Par Samer Attar
Alors que la discussion publico-médiatique se concentre sur les «négociations» américano-russes sur le «désarmement chimique» de la Syrie du «clan Assad» – «Sourya al-Assad», autrement dit la Syrie d’Assad (voir l’infographie à ce lien: http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130918-syrie-clan-assad-infographie-famille-dynastie) – l’armée du dictateur et ses milices continuent à exécuter des villageois et à bombarder des quartiers de Damas et d’autres villes. Ainsi, quinze personnes ont été tuées lors d’une attaque menée par l’armée syrienne et des miliciens pro-régime, le vendredi 20 septembre, dans le village sunnite de Cheikh Hadid, dans le centre du pays. Les victimes ont été tuées par balles et à l’arme blanche.
Bachar, selon l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), a annoncé, le vendredi 20 septembre, que le régime syrien avait commencé à fournir des données détaillées au sujet de son arsenal chimique. Conformément à l’accord américano-russe signé le 14 septembre à Genève. La liste semble impressionnante. La diplomatie de l’autocrate Poutine met, rhétoriquement, en garde Bachar: Sergueï Ivanov, le chef de l’administration présidentielle russe, affirme que si Bachar «ment», le gouvernement russe ne s’opposera plus aux sanctions. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à approvisionner l’arsenal de l’armée dictatoriale. De plus, tout le «débat» tourne autour non seulement de la liste, de sa complétude, mais aussi de l’emplacement d’un «matériel chimique» dispersé dans le pays. Cet inventaire a aussi été bien accueilli par l’administration Obama qui joue les «étonnées»: Bachar a livré la liste dans les délais impartis, dès le 21 septembre! Genève 2 se prépare, pour assurer la pérennité de l’appareil d’Etat syrien.
La question de l’aide militaire aux «rebelles anti-Assad» – dont la diversification politique s’est accrue suite au semi-isolement sur le plan militaire dans lequel ont été plongées les forces les plus proches du soulèvement populaire initié en mars 2011 – fait débat dans une gauche, dont la majorité s’est réveillée seulement à l’occasion des menaces de bombardements états-uniens après avoir ignoré le soulèvement populaire anti-dictatorial ou l’avoir caractérisé, avec la stupidité propre au néo-stalinisme campiste, comme le résultat d’un complot impérialiste. Cela de concert avec les positions de l’extrême-droite européenne dont les relations avec le clan Assad existent de longue date et aussi sous la forme de financements prolongés.
Le site Alencontre partage – et l’a exprimé depuis longtemps – la position que notre camarade algérien Nadir Djermoune a développée dans son article publié en date du 21 septembre 2013: http://alencontre.org/moyenorient/egypte/trois-hypotheses-et-trois-revolutions-en-cours.html.
L’article que nous publions ci-dessous (bien que nous ne partagions pas l’opinion générale de l’auteur sur les mérites de la «démocratie américaine» et de l’impérialisme états-unien) permet à nos lectrices et lecteurs de prendre connaissance de ladite crise humanitaire – en fait d’une tuerie à grande échelle avec tous ses effets tragiques, dans le cadre de ce qui est devenu une «guerre civile» – d’une ampleur pas connue depuis la Seconde Guerre mondiale; quand bien même une tragédie similaire frappe la population d’Irak suite aux guerres menées par l’impérialisme américain et ses alliés du moment (le régime d’Assad entre autres). Des guerres «passées» – dont l’actualité reste – qui sont étrangement ignorées aujourd’hui où la situation en Irak semble se réduire strictement à des affrontements terroristes entre «chiites» et «sunnites». (Rédaction A l’Encontre)
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Alep est véritablement une place horrible dans laquelle se trouver.
Alors une ville cosmopolite, vibrante, elle s’est transformée en un paysage apocalyptique marqué par les destructions. Des snipers tirent sur des gens qui font la file pour recevoir du pain et des frappes aériennes broient des familles dans leur sommeil.
Il y a toujours des gens bien à Alep: des civils innocents, qui ne combattent pas. Certains sont trop pauvres ou malades pour fuir; d’autres refusent par principe de quitter leurs maisons.
Ils font face à un choix difficile: risque de décès, de maladie, de famine et d’être des sans domicile permanents comme réfugiés dans un camp avec des égouts à ciel ouvert, vivant dans des tentes et subissant la déshydratation en été et le froid glacial en hiver. Ou affronter les balles, les éclats d’obus et l’incinération à domicile. Beaucoup préfèrent risquer de mourir à la maison.
Tomber malade ou être blessé à Alep est un problème. Les hôpitaux ont été choisis comme cibles et détruits. Les médecins risquent la torture, l’emprisonnement et la mort s’ils sont attrapés en train de prendre soin de ceux de «l’autre côté». Peu sont restés pour traiter ceux qui sont restés en arrière.
J’ai passé récemment deux semaines dans un hôpital de terrain clandestin, travaillant aux côtés d’un groupe remarquable de médecins syriens et d’infirmières.
Un jour ordinaire était quelque chose d’épuisant et suscitant l’horreur. Nous vivions dans nos tenues de soins et dormions à même le sol. Nous prenions chacun notre tour pour les réanimations cardio-vasculaires. Nous prenions chacun notre tour pour tirer les couvertures au-dessus des visages des morts. Nous prenions chacun notre tour pour renouveler les pansements, stabiliser les fractures et faire des amputations.
Nous faisions beaucoup d’amputations, la plupart sur des enfants. Il semblait que l’on faisait des amputations tous les jours.
A la suite d’une frappe aérienne, les gens s’assemblaient devant la porte et il n’y avait pas suffisamment de place à part sur le sol. Le sang se suivait à la trace dans la rue. Il y avait du sang sur tout le sol. Du sang partout sur nous.
Parfois, l’hôpital était secoué par des explosions proches. Les vitres de certaines fenêtres s’étaient brisées bien avant que je n’arrive.
Le bruit des frappes aériennes, des tirs d’artilleries et d’armes à feu s’arrêtait rarement. Lorsque c’était le cas, les cris suivaient toujours.
Certaines nuits, c’était comme si les cris ne devaient jamais s’arrêter. Un enfant demandant quand sa jambe manquante allait cesser de lui faire mal; un autre appelant sa mère, son père, ses frères et sœurs, ne sachant pas qu’ils avaient été tués.
J’ai rencontré un père et son fils dont ils manquaient à tous les deux leurs jambes parce qu’ils dormaient dans la même chambre lorsqu’un missile s’est écrasé sur leur maison.
J’ai rencontré des parents en sang, transportant des enfants sans vie portant des blessures de balles à la tête ou dans la poitrine, victimes de snipers qui écument les toits de la ville, ciblant et terrorisant les faibles et les personnes vulnérables.
Et ce n’était qu’au cours des premiers jours.
Ce n’est pas une manière de vivre. Je n’étais là-bas que deux semaines. Pour l’équipe de l’hôpital, c’était ainsi tous les jours depuis un an. Ils vivent dans l’hôpital et ne le quittent que rarement.
Le fait que je sois un Américain n’était pas un problème pour eux. Mais certains d’entre eux me disaient qu’ils se sentaient oubliés et abandonnés, que personne n’entendait leurs voix.
Dans une époque de guerre et de chaos, les extrémistes tendent à noyer les voix de la modération. Mais des personnes bonnes, modérées et responsables sur le terrain ne devraient pas être oubliées. Ces médecins et ces infirmières risquent leurs vies pour en sauver d’autres, ils incarnent un ferme esprit d’espoir et de persévérance. Ils ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent obtenir et ils prendront tout ce qui sera donné.
Avec réalisme, sans une résolution décisive et exécutable, le massacre continuera. Des milliers d’autres gens innocents souffriront et mourront misérablement.
La situation en Syrie ne regarde pas seulement les armes chimiques. C’est le meurtre systématique d’innocents par un régime tyrannique qui se déchaîne violemment pour rester au pouvoir.
Les Etats-Unis font face à des questions internes qui nécessitent de l’attention: la criminalité, le système de soins, l’éducation, le chômage, les domiciles. Plus de deux millions de vétérans ont été actifs en Irak et en Afghanistan, des milliers d’entre eux ont été blessé et ont besoin de soins et de soutien.
Mais le massacre en Syrie doit être arrêté. Il faut que cesse le ciblage des hôpitaux et des médecins.
Les idéaux et principes américains de liberté, de justice et d’égalité pour tous sont exceptionnels – quoi que puisse en penser le président de Russie. Ces principes ont pu être ou ne pas être mis en pratique de la meilleure façon par nos responsables élus – une opinion qui, si je vivais en Russie ou en Syrie, pourrait me conduire en prison si je l’exprimais. Mais le peuple américain a été – et devrait continuer à être – une force pour le bien dans ce monde.
Peu importe la position que l’on adopte au sujet de l’intervention militaire, il y a d’autres façons d’aider – même si c’est uniquement pour les soins, les abris et l’éducation des gens qui ont été blessés et déplacés en Syrie. De nombreux groupes humanitaires peuvent aider par des choses aussi simples que de l’eau potable, des pansements et des couvertures.
Il y a des manières par lesquelles les Américains peuvent rendre la vie en Syrie meilleure, même si ce n’est que pour quelques personnes. Un jour, en mémoire de cette gentillesse et de cette générosité, ces quelques survivants seront capables de changer leur région pour le mieux. (Traduction A l’Encontre)
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Article publié le 21 septembre dans le quotidien The Washington Post. Samer Attar est professeur assistant en chirurgie orthopédique à la Northwestern University (Etat d’Illinois). Il a voyagé à Alep le mois dernier.
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