Israël et l’Autorité palestinienne savent comment se renvoyer la balle

Par Amira Hass

Depuis que le militant Nizar Banat a été battu à mort alors qu’il était détenu par l’Autorité palestinienne [voir l’article publié sur ce site en date du 27 juin], l’avocat Farid al-Atrash a émis des critiques cinglantes contre l’Autorité palestinienne (AP) et ses agences de sécurité.

Il l’a fait dans des entretiens aux médias, dans des dizaines de posts sur Facebook, tout en participant à des manifestations. La phrase «Ce qui était avant [le meurtre de] Nizar Banat n’est pas ce qui sera après» termine presque tous les messages qu’il a écrits depuis le 24 juin, quelques heures après la mort du fervent critique de l’AP, qui était son ami proche. La dernière manifestation contre l’AP à laquelle Farid al-Atrash a pris part s’est déroulée samedi 3 juillet à Ramallah. Quelques heures plus tard, il a été arrêté alors qu’il rentrait chez lui à Bethléem.

Et non, il n’a pas été arrêté par des membres des agences de sécurité palestiniennes, mais par les troupes de la police israélienne des frontières stationnées au poste de contrôle dit «des conteneurs», au sud d’Abu Dis [qui est dans la «zone B», donc sous contrôle israélien et palestinien], sur la route sinueuse qui est la seule route par laquelle Israël autorise les Palestiniens à circuler du nord au sud de la Cisjordanie. Apparemment, lorsque la carte d’identité d’Al-Atrash a été vérifiée, le signal «recherché» a clignoté sur l’écran de l’ordinateur du poste de contrôle. Il s’avère qu’il avait commis le grave délit de participer, le 15 juin, à une manifestation à Bethléem contre le massacre de civils palestiniens dans la bande de Gaza suite à des bombardements israéliens. Son interrogatoire du dimanche 4 juillet portait sur «la participation à une perturbation, l’organisation d’une marche sans autorisation préalable, l’opposition à un soldat et le trouble à l’ordre public».

Après son arrestation, Farid al-Atrash s’est senti mal et a été transporté d’urgence à l’hôpital universitaire Hadassah de Jérusalem, selon un rapport de la Commission palestinienne indépendante des droits de l’homme. Farid al-Atrash est le directeur de la branche du sud de la Cisjordanie de la commission, une institution palestinienne officielle dont la mission est de surveiller la situation des droits de l’homme sous les gouvernements de l’Autorité palestinienne et du Hamas, de recevoir et d’instruire les plaintes pour violations des droits et de représenter les civils devant les tribunaux palestiniens.

Après l’hospitalisation à Hadassah, Farid al-Atrash, 44 ans, a été conduit au quartier général de la police des frontières à Atarot pour y être interrogé, puis à la prison d’Ofer pour y être détenu. «C’est un soulagement qu’il soit à Ofer», disent ses amis. Selon le protocole militaire habituel, directement après son arrestation, il aurait dû être envoyé au centre de détention israélien de Gush Etzion, où les conditions sont insupportables même pour des personnes plus jeunes et en meilleure santé que lui.

En tant que particulier, en tant que Palestinien sous occupation et en tant qu’avocat, Farid al-Atrash émet fréquemment des critiques à l’égard de toutes les autorités. Par le passé, les services de sécurité israéliens l’ont arrêté. Il a été jugé par un tribunal militaire pour avoir participé en 2016 à une marche de protestation sans autorisation à Hébron, demandant que la rue Shuhada de la ville soit ouverte aux Palestiniens. (L’occupation israélienne interdit aux Palestiniens de manifester.) Il a également été accusé de s’opposer à un soldat ce jour-là, car il a refusé de quitter le site de la manifestation lorsqu’on le lui a ordonné. Ce procès – si vital pour la sécurité d’Israël – a duré quatre ans. Finalement, les deux parties sont parvenues à un accord au début du mois de juin 2021: Farid Al-Atrash a reconnu les faits qui lui étaient reprochés et a été condamné à une période de probation.

Et quelle surprise! Peu après, les autorités d’occupation israéliennes se sont empressées de cueillir Farid Al-Atrash parmi des centaines d’autres manifestants de Bethléem, affirmant qu’il avait à nouveau commis les mêmes crimes terribles et qu’il devait donc être arrêté le plus vite possible. Un vrai délinquant en série!

Certains de ses amis sont convaincus que les forces de sécurité israéliennes l’ont arrêté à la demande des agences de sécurité palestiniennes. Il est possible de comprendre cette conclusion paranoïaque à propos de la fraternité des services de sécurité qui collaborent entre eux et partagent un intérêt pour la répression des manifestations. Dimanche, l’AP elle-même a arrêté Mohannad Karajah, un autre avocat qui s’est élevé contre le meurtre de Nizar Banat et la répression des manifestations, et l’a détenu pendant plusieurs heures.

Toutefois, ne minimisons pas l’autonomie des décisions et des actions prises par les autorités d’occupation ici. Harceler les gens au moyen d’interrogatoires, d’arrestations, de procès, de détention et d’amendes pour le crime consistant à exercer leur droit civil de manifester et de critiquer sont les tactiques habituelles du régime d’oppression israélien… qui se qualifie lui-même comme un Etat juif et démocratique. (Article publié par Haaretz, le 5 juillet 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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