«Si vous essayez de vous défendre, vous êtes mort»: une nuit de terreur d’un village de Cisjordanie

Funérailles de Khalil Salem Ziadeh le 27 août. (Oren Ziv)

Par Oren Ziv

Mardi matin 27 août, les rues du village de Wadi Rahal étaient jonchées de pierres et de douilles de balles, preuves de l’attaque de la nuit précédente. Selon les habitants palestiniens du village, situé au sud de Bethléem, en Cisjordanie occupée, une douzaine de colons israéliens sont arrivés en voiture, certains armés. Ils ont jeté des pierres sur les voitures et les maisons, et lorsque les habitants sont sortis pour se défendre, les assaillants ont ouvert le feu [1].

Un habitant, Khalil Salem Ziadeh, 47 ans, qui partageait son temps entre Jérusalem et Wadi Rahal, a été abattu. Quatre autres personnes ont été blessées. La famille de Ziadeh a décidé de l’enterrer dans le village, et des centaines de membres de sa famille et de résidents locaux ont assisté à ses funérailles mardi après-midi.

Le meurtre de Ziadeh survient deux semaines seulement après un pogrom dans le village de Jit, où des colons ont incendié des maisons et des voitures et abattu un autre Palestinien. Les responsables politiques et sécuritaires israéliens, dont le Premier ministre Benyamin Netanyahou et plusieurs membres de son cabinet, n’ont pas tardé à condamner cette attaque – probablement en raison de la surveillance accrue qu’entraînent les sanctions internationales – et le chef du Shin Bet [Ronen Bar], le service de sécurité intérieure israélien, a rédigé une lettre sévère condamnant le «terrorisme juif». Mais comme seule une poignée de la centaine d’émeutiers a été arrêtée, leurs paroles sont restées vaines et la violence des colons s’est poursuivie sans interruption.

Après l’attaque de Wadi Rahal, le porte-parole des Forces de défense israéliennes (IDF) a publié un communiqué affirmant que «des Palestiniens ont jeté des pierres sur un véhicule israélien» et «sur d’autres citoyens israéliens qui arrivaient dans la zone», avant que «des accrochages mutuels ne se manifestent entre les deux parties». Mais les résidents qui ont vu les événements se dérouler rejettent l’affirmation selon laquelle une quelconque violence de la part des Palestiniens aurait précédé l’agression des colons.

«Il ne s’est rien passé avant, il n’y avait aucun problème», a déclaré Munir Faura, un habitant du village, à Local Call[publication en hébreu] et à +972 Magazine. «Ce sont eux qui ont commencé, ils sont venus ici et nous ont attaqués. J’étais assis avec le martyr [Khalil], et la nouvelle est arrivée que des colons attaquaient les maisons de nos voisins. Nous sommes arrivés en voiture et avons vu les colons jeter des pierres, détruire des voitures et une maison. Nous nous sommes garés à proximité et nous avons été surpris lorsque certains d’entre eux ont commencé à tirer. Des jeunes [habitants] sont sortis pour aider à défendre le village. Un colon a ouvert le feu sur eux, tuant Khalil et blessant quatre autres personnes.»

Selon Hamdi Ziadeh, chef du conseil du village, il a fallu plus d’une demi-heure à l’armée israélienne pour arriver sur les lieux et mettre fin à l’attaque – malgré le fait que des forces étaient stationnées à proximité, à l’entrée de la colonie d’Efrat. Et les colons, dit-il, venaient de l’avant-poste voisin de Givat Eitam, dont les habitants «harcèlent le village tous les jours».

Alors que les villageois étaient sûrs que c’étaient des colons qui leur avaient tiré dessus, l’armée a déclaré que ses propres forces «sont arrivées sur les lieux et ont répondu en ouvrant le feu au milieu du désordre qui s’était installé». Cela peut s’expliquer par un rapport de Haaretz (du 27 août établi par Hagar Shezaf et Jack Khoury) suggérant que des soldats de la Force de défense de zone de l’armée – des réservistes formés de colons responsables de la sécurité de leurs colonies – ont participé à l’attaque, peut-être sans uniformes. Ces colons-soldats n’ont techniquement pas le droit d’opérer en dehors de leur colonie sans autorisation, et l’armée a ouvert une enquête à ce sujet.

«Dès qu’il y a un avant-poste, il y a de la violence»

Selon Mahmoud Zawahra, militant et habitant du village voisin d’Al-Masara, la situation des Palestiniens dans cette partie de la Cisjordanie s’est gravement détériorée dès le début de la guerre.

«Le matin du 7 octobre, les autorités israéliennes ont fermé toutes les portes des villages de la région, de sorte que nous ne pouvions pas nous déplacer, ce qui nous a rappelé la deuxième Intifada. Les agriculteurs n’ont pas pu accéder à leurs terres pour la récolte des olives, et les bergers n’ont pas pu non plus faire paître leurs troupeaux. Cette situation a duré des mois, les habitants des villages ne pouvant se rendre à la ville [Bethléem] pour suivre des cours, travailler ou bénéficier de services. Les gens devaient emprunter des routes secondaires étroites, les autoroutes étant réservées aux colons.»

Les colons israéliens ont également profité pleinement de ces conditions. «Les colons créent des états de fait sur le terrain, empêchant les communautés de la région d’accéder à leurs terres», explique Zawahra. «Ils ont profité de la guerre pour agrandir les avant-postes, comme celui situé près de Wadi Rahal [l’avant-poste Givat Eitam est relié à la colonie d’Efrat avec ses projets d’expansion en direction de Bethléem], et ils ont multiplié les attaques.»

Selon Kerem Navot, une ONG qui surveille l’évolution des infrastructures israéliennes en Cisjordanie, Givat Eitam a été créé il y a plus de dix ans, puis démantelé et réimplanté il y a environ sept ans au nord-est d’Efrat. L’avant-poste se trouve à l’est du tracé approuvé de la barrière de séparation qu’Israël a commencé à construire il y a une vingtaine d’années – et qui n’est toujours pas achevée dans cette zone – et sert à relier Efrat au bloc de colonies de Tekoa et Nokdim.

«Depuis plus d’une décennie, Israël tente de prendre le contrôle de la zone qui s’étend vers Bethléem et [le village palestinien d’]Irtas», nous a déclaré le fondateur de l’ONG Kerem Navot, Dror Etkes. «Il est clair que la construction de cette zone aura des conséquences importantes, puisqu’elle se trouve à l’est de la clôture qu’ils voulaient construire et qu’ils n’ont pas achevée.»

Dans la dernière attaque contre Wadi Rahal, poursuit Dror Etkes, nous voyons le même processus qui se déroule en Cisjordanie depuis des décennies: «Dès qu’il y a un avant-poste, il y a de la violence, parce qu’ils ne veulent pas que les Palestiniens restent sur leurs terres.»

Aujourd’hui, les Palestiniens de la région craignent de plus en plus ce qui les attend. «Les colons ont toujours utilisé la route appartenant au village [pour se rendre à leur avant-poste], mais maintenant ils sont plus agressifs et provoquent les habitants», a déclaré Mahmoud Zawahra. «Dans quelques jours, lorsque l’année scolaire commencera, les enfants devront emprunter cette route pour se rendre à l’école. Comment pouvons-nous nous assurer qu’ils ne seront pas attaqués?»

Mahmoud Zawahra a également expliqué comment la dernière attaque a forcé les habitants du village à réévaluer ce qu’ils considéraient comme une certitude: la sécurité réside dans le nombre. «Nous pensions que plus il y a de monde [lorsque les colons entrent dans un village], moins il y a de chances qu’ils attaquent. Mais ils ont tiré au hasard. Si vous essayez de vous défendre, vous êtes mort.» (Article publié par le site israélien +972 le 29 août 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans Le Monde daté du 29 août, un reportage de Samuel Forey décrit «l’étouffement programmé du village palestinien de Battir. Le bourg antique de Cisjordanie, entouré de terrasses cultivées, et classé à l’Unesco, est menacé par les projets de colonisation israéliens.» Il conclut son reportage ainsi: «Une dernière colline échappait à la colonisation israélienne. C’est sur elle que se dressera l’implantation de Nahal Haletz, annoncée par Bezalel Smotrich [ministre des Finances et ministre au ministère de la Défense]. Battir est aujourd’hui étouffée. Deux des trois accès au village ont été fermés par l’armée israélienne.»

Ainsi, l’attaque contre le village Wadi Rahal s’inscrit dans un ensemble d’opérations visant, de facto, à une annexion. L’offensive militaire contre les dits terroristes – en fait, la Cisjordanie a un statut de territoire occupé militairement et les jeunes militants palestiniens participent, dès lors, d’une résistance à l’occupation – opérée par l’armée à Tulkarem, Jénine, Toubas et leurs camps de réfugiés le 28 août sont une autre facette de la politique de colonisation et d’annexion. (Réd.)

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