Par Bernard Regan
Vendredi 22 octobre, Benny Gantz, vice-premier ministre et ministre de la Défense israélien, a signé un décret déclarant six ONG palestiniennes comme «organisations terroristes», donc mises hors la loi.
Ces six organisations sont Addameer, Al-Haq, le Bisan Center, Defence for Children International Palestine (DCI-P), l’Union des comités de femmes et l’Union des comités de travail agricole. Toutes ces ONG sont des groupes bien implantés au sein de la société civile palestinienne, indépendants de l’Autorité palestinienne (AP), et respectés au plan international pour leur activité [1].
DEI-P, par exemple, est connue pour son travail de soutien aux enfants palestiniens prisonniers qui ont été arrêtés et traduits devant les tribunaux militaires israéliens, notamment en Cisjordanie. Deux délégations d’avocats, l’une en 2012 de Grande-Bretagne dirigée par Patricia Janet Scotland – baronne Scotland d’Ashtal (secrétaire générale du Commonwealth depuis 2016) – et l’autre, en 2013, envoyée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), ont enquêté sur les circonstances dans lesquelles les enfants palestiniens sont arrêtés et détenus.
Les deux délégations ont formulé une quarantaine de recommandations critiquant le comportement de l’Armée de défense d’Israël (Israel Defense Forces: IDF) et son traitement des mineurs. Elles ont établi que les IFD avaient l’habitude d’arrêter de jeunes Palestiniens au milieu de la nuit, de les jeter dans des véhicules militaires, de les maltraiter physiquement, de les maintenir à l’isolement et d’essayer ensuite de les forcer à avouer toute une série de crimes sous peine de détention et d’emprisonnement. Il n’est pas rare qu’on leur reproche d’avoir jeté des pierres sur le mur de séparation. Les militaires essaient de forcer les jeunes à signer des aveux écrits en hébreu, une langue qu’ils ne parlent ni ne lisent. Les parents acceptent souvent de plaider coupable afin d’éviter que leurs enfants soient emprisonnés ou pour réduire leur éventuelle peine, mais alors évidemment le nom de l’enfant figure dans les registres israéliens.
Bien que les avocats britanniques aient tenté de donner un prolongement à leur rapport en rencontrant des représentants du gouvernement israélien, responsables de l’armée et du fonctionnement des tribunaux militaires, leur accès leur a été refusé. En conséquence, rien de significatif n’a changé dans le comportement des IDF envers les enfants.
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En tant qu’ONG, DCI-P est de plus en plus écoutée par un large spectre de personnes préoccupées et d’organisations humanitaires. Bien qu’aucun changement significatif n’ait eu lieu dans les pratiques des forces d’occupation israéliennes, DCI-P a continué à apporter son soutien aux enfants arrêtés et à leurs familles dans ce qui est un contexte particulièrement traumatisant.
Les autres organisations citées ont également été actives dans leurs domaines respectifs au sein de la société civile palestinienne, essayant d’utiliser toutes les ressources légales et humanitaires à leur disposition pour soutenir les individus, les familles, les groupes sociaux et les communautés locales confrontés aux conséquences inhumaines quotidiennes d’une occupation qui reste brutale et agressive. Dans le même temps, des démolitions de maisons, des attaques menées par colons, des expulsions comme celle de Cheikh Jarrah [28 familles palestiniennes sont menacées d’être expulsées de ce quartier de Jérusalem], des agressions quotidiennes ont lieu. Tout cela se fait avec l’appui du gouvernement israélien.
Le premier ministre Naftali Bennett s’est prononcé en faveur de l’annexion de l’ensemble de la Cisjordanie. Il a participé à des discussions visant à doubler la population juive israélienne dans la vallée du Jourdain. Le gouvernement a annoncé, dimanche 24 octobre, la construction prévue de 1355 nouveaux logements dans des colonies juives de Cisjordanie occupée [Ces nouveaux logements doivent s’ajouter aux quelque 2 000 annoncés en août. Le ministre de la Construction, Zeev Elkin a déclaré que «ce renforcement de la présence juive (en Cisjordanie) est essentiel dans la vision sioniste».] Malgré l’éviction de Netanyahou du poste de premier ministre, le gouvernement de Naftali Bennett suit exactement la même voie que son prédécesseur. L’attaque contre les six ONG palestiniennes est clairement destinée à tenter de discréditer des institutions qui gagnent une audience internationale et une sympathie politique [2]. Il y a quelques années, les IDF ont commencé à décrire les actions de la société civile palestinienne, de groupes comme DEI-P, comme du «terrorisme non violent».
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La réalité est cependant quelque peu différente. Le 3 mars dernier, Fatou Bensouda [procureure générale de la Cour pénale internationale depuis 2012] a annoncé que la Cour pénale internationale allait ouvrir une enquête sur la situation en Palestine, couvrant la période du 13 juin 2014 à aujourd’hui. La décision d’ouvrir les enquêtes a été prise après cinq ans d’examen des témoignages. Toute poursuite pourrait bien inclure des données ayant trait à l’attaque de mai 2021 des IDF sur Gaza. Selon Human Rights Watch, elle comprenait 4 360 tirs (non guidés) de mortiers en direction de la population civile de la bande de Gaza. Cette attaque s’inscrivait dans la série de celles conduites en 2008, 2012, 2014, 2018 et 2019 qui ont été observées par Human Rights Watch (HRW). Dans son rapport sur les événements de 2021, HRW souligne que rien ne prouve que l’attaque des IDF visait une cible paramilitaire. Or, affirme-t-elle, des tirs qui ne sont pas dirigés vers un objectif militaire spécifique sont illégaux.
L’offensive contre les six ONG est une tentative délibérée de discréditer les organisations qui ont contesté les politiques anti-palestiniennes des gouvernements israéliens. Un nombre croissant d’ONG internationales, telles que War on Want (WOW) et Human Rights Watch (HRW), estiment que les politiques du gouvernement israélien contre les Palestiniens sont constitutives du crime contre l’humanité de l’apartheid. Dans leur rapport «A Threshold Crossed» («Un seuil a été franchi»), HRW a constaté que les autorités israéliennes ont poursuivi le dessein de privilégier les Israéliens juifs au détriment des Palestiniens. Comme ils le disent dans leur communiqué de presse: «Aujourd’hui, l’apartheid n’est pas un scénario hypothétique ou futur. Une occupation de 54 ans n’est pas temporaire. Le seuil a été franchi. L’apartheid, et la persécution parallèle, est la réalité pour des millions de Palestiniens. Reconnaître et diagnostiquer correctement un problème est la première étape pour le résoudre et mettre fin à l’apartheid est vital pour l’avenir des Palestiniens et des Israéliens et pour la cause de la paix.»
L’attaque contre les six ONG palestiniennes est une tentative de détourner les critiques croissantes des actions du gouvernement israélien. Les preuves ne peuvent cependant pas être cachées. C’est le gouvernement d’Israël qui est sur le banc des accusés. (Texte diffusé par MENA Solidarity Network le 28 octobre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
Bernard Regan a été membre de l’exécutif national du National Union of Teachers pendant 25 ans. Il est «associate member» du Centre for Palestine Studies (SOAS, University of London). Il a publié The Balfour Declaration: Empire the Mandate and Resistance in Palestine (Verso, 2018)
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[1] Selon l’AFP, Amnesty international et Human Rights Watch ont qualifié, conjointement, cette décision d’«épouvantable», d’«injuste» et d’«alarmante»; elle «menace» le travail de certaines des plus «importantes» ONG palestiniennes. (Réd.)
[2] Dans Haaretz du 27 octobre 2021, Rogel Alpher établit un lien entre l’annonce de la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie et le décret qualifiant de «terroristes» le six ONG palestiniennes: «Nous devons relever que la déclaration du gouvernement selon laquelle les organisations de la société civile en Cisjordanie sont des “organisations terroristes” s’accorde avec ses plans de construction en Cisjordanie d’une manière qui «confirmera la mise à mort» de l’option de deux Etats – qui est de toute façon morte – et avec l’annonce du premier ministre Naftali Bennett selon laquelle il n’y aura pas de négociations avec les Palestiniens et il n’y aura pas d’Etat palestinien. Etant donné que l’occupation, les colonies et l’apartheid ont été la politique de tous les gouvernements d’Israël au cours des 54 dernières années, on ne peut échapper à la conclusion qu’il s’agit tout simplement de la politique d’Israël, la politique du peuple juif.» (Réd.)
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