Palestine-Israël. «Quatre nouvelles fermes de colons se sont emparées de terres palestiniennes de la taille d’une grande ville.» Fermes et Etat complémentaire dans l’opération de dépossession

Par Amira Hass

Au cours des cinq dernières années, quatre fermes de colons en Cisjordanie se sont emparées d’un territoire palestinien de la taille de la ville de Holon (banieue sud de Tel Aviv, superficie d’environ 19 000 dunams, quelque 19 km2), ou des villes de Bnei Brak (banlieue nord-est de Tel-Aviv, superficie de 7,4 km2) et de Lod (située dans le District centre, superficie 12 km2) réunies. En recourant à la violence et à la terreur systématiques, les résidents de ces quatre avant-postes [le terme avant-postes renvoie à une colonie établie dans les territoires palestiniens occupés, établie, formellement, sans l’autorisation du gouvernement israélien], aidés par l’armée, ont bloqué l’accès des Palestiniens à des terres totalisant 20 866 dunams [soit 20 km2] ; terres que les Palestiniens utilisaient pour cultiver et faire paître le bétail.

Le record d’occupation est détenu par la ferme d’Uri sur la réserve d’Umm Zuqa, dans le nord de la vallée du Jourdain. Elle a été établie en 2016 et elle empêche les communautés palestiniennes d’accéder à plus de 14 000 dunams de terres [quelque 14 km2]. Vient ensuite l’avant-poste de Zvi Bar Yosef de la colonie de Halamish, érigée il y a trois ans. Il empêche les agriculteurs de Jibiya, Kobar et Umm Safa [les trois du gouvernorat de Ramallah et et Al-Bireh] d’accéder à 2500 dunams de leurs terres. Une ferme de bergers au sud-ouest de Samu [ville à 12 kilomètres au sud de la ville d’Hébron], établie en 2021, a pris possession, jusqu’à présent, de 1 850 dunams appartenant au village de Zanuta. En 2020, la ferme Mann a été construite à l’est de la ville de Yatta [à 12 km au sud d’Hébron], et s’est approprié 1537 dunams des villages voisins.

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Les données ne concernent que ces quatre fermes individuelles sur une cinquantaine d’avant-postes similaires créés au cours de la dernière décennie, et sur 150 avant-postes datant des années 1990. Les résidents de bon nombre de ces avant-postes recourent à la violence pour s’approprier des terres palestiniennes – ce qui signifie que la superficie totale qu’ils se sont appropriée est bien plus importante que les chiffres mentionnés ci-dessus.

Pour tester ce phénomène, qui ne fait que s’amplifier depuis les années 1990, l’ONG B’Tselem [centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés] a choisi cinq zones de Cisjordanie où neuf fermes (dont les quatre susmentionnées) sont exploitées: au nord de la vallée du Jourdain, à l’est des villes Tamun et de Tubas [situées au nord-est de Naplouse]; des villages au nord-ouest de Ramallah; des villages au sud-ouest de Naplouse; des villages à l’est de Yatta [à 8 km au sud d’Hébron]; et des villages au sud de Samua [à 12 km au sud de la ville d’Hébron].

Les chercheurs de B’Tselem ont documenté, calculé et quantifié l’étendue des terres appropriées par les avant-postes et une colonie, Halamish [située au nord de Ramallah, à 10,7 kilomètres de ladite Ligne verte], dans ces cinq zones: 28 416 dunams, soit la superficie de Kiryat Bialik, Netivot et Ofakim réunies. L’organisation Kerem Navot [créée en 2012], qui enquête sur la politique israélienne d’appropriation des terres de Cisjordanie, a participé à la cartographie et au calcul des données figurant dans le rapport final.

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Le fait qu’il s’agisse d’un modèle et que les autorités israéliennes ne mettent pas fin à la violence systématique a conduit B’Tselem à la conclusion que le phénomène sert les intérêts de l’Etat.

«A priori, il s’agit de deux pistes sans lien entre elles», peut-on lire dans le rapport. «L’Etat s’approprie des terres de manière ouverte et officielle, sanctifiée par des conseillers juridiques et des juges – plus de 2 millions de dunams en Cisjordanie depuis 1967 – tandis que les colons, qui cherchent également à s’approprier des terres pour faire avancer leur plan, recourent à la violence contre les Palestiniens pour leurs propres raisons et de leur propre gré. Mais c’est la même chose: la violence des colons contre les Palestiniens sert à l’Etat comme un moyen non-officiel majeur de s’approprier de plus en plus de terres en Cisjordanie, et cette violence est exercée avec le soutien total de l’Eta, avec l’aide et la participation de ses représentants.»t

B’Tselem et Kerem Navot n’ont pas encore calculé l’ampleur de l’appropriation violente par les colons de toutes les terres palestiniennes par des fermes individuelles et des opérations de colons en Cisjordanie. Mais une estimation générale a déjà été faite par Ze’ev Hever, le directeur d’Amana, qui est la façade opérationnelle et financière du mouvement religieux et pro-colonisation Gush Emunim et qui est à l’origine de l’établissement des avant-postes. Lors d’une conférence en ligne organisée en février, Ze’ev Hever a expliqué que les fermes de bergers sont un outil efficace pour s’approprier des terres palestiniennes, plus que pour construire de nouvelles colonies ou de nouveaux quartiers. La superficie bâtie combinée de toutes les colonies conventionnelles est d’environ 100 kilomètres carrés, a-t-il dit, alors que les fermes ont pris à elles seules le double, soit près de 200 000 dunams [200 km2].

«Ceux qui ont la bonne motivation pour agir et inciter les autres à agir peuvent atteindre les bons résultats», a déclaré Ze’ev Hever aux participants en ligne. B’Tselem ne sait pas dans quelle mesure l’estimation globale de Ze’ev Hever est précise, mais dans deux autres zones de Cisjordanie – qui n’ont pas été incluses dans le présent rapport – des extensions violentes de colonies existantes ont pris au moins 36 500 dunams: 26 500 dans la zone des colonies Eli et Shiloh à l’est de Ramallah, et 10 000 dans la zone de Tkoa-Nokdim au sud-ouest de Bethléem.

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Le rapport comprend 20 témoignages décrivant les affrontements violents déclenchés par les colons des avant-postes et ceux des fermes individuelles dans le but d’intimider les Palestiniens et de les empêcher de travailler la terre et de faire paître le bétail sur leur territoire. Il s’appuie sur des dizaines d’autres. La plupart des incidents violents sont bien documentés.

Les auteurs du rapport n’ont pas eu le temps d’inclure deux attaques violentes qui ont eu lieu la semaine dernière dans le hameau de Masafer Yatta. L’une, le 8 novembre, lorsqu’un Israélien de la ferme Mann a frappé un habitant du village de Saadat Tha’aleh avec une massue, lui cassant la main. L’autre le 10 novembre, lorsque des Israéliens d’un nouvel avant-poste, qui a été érigé et démoli à plusieurs reprises, ont attaqué les habitants de Khalat al-Diba: ils ont agressé un fermier avec des massues et cassé les vitres de trois voitures, puis sont revenus plus tard dans la nuit, tirant à balles réelles et blessant deux Palestiniens.

Il ne s’agit pas seulement pour les Palestiniens d’être chassé de leurs terres. Le rapport montre comment de nombreux agriculteurs palestiniens et des communautés entières s’appauvrissent. Sous la pression de la violence et de la peur, les agriculteurs réduisent ou abandonnent les activités économiques traditionnelles qui leur assuraient autrefois une vie relativement convenable, comme l’élevage de moutons et les cultures saisonnières. Dès lors, ils dépensent une fortune pour acheter de la nourriture et de l’eau pour leurs troupeaux, gardés dans les enclos parce que leur accès aux espaces de pâturage et aux points d’eau a été bloqué.

Haaretz a demandé aux Forces de défense israéliennes (IDF), à la police et au Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires occupés [1] de répondre à la conclusion du rapport selon laquelle la violence des avant-postes et des fermes isolées sert l’Etat. Le bureau du porte-parole des IDF a répondu: «Les IDF investissent beaucoup d’efforts pour tenter d’éradiquer [sic] les incidents violents dans le territoire, et sont en contact direct avec les différentes entités civiles et de sécurité dans ces zones. Les IDF continueront à opérer dans la région, afin de permettre le maintien de la loi et de la sécurité dans le territoire.» La police et le Coordinateur ont refusé de commenter. (Haaretz, 14 novembre 2021)

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[1] Officiellement, le Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires est une unité du Ministère israélien de la défense qui s’occupe de coordonner les questions civiles entre le gouvernement israélien, les Forces de défense israéliennes, les organisations internationales, les diplomates et l’Autorité palestinienne. (Réd.)

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