Lettre de Gaza: «Cela doit cesser»

Par le Dr Yasser Abu Jamei

Gaza, 13 mai 2021 – J’écris cette lettre en regardant mon fils terrifié de 6 ans – qui ne cesse de mettre ses mains sur ses oreilles pour essayer d’arrêter les sons des bombardements israéliens –, mes deux filles de 13 et 10 ans et ma femme. Ces visages montrent l’anxiété de ne pas savoir où ils peuvent être en sécurité maintenant. Mes deux fils aînés, âgés de 16 et 15 ans, sont assis, stupéfaits et silencieux. Je sais qu’ils revivent les souvenirs des trois précédentes offensives sur la bande de Gaza [2008-09, 2012 et 2014] et les membres de la famille que nous avons perdus. Ce sont les sentiments que vivent toutes les familles de la bande de Gaza.

Nous, les Palestiniens, avons vécu des décennies d’humiliation, d’injustices et de mauvais traitements. En 1948, nous avons été expulsés de notre terre; plus de 600 villages ont été entièrement détruits; des centaines de milliers d’entre nous ont été tués ou déracinés. Près de huit cent mille personnes ont fini par vivre comme réfugiés dans différents endroits du monde.

Tout cela s’est passé sous les yeux de la communauté internationale, qui nous a promis un État souverain sur environ un cinquième de notre terre d’origine. Cette décision n’a été acceptée que dans les années 1990 par les Palestiniens qui croyaient en une solution à deux États.

Vingt-six ans plus tard, nous observons les conditions dans l’État de Palestine promis et nous voyons une Cisjordanie divisée et occupée par des centaines de milliers de colons vivant dans des colonies construites sur les décombres des maisons palestiniennes, et qui font de la vie du peuple palestinien un enfer.

Nous voyons la bande de Gaza soumise à un blocus depuis plus de 14 ans, qui nous prive des conditions de vie les plus élémentaires. En plus de cela, nous avons subi trois grandes offensives dans cette petite zone qui ont tué, détruit et traumatisé des milliers de nos concitoyens.

Et nous voyons que Jérusalem-Est, avec ses sites les plus sacrés pour les musulmans et les chrétiens, continue d’être menacée en permanence par les colons qui s’emparent des maisons et des quartiers palestiniens.

Il y a une semaine, des colons israéliens ont commencé à attaquer Sheikh Jarrah en essayant de s’emparer d’autres maisons de familles palestiniennes. Tout le monde l’a vu. Personne n’est intervenu.

Lors d’une des soirées les plus sacrées du Ramadan, Israël a décidé d’expulser des dizaines de milliers de fidèles qui ne faisaient que prier à Al-Aqsa. Il s’agissait pour la plupart de Palestiniens vivant dans la Palestine de 1948 – aujourd’hui Israël. Tout le monde a vu l’utilisation brutale de la puissance militaire par Israël. Personne n’est intervenu.

Les scènes de violence à Sheikh Jarrah et dans le complexe d’Al-Aqsa ont allumé un feu dans le cœur des Palestiniens, non seulement dans la Palestine historique, mais aussi partout dans le monde.

Alors que nous manifestions à Akka [Saint-Jean d’Acre], Jafa, Nazareth et en Cisjordanie, des roquettes ont été tirées depuis Gaza pour exiger la fin des atrocités commises à Jérusalem.

La réponse de l’armée israélienne a été d’attaquer Gaza avec encore plus de violence que lors des terribles journées des offensives précédentes. Cette fois, elle a causé la mort de plus de 80 personnes, dont 17 enfants et 7 femmes. Les bombardements ont touché des tours, des appartements, des bâtiments gouvernementaux et policiers et même des rues entières. Tout le monde le voit. Personne n’intervient.

Combien de temps le monde va-t-il rester les bras croisés pendant que nous, ici à Gaza, souffrons comme ça? La population de Gaza a besoin de plus que de simples déclarations et résolutions, alors qu’Israël reçoit les armes qui nous tuent et nous terrorisent.

Je suis d’abord un père et ensuite un psychiatre. Mon rêve est que mes enfants vivent, grandissent, apprennent, en sécurité. C’est le même rêve que celui de chacun des patients que je vois. Il y en aura d’autres aujourd’hui, et demain. C’est mon travail de donner de l’espoir. Je leur dirai ce que je dis à mes enfants et à ma femme. «Parce que cette injustice pour les Palestiniens dure depuis sept décennies, cela ne la rend pas normale. Le monde est de plus en plus rempli de personnes qui n’acceptent pas que ce soit normal. Il y aura du changement.»

Une action politique concrète est nécessaire MAINTENANT pour mettre fin non seulement aux bombardements meurtriers actuels, mais aussi à cette occupation illégale et au siège de Gaza par Israël, immédiatement.

Nos conditions de vie actuelles sous le siège sont un affront à la dignité humaine. Je dis à mes enfants et à mes patients: «Nous, les Palestiniens, avons le droit de vivre comme n’importe quel autre peuple dans le monde: de vivre en paix, dans la dignité et de jouir de nos droits. Cela viendra.»

La communauté internationale DOIT MAINTENANT tenir sa promesse d’un État palestinien souverain. Le respect du droit international exige que chaque pays civilisé reconnaisse l’État de Palestine dès maintenant.

Après plus de sept décennies d’occupation et de misère, nous restons résistants et n’abandonnerons jamais. Mais il n’y a pas de père qui puisse supporter de voir ses enfants vivre ainsi. (Article publié sur le site de American Friends Service Committee, le 13 mai 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Le Dr Yasser Abu Jamei est le directeur général du Gaza Community Mental Health Programme, une ONG créée en 1990 et reconnue internationalement.

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