Gaza. La trêve et des négociations. Dans quel but?

Par Rédaction A l’Encontre

C’est la première fois depuis un mois que les habitants de Gaza ont pu «dormir tranquillement», pour reprendre une formule étrangement euphémistique des médias. Ce mercredi matin, 6 août 2014 – selon Murielle Paradon de RFI –, seul le bruit d’un drone israélien, qui tourne dans le ciel et «surveille» le territoire palestinien, se fait entendre. Il indique toutefois une sorte de poursuite de l’agression et une continuation de l’occupation, de facto et de jure, de Gaza. Les pêcheurs sont retournés en mer… autre indice de l’occupation, puisque la zone de pêche leur est imposée.

Les déplacés retrouvent leurs maisons ou ce qu’il en reste, dans des zones jusque-là inaccessibles. Ils y découvrent aussi, selon la BBC, des cadavres. Le terrible décompte des morts et des blessés ainsi que des dizaines de milliers d’enfants traumatisés pour toute leur vie est loin d’être établi. Il faut établir un rapport international pour que la vraie réalité ainsi que les motifs de l’opération «Bordure protectrice» ressortent aux yeux de tous, et surtout des sceptiques.

Selon RFI, «dans le nord et l’est de la bande de Gaza des quartiers entiers sont rasés comme si un tremblement de terre avait eu lieu. Le problème qui se pose maintenant est de savoir où vont aller ces dizaines de milliers de Gazaouis qui ont perdu leur logement. La plupart sont réfugiés dans des bâtiments de l’ONU, mais ce n’est que provisoire.» Dans ce petit territoire de 1,8 million d’habitants, un demi-million de personnes – femmes, hommes, enfants, personnes âgées – ont été contraintes à l’exode. Un terme qui devrait éveiller la mémoire de ceux qui ont l’audace, dans l’Etat d’Israël, de confondre judaïsme et sionisme.

Le vice-ministre palestinien de l’Economie Tayssir Amro – avec l’arrogance des vainqueurs militaires aveuglés – évalue les dégâts entre 4 et 6 milliards de dollars (entre 3 et 4,5 milliards d’euros), expliquant à l’AFP que ce chiffre ne prenait en compte que «les dégâts directs affectant l’économie gazaouie et pourrait grimper une fois que seraient additionnés les effets indirects sur la population». Cette déclaration laisse planer quelques doutes sur les analyses de certains militants antisionistes, fort courageux, en Israël qui font du Hamas le «vainqueur stratégique» (voir l’article du 31 juillet 2014 de Sergio Yahni sur son site).

Quant à l’armée israélienne, après l’annonce qu’elle se retirait de la Bande de Gaza sur des «positions défensives», de l’autre côté de la frontière – une sorte de «Bordure protectrice» bis – le général Moti Almoz, à la radio militaire, précise: «l’armée ripostera à toute attaque» (sic).

Les «négociations» au Caire se feront sous surveillance militaire du maréchal-président Sissi et des politiques et militaires israéliens (dont le nombre reste flou). Et en présence, derrière les rideaux, de ceux qui n’ont pas levé le petit doigt: des représentants de la Ligue arabe. Azzam al-Ahmad, membre du Comité central du Fatah, «remplace» son rival Mahmoud Abbas, «affaibli» face à la population palestinienne. Sont présents des membres du Hamas et du Jihad islamique. L’opération «négociation» est en route. Dans quelle direction?

Washington arme… «la paix des cimetières»

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry joue les «médiateurs» dans un contexte qui n’est plus le même que celui des années début 2000. Il est écouté mais moins «entendu». L’emprise impériale a perdu quelques plumes. Toutefois, les Etats-Unis n’ont cessé d’assurer l’Etat d’Israël de leur appui. En effet, Israël reste une carte importante pour Washington dans la région. En outre, les forces économiques et politiques du lobby sioniste actif (AIPAC) au Congrès sont mobilisées, y compris pour financer les colonies dans les territoires occupés. Examinons quelques chiffres qui ne recouvrent pas la totalité des collaborations à l’œuvre.

Le Congrès américain a approuvé vendredi 1er août 2014 le principe d’une aide de 168 millions d’euros pour le système de défense antimissile Iron Dôme, utilisé par Israël pour neutraliser les «missiles» et roquettes tirés à partir de la bande de Gaza. Un «Dôme de fer» qui nécessite des «ingrédients» fabriqués aux Etats-Unis. Un Dôme de fer qui est déjà proposé sur le marché par le secteur de l’armement israélien. Il faut souligner que les «missiles» qui ne sont pas interceptés sont le résultat d’un choix: étant donné le coût de chaque interception, ceux qui vont tomber dans une zone non habitée ne sont pas visés. En effet, leur trajectoire est aisément détectable par le système israélien. Dès lors, ils servent à prouver «l’ampleur» de l’attaque et des menaces, avec moult vidéos à l’appui.

• Ainsi, depuis 2011, date de sa mise en service (projet qui a été défendu par le ministre de la Guerre Amir Perez lors de la deuxième guerre du Liban et qui est ministre de l’Environnement dans l’actuel gouvernement Netanyahou) Washington a dépensé 523 millions d’euros pour le Dôme de fer.

• Au total, les Etats-Unis ont prévu de consacrer 22,4 milliards d’euros à l’aide militaire à Israël entre 2009 et 2018. En 2014, Israël s’est vu attribuer 2,3 milliards d’euros d’aide militaire.

• De son côté, le gouvernement a annoncé réexaminer toutes les licences d’exportation conclues avec Israël pour des équipements militaires – d’un montant d’au moins 52,7 millions d’euros depuis 2010 –, pour s’assurer qu’elles sont «appropriées» (sic) au vu de la situation à Gaza. Parions que la «trêve» les rendra «appropriées». Les miracles de l’économie d’armement sont insondables… même par le pape François.

Retour à Gaza… détruite

La journaliste du quotidien catholique La Croix (6 août 2014) rapporte les paroles de Nasser, un habitant de Gaza: «Ma femme et mes trois enfants sont sortis à 10 heures ce matin rien que pour marcher dans la rue. On a besoin de bouger après une semaine cloîtrés dans la maison.» Nasser, lui, a préféré rester au lit.

«J’ai l’impression de ne pas avoir dormi pendant un mois», dit-il au téléphone alors que la trêve de 72 heures proposée par l’Egypte et approuvée par le Hamas et l’Etat hébreu était en vigueur le 5 août et semblait tenir.

Les autorités de Gaza ont annoncé à la population qu’il y aurait entre une à deux heures d’électricité pendant la journée. «On va enfin avoir de l’eau, se réjouit Nasser qui n’a plus assez d’argent pour louer un générateur et l’alimenter en essence. «D’ici à une semaine, on aura peut-être 6 heures d’électricité par jour, ça ne serait déjà pas si mal», dit-il, optimiste.

Depuis une semaine, personne dans la famille n’a pu prendre de douche. Avec la chaleur humide de Gaza et le manque d’eau pour se laver, faute d’électricité, toute la famille a des boutons sur le corps.

«Je suis allé à l’hôpital, le médecin a dit qu’il fallait boire de l’eau, manger des légumes et des fruits et faire de l’exercice», explique Nasser un peu éberlué, alors qu’il est de plus en plus difficile, faute d’argent, de se procurer de quoi manger. «C’est vrai que depuis le début de la guerre, on mange beaucoup de pain parce que ça cale l’estomac.»

La négociation du pire

Comme le souligne Omar Shaban, directeur du centre d’analyse Pal-Tkink for Strategic Studies, le pire des scénarios serait un retrait unilatéral, sans discussions, d’Israël. Il confie à Luc Mathieu de Libération (6 août 2014): «Ce serait la catastrophe absolue. Gaza est à terre. Des dizaines de milliers de familles n’ont plus de maison. Si la guerre s’arrête sans que le siège soit levé, cela va dégénérer, il y aura des affrontements. Il y en a déjà entre habitants et officiels à propos de l’approvisionnement en eau. Un retrait sans négociation serait très dangereux pour le Hamas mais ce serait aussi dramatique pour Gaza.»

Au Caire – si la «trêve» tient et que l’occupation de Gaza, de facto, continue – seront «négociés»: l’arrêt des bombardements et des assassinats ciblés, une extension de la zone de pêche, une garantie d’accès à la Cisjordanie, la suppression des «buffer-zones», cette bande interdite de 500 mètres de large qui court le long de la frontière et, surtout, une levée du blocus israélien. Ce qui implique la libre circulation des personnes et des biens, dont les matériaux de construction, aux postes frontières. Or, Israël, après avoir détruit ce qui est appelé le «Gaza souterrain» veut contrôler dans le détail la «reconstruction» du Gaza qui est «au-dessus», aussi bien financièrement – de manière directe et indirecte – que militairement: d’où l’exigence d’une démilitarisation complète. Ce que Mark Regev, le porte-parole de Benyamin Netanyahou, a souligné:«Pour Israël, la question la plus importante est celle de la démilitarisation. Nous devons empêcher le Hamas de réarmer Gaza.»

Cela s’inscrit dans une stratégie à plus long terme. Il est certain que ces dites négociations doivent, pour le gouvernement israélien et Sissi, accentuer les tensions entre les différentes factions palestiniennes. De plus, l’expérience démontre que les accords signés par l’Etat sioniste sont toujours remis en cause, point par point, dans les mois et années qui suivent.

Enfin, des exigences de financement pour la reconstruction vont se multiplier dans la population de Gaza. Qui y répondra? Sous quelles conditions? Un enjeu politique et économique. De plus, la radicalisation en Cisjordanie ne va pas s’éteindre. Y aura-t-il un accord, même limité, pour la réouverture de Rafah qui donne accès à l’Egypte? Une question décisive.

Le soutien aux droits légitimes du peuple palestinien se doit de saisir les défis qui se font jour, après cette terrifiante agression, une de plus, dans la logique d’un Etat colonialiste. (6 août 2014)

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