l’aide de la coalition internationale. Pour l’instant, nous comptons sur l’aide des Américains qui nous ont aidés à chasser les djihadistes. Ils sont là avec nous, sur le terrain. Ils nous ont dit qu’ils resteront pour nous aider à protéger notre ville. Nous verrons.»
Les Etats-Unis se veulent rassurants. Ils déclarent vouloir s’opposer à la progression des forces turques. Ce sont eux qui contrôlent l’espace aérien de ce côté de l’Euphrate. Contrairement à la région d’Afrin, plus à l’ouest, où les Russes, maîtres du ciel, ont donné leur feu vert à Ankara pour en prendre le contrôle.
Mais cela ne suffit pas à apaiser les inquiétudes de la population. Amhid est avocat et membre du conseil civil de Manbij chargé de gérer la ville. «En fait, nous sommes parvenus à une forme de stabilité dans la région. Nous sommes les premiers surpris de voir que ça se passe bien, que l’économie a repris. Mais chaque déclaration de la Turquie ne fait qu’inquiéter davantage la population. Les gens commencent à avoir peur. Ils ne veulent plus de guerre, d’exode. Ils ont vu ce qui s’est passé à Afrin, les morts, les pillages. Ils ne veulent pas de ça. Moi, ce que j’aimerais dire à Erdogan, c’est “arrête ta politique coloniale en Syrie et laisse-nous tranquille”.»
Pendant ce temps, Ankara poursuit ses menaces contre les Kurdes, alliés des Etats-Unis mais qui ne sont pas à l’abri d’un lâchage de Washington. Les récentes déclarations de Donald Trump ont semé le trouble. Le président américain affirmait en fin de semaine dernière vouloir retirer ses soldats de Syrie très bientôt. (Reportage d’Omar Ouahmane à Manbij, passé sur France Culture, le lundi 2 avril 2018, à 7h35; décrypté par A l’Encontre)
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