Moustafa Barghouti: «L’Autorité palestinienne est terminée, il faut maintenant un gouvernement d’unité pour coexister avec Israël»

Moustafa Barghouti face à un soldat israélien en janvier 2006. (AP Photo/Nasser Shiyoukhi)

Entretien avec Moustafa Barghouti conduit par Francesca Borri

RAMALLAH (Cisjordanie) – Même pour Moustafa Barghouti, 69 ans, et pendant 16 ans médiateur entre le Fatah et le Hamas pour un gouvernement d’union nationale, un point de jonction avec les islamistes, le 7 octobre n’a pas été une attaque, mais plutôt une «radit fi’il»: la réaction. Sa Mubadara (Initiative nationale palestinienne, dont Moustafa Barghouti est le dirigeant), troisième force du Parlement, est l’âme de la résistance non-violente. En arabe, cela signifie «l’Initiative». Celle pour laquelle il s’est battu toute sa vie. Mais ce n’est pas le cas en ce moment.

Francesca Borri: Qu’avez-vous pensé le 7 octobre?

Moustafa Barghouti: J’ai été frappé par l’ampleur de l’offensive et par la vulnérabilité d’Israël. Mais ce n’était pas seulement une question de renseignement. Plus qu’un échec technique, il s’agissait d’un échec moral. Israël nous surveille un par un, mais il a perdu le sens de l’ensemble. Parce qu’il nous a toujours considérés comme des êtres de seconde catégorie. Comme l’a dit le ministre de la Défense Yoav Gallant: «Des animaux humains». Armés de quatre roquettes en fer blanc. Il n’a pas vu la souffrance, le désespoir, le ressentiment qui montent. La haine. Et il n’a pas réalisé ce dont ils seraient capables.

Et à Gaza, il y a maintenant un mort toutes les cinq minutes.

A Gaza, cela se passe dans une population dont 43 % a moins de 14 ans. Israël est aujourd’hui poussé par le ressentiment. Et surtout par Netanyahou. Il est le dos au mur. Parce qu’il sait qu’une fois la guerre terminée, il perdra le pouvoir, l’immunité et finira en prison. Il sait que le jugement de l’histoire sera pire que celui des tribunaux. Et il est prêt à tout pour se refaire. Un tel homme est dangereux. Pour les Palestiniens. Et pour les Israéliens.

L’objectif d’Israël est d’éliminer le Hamas. Mais est-ce possible?

Non. Et c’est pourquoi le véritable objectif, à mon avis, est de forcer l’Egypte à ouvrir Rafah [l’Egypte est le seuil pays de la région où ne sont pas présents des camps de réfugiés palestiniens]. Pour que les Palestiniens quittent Gaza. Pour de bon. Le Hamas essayant plutôt de les retenir pour éviter le bombardement des tunnels. Toute la bande de Gaza est prise en otage. Pas seulement les 199 «Israéliens».

Que restera-t-il du Hamas?

Il restera quelques dirigeants, de nombreux combattants et beaucoup de sympathisants. Il n’est pas possible de les éliminer tous. D’autant plus qu’ils ne sont pas seulement à Gaza. Mais surtout, il restera ce qui a toujours subsisté de tous ceux que vous appelez “terroristes” de temps en temps: l’idée de résistance. Arafat était vu exactement comme Yahya Sinwar [chef des Brigades Izz al-Din Al-Qassam] est vu aujourd’hui.

L’armée a bloqué toutes les routes de Cisjordanie. C’est déjà le deuxième front, si vous calculez combien de milliers de soldats sont coincés ici [en Cisjordanie] pour nous bloquer. Et de toute façon, cette question [ayant trait à des actes de terreur] devrait être posée aux colons. Ce sont eux qui tirent. [Voir sur ce site l’article de Yuval Abraham publié le 16 octobre.]

Et le gouvernement d’union nationale qui semblait prêt?

Nous formerons tous ensemble un nouveau gouvernement après de nouvelles élections. [En 2006, le Hamas à Gaza avait obtenu 42,9% des voix mais 74 sièges. Le Fatah 39,8% des voix et 45 sièges. Le FPLP 4,1% et 3 sièges.]

Tous ensemble? Le Hamas est en tête dans tous les sondages.

Notre nouvelle loi électorale est proportionnelle précisément pour garantir un gouvernement de coalition. Et pour éviter les conflits.

Pour l’instant, il reste Abou Mazen [Mahmoud Abbas] à la Mouqata’a [bureaux de l’Autorité palestinienne], pour qui le Hamas ne représente pas les Palestiniens.

C’est l’Autorité palestinienne qui ne représente plus personne. Et ce n’est pas seulement une question d’Abou Mazen. Il y a un gouvernement, avec des institutions et des policiers. Or, ils ont tous disparu.

Il y a aussi un troisième front. Au nord. Le front avec le Hezbollah.

C’est imprévisible. Le risque est réel: le Hezbollah n’exclut pas d’intervenir. Et sa décision ne dépend pas seulement de l’évolution de la guerre à Gaza. En ce moment, l’ensemble du monde arabe est avec les Palestiniens, voire avec le Hamas: la pression pour agir est très forte. Ce n’est pas de la rhétorique: il suffit de rien pour que tout s’embrase.

Ne craignez-vous pas d’être entraînés dans la guerre des autres, de devenir les pions d’un jeu plus vaste?

Bien sûr. Mais ce sont des dynamiques sur lesquelles notre influence est minime. Tout comme celle d’Israël: car s’il y a une chose que nous avons en commun, c’est que nous sommes utilisés. Et c’est aussi pour cela qu’il est temps de se parler. Parce qu’en fin de compte, c’est nous qui sommes ici. Pas ceux qui applaudissent depuis les tribunes.

Les accords d’Oslo sont-ils morts?

Près de 500 000 colons vivent en Cisjordanie, dans plus de 130 colonies et 100 avant-postes. Deux cent mille de plus se trouvent à Jérusalem. Nous sommes dispersés sur plus de 165 parcelles de terre. Avoir deux Etats ici est maintenant un problème géographique, avant d’être un problème politique.

Pensez-vous qu’un seul Etat soit encore possible?

Jusqu’à présent, nous n’avons essayé que l’occupation, ou la guerre. Et cela n’a pas fonctionné. Pourquoi ne pas essayer de vivre tous ensemble? Tous égaux? (Entretien publié en p. 6 du quotidien italien La Repubblica, le 17 octobre 2023; traduction rédaction l’Encontre)

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